Les bonnes nouvelles sur le cancer du sein étouffées par de l’alarmisme général

Traduction, synthèse et commentaires par Cancer Rose, 13/10/2024

https://www.psychologytoday.com/intl/blog/how-risky-is-it-really/202410/great-news-on-breast-cancer-is-hidden-by-alarmist-reporting
Voici un point de vue du 7 octobre 2024 dans Psychology Today, de David Ropeik.

David Ropeik est auteur, enseignant et conférencier sur la perception et la communication des risques. Il est également créateur et directeur de Improving Media Coverage of Risk, un programme de formation pour les journalistes. Il contribue à plusieurs médias, entre autres au Huffington Post. Il est auteur du livre à paraître intitulé « Rethinking Our Fear of Cancer » (Johns Hopkins University Press, sous presse).

Dans son point de vue l’auteur dénonce le fait que les bonnes nouvelles sur le cancer du sein soient toujours systématiquement dissimulées derrière des reportages alarmistes-

Les trois point clés de sa tribune sont les suivants :
* Nos craintes à l’égard du cancer sont, d’une certaine manière, dépassées. Il n’est plus toujours fatal.
* Malgré les progrès considérables réalisés, les informations sur le cancer sont presque toujours alarmantes et tragiques.
* La peur du cancer peut conduire à des choix qui seront plus nocifs que la maladie elle-même.

« C’est le mois de la sensibilisation au cancer du sein, et un nouveau rapport de l’American Cancer Society présente les bonnes et les mauvaises nouvelles.
Comme on pouvait s’y attendre, les mauvaises nouvelles retiennent davantage l’attention. Mais il en va ainsi du cancer depuis que l’allongement de l’espérance de vie au début des années 1900 en a fait la deuxième cause de décès aux États-Unis et, parce qu’il n’y avait de remède, la plus redoutée. Les aspects effrayants et tragiques de cette maladie cruelle constituent la majeure partie de ce que nous entendons. Les progrès phénoménaux qui ont été réalisés retiennent moins l’attention – par exemple, le fait que près de deux tiers des cancers peuvent désormais être traités comme des maladies chroniques ou être guéris purement et simplement. »

DES MESSAGES NEGATIFS EN PRIORITE

« Cette négativité », dit Ropeik « a une conséquence néfaste et cachée. Elle perpétue une peur obsolète d’une maladie inévitablement mortelle, gravée dans la croyance du public depuis des décennies, qui ne correspond plus aux données disponibles et qui, à elle seule, est très préjudiciable. Ce que certains appellent la « carcinophobie » heurte des dizaines de milliers de personnes chaque année, en tue des centaines et gaspille des milliards de dollars en dépenses de santé. Tout en luttant contre la maladie elle-même, nous devons également faire la guerre à la cancérophobie afin d’en réduire les effets néfastes. Une partie de cette guerre doit consister à changer la façon disproportionnellement alarmiste dont la maladie est présentée au public par les médias commerciaux, les médias sociaux et la communauté de défense du cancer elle-même. »

« Voici les bonnes nouvelles, tirées d’un nouveau rapport de l’American Cancer Society : La mortalité due au cancer du sein, c’est-à-dire les personnes qui décèdent de cette maladie, a diminué de 44 % depuis 1989. Les taux de survie à cinq ans pour le cancer du sein invasif (potentiellement mortel) sont passés de 77 % pour les femmes blanches et 65 % pour les femmes noires en 1975-1977 à 93 % et 84 % en 2014-2020. Ces progrès incroyables ont permis de sauver environ 517 900 vies. La mauvaise nouvelle est que l’incidence du cancer du sein – les personnes diagnostiquées – augmente de 1 % par an ; 1,4 % pour les femmes de moins de 50 ans. C’est assurément une mauvaise nouvelle. Mais n’oubliez pas : Moins de personnes atteintes d’un cancer du sein en meurent aujourd’hui. La mauvaise nouvelle concernant l’incidence est donc largement compensée par la preuve rassurante que le cancer du sein est devenu beaucoup plus facile à traiter.
Mais ce n’est pas l’image globale que le public a de ces nouveaux chiffres. Voici la première ligne de l’article de USA Today sur le rapport de l’ACS : « Au cours de la dernière décennie, les taux de cancer du sein ont augmenté de 1 % par an, l’augmentation la plus forte se produisant chez les femmes de moins de 50 ans ».

David Ropeik cite d’autres exemples :

« Le titre du New York Times, « Breast Cancer Continues to Rise Among Younger Women, Study Finds » (Le cancer du sein continue d’augmenter chez les femmes plus jeunes, selon une étude), était suivi du paragraphe suivant : « Les taux de cancer du sein, deuxième cause de décès par cancer chez les femmes américaines, ont augmenté de 1 % par an entre 2012 et 2021, et de façon encore plus marquée chez les femmes de moins de 50 ans et chez les femmes américaines d’origine asiatique ou des îles du Pacifique, quel que soit leur âge. »

« L’émission Good Morning America d’ABC News, animée par Robin Roberts, une survivante du cancer du sein, a publié un article en ligne qui donne la priorité aux bonnes nouvelles dans son premier paragraphe : «Les décès dus au cancer du sein ont chuté de 44 % par rapport à il y a 35 ans, sauvant ainsi près de 520 000 vies, selon un nouveau rapport de l’American Cancer Society ». Mais une vidéo en ligne d’ABC News, dans laquelle un expert est interviewé, passe rapidement à la mauvaise nouvelle et y consacre l’essentiel de sa discussion : «La bonne nouvelle, c’est évidemment que les taux de mortalité ont baissé de 44 % par rapport à il y a 35 ans, ce qui représente une baisse assez importante. Mais je voudrais m’interroger sur l’augmentation du nombre de diagnostics chez les jeunes femmes…»

« Les médias ne sont pas les seuls : le communiqué de presse de l’American Cancer Society commence par des nouvelles rassurantes sur les progrès accomplis, mais pivote et se concentre davantage sur les aspects négatifs : « Le nouveau rapport constate que les taux de mortalité par cancer du sein ont globalement baissé de 44 % depuis 1989, ce qui a permis d’éviter environ 517 900 décès dus au cancer du sein. Cependant, toutes les femmes n’ont pas bénéficié de ces progrès, notamment les Indiennes d’Amérique et les autochtones de l’Alaska (AIAN), dont les taux sont restés inchangés au cours des trois dernières décennies. La tendance continue à la hausse de l’incidence du cancer du sein est également préoccupante : elle augmente de 1 % par an entre 2012 et 2021, l’augmentation la plus forte étant observée chez les femmes de moins de 50 ans (1,4 % par an) et chez les femmes américaines d’Asie et des îles du Pacifique (AAPI), quel que soit leur âge (2,5 % à 2,7 % par an). »
Voici comment l’ACS a posté sur X : « De nouveaux résultats de @AmericanCancer aujourd’hui montrent que les taux de #Cancer du sein continuent d’augmenter à un rythme plus rapide chez les femmes de moins de 50 ans par rapport à celles de 50 ans ou plus. » D’autres comptes de médias sociaux regorgent de messages comme celui-ci, qui indique d’emblée qu’il s’agit d’effrayer le lecteur :

Screenshot

F. Perry Wilson @fperrywilsonSource : de X

Le graphique rassurant de l’ACS montrant la réduction de la mortalité (ci-dessous), qui dépeint une image plus large – mais positive – est difficile à trouver dans cette couverture.

Société Américaine du Cancer

IL Y A POURTANT DE BONNES NOUVELLES A DONNER AUX FEMMES

Faisons une parenthèse ici dans le témoignage de Ropeik. Nous vivons les mêmes phénomènes en France visant à maintenir très haut le niveau d’angoisse du public. Combien de fois avons-nous pu lire sur les réseaux et dans les médias, sur des plateaux télé, qu’ « une femme sur huit » serait atteinte du cancer du sein ? Ce mantra[1], fallacieux, a été utilisé en boucle cette année, pour inciter les femmes, sans plus réfléchir, à courir se soumettre à un dépistage dont l’efficacité sur les taux de mortalité est pourtant assez maigre, comme les promoteurs eux-mêmes et sans s’en rendre compte, le concèdent (« toujours 12000 décès/an en France »).

Mais pourquoi ne donne-t-on pas les bonnes nouvelles aux femmes ? Oui il y en a !

Le risque de décéder par cancer du sein est en baisse, et ça c’est formidable, et les améliorations en termes de mortalité par cancer du sein observées chez les femmes dont le cancer a été détecté par dépistage ont été parallèlement constatées chez les femmes dont le cancer n’a pas été détecté par dépistage.[2]
Pourquoi ne leur dit-on pas que les progrès des traitements disponibles représentent vraisemblablement le principal contributeur à l’amélioration de la mortalité par cancer du sein, même pour les femmes présentant des cancers agressifs.
Pourquoi n’explique-t-on pas que si « il y a toujours plus de cancers », et qu’on constate bien une augmentation du taux de diagnostics de cancers, c’est le dépistage lui-même qui provoque cet effet. Il est largement connu et démontré que le dépistage par mammographie augmente la proportion de cancers du sein à un stade précoce, dont un certain pourcentage ne se manifesteraient jamais cliniquement au cours de la vie de la femme (surdiagnostic), mais que les traitements depuis les années 90 ont fait des avancées énormes.[3]
les améliorations apportées aux thérapies contre le cancer et la prise en charge des patientes atteintes au cours des 30 dernières années ont bel et bien réduit la mortalité.[4] Ce constat, d’ailleurs, contribue à éroder la balance bénéfices-inconvénients du dépistage par mammographie et à réduire à l’avenir de plus en plus le rapport bénéfice-risque du dépistage. En effet, plus les traitements contribuent à réduire la mortalité d’une maladie, plus l’intérêt de son dépistage, surtout s’il comporte autant d’inconvénients que celui du cancer du sein, devient marginal et subsidiaire.

Mais non, au lieu de ces annonces positives et encourageantes, la peur du cancer est toujours un formidable levier pour toujours plus de médecine comme le dénonce D.Ropeik lui-même dans un précédent article de 2022[5] : « l’approche de toujours « plus, plus, plus » de dépistages puise dans les craintes du public, elle est trompeuse et nuisible », écrit D. Ropeik.  
« Cette approche explique en grande partie pourquoi la crainte toujours élevée du cancer au sein du public s’inscrit en décalage avec les progrès thérapeutiques pourtant bien réalisés pour lutter contre le cancer. »

Concernant la France, nous dénonçons cette attitude d’insuffler encore et toujours la peur du cancer dans l’esprit des femmes afin de les inciter à un dépistage dont on ne leur dit jamais les méfaits potentiels, mais également à visée mercantile.
L’association multi-marques Ruban Rose n’hésite pas à user et abuser de ce filon de la crainte du cancer, avec le même mantra de « une femme sur huit sera touchée », tout ceci en partenariat avec des entreprises[6], lesquelles labellisent des produits en rose promettant un reversement absolument ridicule à une « recherche » dont on ne connaitra jamais les retombées concrètes pour les femmes…..

LES REPERCUSSIONS D’UNE CARCINOPHOBIE ENTRETENUE

David Ropeik écrit : « Ces nouvelles négatives ont de profondes répercussions. La peur du cancer, dont beaucoup pensent encore qu’il est toujours mortel, explique en partie pourquoi, selon le CDC[7], environ 35 millions de personnes n’ayant pas atteint l’âge pour lequel le dépistage du cancer était recommandé se sont tout de même fait dépister en 2018. Ce surdépistage a coûté au système de santé américain un montant estimé à 37 milliards de dollars. La peur du cancer explique pourquoi des dizaines de milliers de personnes diagnostiquées chaque année avec des cancers du sein, de la prostate, de la thyroïde et du poumon à croissance lente ou nulle, qui ne se sont pas propagés et ne risquent pas de causer de dommages, choisissent un traitement plus agressif que ne l’exige leur état clinique. Il s’agit d’« ectomies de la peur » qui laissent des dizaines de milliers de personnes avec de graves effets secondaires à vie ; un petit nombre d’entre elles en sont même mortes. »

En effet, le surdépistage tue aussi, les traitements qui seront administrés, que le cancer découvert soit de bas grade ou pas, sont toujours agressifs et comportent des risques.
Quelques études ont même mis en évidence une surmortalité pour des populations qui se font régulièrement dépister en raison des surtraitements[8] ; Les effets nocifs des dépistages à outrance l’emportent sur les bénéfices si les décès causés par les traitements sont inclus dans les taux de mortalité.

Comme l’écrit Ropeik dans son article de 2022[9] les pressions en faveur de ‘toujours plus de dépistages du cancer’ ont été massives dans nos pays occidentaux. 
Mais, explique l’auteur en 2022, au fur et à mesure que son utilisation s’est étendue et que les technologies se sont améliorées davantage pour détecter de minuscules cancers de plus en plus tôt, il est apparu que même si certaines cellules suspectes de lésions biopsiées répondaient aux critères d’un cancer sous le microscope, elles ne se développeraient pas et ne se propageraient pas à d’autres tissus, ni ne causeraient des dommages au cours de la vie de l’individu. C’est ce qu’on appelle le surdiagnostic .

Le carcinome canalaire in situ de bas grade , un type courant de cancer du sein, est l’une de ces maladies. Le cancer de la prostate à croissance lente en est un autre (lire ici). On estime que 80% ou plus des cancers de la thyroïde sont des cancers dits papillaires, un type de cancer qui est généralement si petit et à croissance si lente (ou même sans croissance du tout) que les patients n’auraient jamais su qu’ils en étaient porteurs sans ce dépistage.

Pourtant, dit Ropeik, la plupart des gens qui entendent la phrase redoutée « vous avez un cancer », choisiront une chirurgie ou un traitement agressif pour l’enlever ou le détruire, même s’il s’agit de ces types de cancers essentiellement non menaçants et que leurs médecins leur suggèrent – voire leur recommandent – une simple surveillance régulière (ce qui se pratique dans certains pays), connue sous le nom de surveillance active, au lieu de recourir à un traitement agressif.

Conclusion de D Ropeik

« La douleur et la souffrance du cancer ont touché beaucoup d’entre nous. Mais la peur qui s’est installée en nous il y a plusieurs décennies, lorsque le diagnostic de cancer était une condamnation à mort, est aujourd’hui, d’une certaine manière, obsolète.
Cette peur, alimentée par la mise en lumière déséquilibrée et alarmiste que les médias commerciaux et sociaux et une grande partie de la communauté du cancer accordent au cancer, perpétue une cancérophobie dont nous devons guérir autant que nous devons combattre la maladie elle-même. »


AUTRES ARTICLES DE D.ROPEIK

Progrès dans la lutte contre la carcinophobie
Culte du dépistage, une nouvelle religion
Toujours « plus », une approche nuisible du dépistage

Références

[1] « 1 femme sur 8 sera touchée! »
Lorsqu’on dit qu’une femme sur huit a un risque de cancer du sein, il ne s’agit pas de son risque à elle mais d’un risque cumulatif dans une population de femmes, calculé en exposant une population fictive aux risques observés une année donnée, dans chaque classe d’âge.
Si on suit 100 femmes de la naissance à 100 ans et plus, on attend 13 cancers du sein, selon les risques observés en 2012, soit en effet une femme sur huit. Mais pour une femme donnée, ce n’est pas le risque cumulé sur la vie entière selon les risques de 2012 qui l’intéresse !
Ce qui l’intéresse c’est le risque prévisible en fonction de l’âge, avec un horizon raisonnable, par exemple un suivi sur 20 années. Ainsi, pour un suivi de 20 années, le risque de cancer du sein p.ex. pour une femme de 40 ans est de 4 % ; pour une femme de 60ans, de 6%.
Pour une femme de 60 ans, 6 %, cela équivaut à un risque deux fois inférieur à celui avancé, puisque 1 sur 8, cela équivaudrait à 12,5 %.

[2] https://cancer-rose.fr/2023/06/14/risque-de-deces-par-cancer-du-sein-en-baisse-depistage-ou-pas/

[3] https://cancer-rose.fr/2022/12/05/lamelioration-de-la-mortalite-par-cancer-du-sein-imputable-aux-traitements/

[4] https://cancer-rose.fr/2022/07/01/leffet-du-depistage-du-cancer-du-sein-en-declin/

[5] https://cancer-rose.fr/2022/02/27/toujours-plus-une-approche-nuisible-du-depistage/

[6]

Affiche Ruban Rose association

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[7] CDC – Agence gouvernementale étatsunienne, « Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention) »

[8] https://cancer-rose.fr/2019/08/08/synthese-detudes-un-exces-de-mortalite-imputable-aux-traitements-lemportant-sur-le-benefice-du-depistage/

[9] https://www.statnews.com/2022/02/24/more-more-more-approach-cancer-screening-harmful/


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