Diplôme interuniversitaire de sénologie-Dr B.Duperray

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Risque accru de cancers cutanés après irradiation pour cancer du sein

12/03/2024

La radiothérapie pour le traitement du cancer du sein entraîne un risque accru de cancer de la peau sur le site d'irradiation, selon une recherche publiée le 8 mars dans JAMA Network Open.
Une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford dirigée par Shawheen Rezaei a constaté que le risque de diagnostic de cancer de la peau non kératinocytaire, comme le mélanome et l’hémangiosarcome, après un traitement du cancer du sein par radiothérapie, était de plus de 50 % plus élevé par rapport à la population générale

L'épiderme comprend deux types de cellules, les kératinocytes et les mélanocytes.
Les kératinocytes sont des cellules de l'épiderme (couche superficielle de la peau), jointives, et distribuées en plusieurs couches. 
Les mélanocytes sont situés, eux, à la base de l’épiderme. Ils synthétisent les pigments de la peau qu'on regroupe sous le terme de mélanines, fabriquées dans les mélanosomes. 

Chacun de ces types cellulaires de la peau peut être à l’origine de tumeurs cutanées dont la fréquence et l'agressivité sont variables. Les tumeurs qui se développent à partir des kératinocytes épidermiques sont les plus fréquentes et peuvent occasionner des carcinomes baso‐cellulaires et des carcinomes spino‐cellulaires. Ce sont tumeurs d’origine kératinocytaire, que l’on regroupe sous l’appellation « cancers de la peau non mélanocytaires ».

Les cancers non kératocytaires, à l'opposé, regroupent les mélanomes qui se produisent au dépens des mélanocytes et qui sont beaucoup plus agressifs avec un potentiel métastatique.
Ces cancers non kératocytaires comprennent aussi les hémangiosarcomes, beaucoup plus rares, qui sont des néoplasmes malins caractérisés par des cellules infiltrantes à prolifération rapide, à partir des parois des vaisseaux sanguins ou lymphatiques.
L' antécédent de radiothérapie, même ancienne, est déjà connu comme étant un facteur de risque, de même que la présence d'un lymphœdème infectieux ou séquellaire après un traitement chirurgical.
Le sarcome de Kaposi par exemple, plus fréquent chez les patients atteint de SIDA, est une forme particulière de ces cancers.

L'étude

Il s'agit d'une étude de cohorte, incluant des données recueillies entre 2000 et 2019 auprès de 875880 patientes atteintes d’un cancer du sein nouvellement diagnostiqué.
Au total, 99,3 % des patients étaient des femmes, 51,6 % avaient plus de 60 ans et 50,3 % ont reçu une radiothérapie.

Les chercheurs ont examiné si la radiothérapie dans le traitement du cancer du sein augmentait ultérieurement le risque de cancers de la peau non kératinocytaires, c'est à dire les plus graves.
Ils se sont concentrés sur les cancers localisés à la peau du sein ou du tronc, donc des sites d'irradiation, et ont comparé les résultats aux patients traités par chimiothérapie et chirurgie.

Les auteurs avancent un risque de 57% plus élevé de cancer non kératocytaire pour les patients traités par radiothérapie par rapport à celui de la population générale, lorsque l’on considère la peau du sein ou du tronc.
Le traitement par radiothérapie était également lié à un risque plus élevé de cancer de la peau non kératinocytaire par rapport à la chimiothérapie et aux interventions chirurgicales, selon l’étude.

Les auteurs appellent à de futures études sur les effets de la dose du rayonnement et sur les profils génétiques des patientes atteintes d’un cancer du sein, comme facteurs favorisants possibles pour ce risque accru.

Ils expliquent que les résultats de l'étude peuvent aider les médecins à informer leurs patientes atteintes d’un cancer du sein qu'elles présentent certes un risque faible de cancers cutanés secondaires mais néanmoins plus élevé (de plus du double) par rapport à la population générale, après leur radiothérapie.
Selon eux « il faut mieux définir et intégrer le risque subséquent de tumeurs malignes dans les processus de consultation des patients et les plans de soins de suivi des survivants. »

Considérations subséquentes

Le surdiagnostic est donc bien évidemment à nouveau au centre de la problématique. Dire aux femmes que détecter davantage de cancers petits leur promet un traitement plus "léger" est inacceptable lorsqu'on sait que ce traitement "léger" comprend très fréquemment de la radiothérapie après chirurgie pour cancer du sein.
Les effets carcinogènes de la radiothérapie sont bien connus, et l'enjeu pour les femmes n'est pas d'avoir un traitement plus "léger", mais de n'avoir pas de traitement du tout lorsque celui-ci n'était pas nécessaire et découle d'une détection elle aussi non nécessaire de cancers qui n'auraient pas menacé la vie.

Cette question d'un surtraitement se pose de façon accrue lors de la détection de carcinomes in situ, lésions ne menaçant pas la vie dans la très grande majorité des cas et dont la sur-détection est majorée par le dépistage intempestif que nous connaissons, les femmes y étant incitées à présent de plus en plus jeunes et hors recommandations, une pratique se répandant demandant aux femmes de réaliser, déjà jeune, une "mammographie de référence", ce qui n'a absolument aucun intérêt puisque le sein est un organe variable selon l'état hormonal de la femme, selon le poids, les grossesses etc ....

Plusieurs éléments sont à rappeler, et à avoir en tête lorsqu'on est médecin prescripteur :
* Le dépistage est proposé à des femmes ne se plaignant de rien, saines, à qui l'ont doit l'information loyale sur l'éventualité de surdiagnostic et de possibilité de pathologies induites par les traitements.
* L'enjeu d'un dépistage n'est pas de recruter de plus en plus de cancers, cet argument est souvent à la base de la promotion du dépistage ; or son rôle est avant tout d'éviter de mourir des cancers graves.
* Pour la patiente concernée, même si les cancers secondaires sont globalement rares, ils existent et sont toujours plus fréquents que dans la population générale, et pour la femme concernée, quoi que soient les fréquences des évènements indésirables, pour elle ce sera toujours du 100% vécu...

Nous rajouterons pour finir que les cancers cutanés secondaires à la radiothérapie du sein ne sont pas les seules pathologies induites, des études ont montré l'augmentation significative de maladies cardio-vasculaires après radiothérapie, et l'augmentation des maladies malignes du sang.
Les mécanismes sont expliqués dans cet article sur le site : https://cancer-rose.fr/2021/06/01/les-cancers-radio-induits-apres-radiotherapie-du-cancer-du-sein/

Conclusion

Cette étude fait émerger deux point essentiels :
1- la nécessité incontournable d'informer les femmes des tenants et aboutissants du dépistage et des surtraitements qui en découlent, dont certains avec des conséquences fâcheuses sur la santé.
2- La nécessité de la mise en balance du surdiagnostic induit par le dépistage organisé ou hors-recommandations, pratiqué souvent trop tôt, trop fréquemment, parfois trop répété, avec les bénéfices du dépistage qui, de nos jours, peine à montrer une quelconque efficacité dans la réduction des cancers les plus graves et les plus mortels.

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Une présentation à l’Académie Lorraine des Sciences

Mise en ligne de la présentation par Cécile Bour à l'Académie des Sciences de Lorraine le 13 décembre 2023

Je remercie l'Académie Lorraine des Sciences pour son invitation et son accueil très chaleureux.
Je note la prudente mise en garde du début selon laquelle les propos, les opinions, les données, et les interprétations n'engagent pas l'Académie. Cela est évidemment consécutif au débat houleux qui a suivi de la part de certains auditeurs. En tant que conférencière invitée par l'Académie je tiens à préciser que l'Académie était tout à fait au courant de la teneur de ma présentation, puisqu'il était demandé au préalable d'envoyer à la fois un résumé du contenu ainsi que la présentation elle-même en PDF pour figurer au programme des conférences, ce que j'ai fait bien entendu. Les données que je présente proviennent de sources tout à fait identifiables.

Le surdiagnostic dont je parle est un concept maintenant bien identifié.

Il s'agit d'une surdétection de cancers, donc de la présence de toujours davantage de diagnostics de cancers du sein qui ne se seraient jamais manifestés. Cette inflation de diagnostics permet de justifier aux yeux des promoteurs du dépistage et des autorités de santé les résultats apparemment positifs de ce dispositif de santé.

En détectant des cancers « inoffensifs », le dépistage donne l’illusion de contribuer à des guérisons.
Avec le surdiagnostic généré, le dépistage fait croire à son efficacité aux patientes présentant un cancer prouvé par l'examen au microscope certes, mais qui, non détecté, n'impacterait pas leur santé (ces cancers surdiagnostiqués restent quiescents, n'évoluent pas ou très peu ou régressent).
Ainsi, en sélectionnant des femmes non-malades, le dépistage justifie un traitement, donne l'illusion à ces femmes d'avoir été "sauvées", de les avoir guéries d'une maladie qu'elles n'auraient jamais eue sans lui.

Dr Cécile Bour

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Des preuves pour tous les dépistages ! Même génomiques

19/02/2024

Synthèse et traduction Cancer Rose

Auteurs

Le dépistage de la population exige des preuves solides - la génomique ne fait pas exception-The Lancet

Vol 403 February 10, 2024
https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(23)02295-X/abstract

Selon les auteurs de l'article, l'introduction de nouveaux programmes de dépistage génomique "est motivée par des pressions commerciales, des objectifs gouvernementaux de détection précoce et des groupes de patients, plutôt que par des preuves solides de bénéfices.20 "Tous les programmes de dépistage causent des préjudices ; certains apportent également des bénéfices et, parmi ceux-ci, certains apportent plus de bénéfices que de préjudices à un coût raisonnable".21
Les programmes de dépistage doivent montrer des améliorations en termes de survie ou de qualité de vie ; un programme de dépistage qui n'y parvient pas ne peut que causer des préjudices, coûter de l'argent et utiliser des ressources qui pourraient être mieux employées ailleurs dans le système de soins de santé.
En outre, les tests génomiques peuvent avoir des implications à long terme et de grande ampleur : les préjudices psychologiques, le déplacement des ressources et les effets économiques d'un dépistage génomique de la population mis en œuvre prématurément pourraient être particulièrement durables."
Pour les auteurs ces tests génomiques ne sont pas conçus et ne sont pas aptes à fournir les preuves nécessaires pour soutenir la mise en œuvre de programmes nationaux de dépistage génomique à l'échelle de la population. Et ils risquent d'être très coûteux.

Les tests génomiques

Nous avions parlé déjà de ces tests qui suscitent énormément d'enthousiasmes et d'espoirs ici : https://cancer-rose.fr/2023/03/09/scores-polygeniques-pour-predire-les-cancers-trop-denthousiasme-beaucoup-de-limites/
On examine des milliers de variantes génétiques dans le génome d'une personne, prélevé par exemple par un prélèvement salivaire, pour estimer son risque de développer une maladie spécifique.
Chaque variant génétique a un effet sur le risque de développer une maladie pour un individu, mais en examinant toutes les variantes ensemble on estime pouvoir dire quelque chose de significatif sur le risque global, pour le porteur, de développer une ou des maladie(s).
Pour l'instant les attentes sont importantes, les appétits commerciaux aussi, les avantages modestes et les inconvénients bien présents.

Les auteurs ici suggèrent fortement de ne pas renouveler les mêmes précipitations dangereuses et délétères qui ont été commises pour beaucoup de dépistages instaurés avec hâte et dont on voit les limites et les dégâts à présent, au moment où on a assez de recul pour juger, mais où ces programmes, lancés, ne peuvent plus être freinés.

Nous restituons les passages majeurs de l'article.

Technologies et échecs

Les auteurs expliquent :
" Les nouvelles technologies génomiques ont amélioré la rapidité et la précision des diagnostics de maladies rares chez les individus présentant un phénotype. Ces progrès ont suscité l'enthousiasme pour l'application de ces technologies au niveau de la population afin d'identifier les individus présentant un risque génomique accru de maladie, et pour leur application aux maladies courantes ainsi qu'aux maladies rares.
Au Royaume-Uni, deux initiatives majeures ont été lancées en 2023 pour explorer le dépistage des populations à l'aide de la génomique.
-Dans le cadre du Genomics England Newborn Genomes Programme (NGP ; the Generations Study), les résultats exploitables du séquençage du génome entier (WGS) seront communiqués pour plus de 200 maladies chez 100 000 nouveau-nés participants.1 -Le programme Our Future Health (OFH) du Royaume-Uni recrute jusqu'à 5 millions d'adultes par l'intermédiaire du National Health Service (NHS) pour participer à la recherche sur les variantes génétiques courantes, et prévoit de fournir aux participants un retour d'information sur leur risque génomique de développer toute une série de maladies courantes.

De nombreux tests se sont avérés utiles pour le diagnostic ou le suivi des maladies, mais leur évaluation dans le cadre du dépistage de la population n'a pas permis de mettre en évidence une amélioration des résultats essentiels (survie ou qualité de vie associée à la santé)."

Pourquoi cet échec ?

"Cet échec est souvent dû à l'hétérogénéité sous-estimée de l'histoire naturelle d'une maladie ou au fait que l'imparfaite prédictivité du test, c'est-à-dire sa sensibilité et sa spécificité) devient non viable au niveau de la population." Affirment les auteurs.
Cette phrase signifie tout d'abord qu'une maladie n'a pas forcément une évolution linéaire et progressive, prévisible comme on le conçoit théoriquement. Par exemple pour le cancer du sein, l'histoire de la maladie, c'est à dire son évolution du début des symptômes jusqu'au bout sans traitement, est fort imprévisible et variable ; certaines tumeurs évoluent très vite, mais d'autres pas du tout, certaines très lentement ne menaçant pas la vie des personnes (qui mourront d'autre chose), d'autres encore peuvent régresser.
Plus on essaie de ne pas rater des personnes porteuses d'une maladie, plus il faut dépister de personnes ; mais plus il y a de personnes dépistées, plus on expose ces populations à des fausses alertes, et/ou à leur détecter des anomalies qui les auraient jamais rendues malades si elles n'avaient pas été dépistées, car porteuses de maladies non évolutives.
De l'autre côté, en limitant le test aux personnes à haut risque, il y aura beaucoup moins de faux positifs, mais comme certaines maladies avec formes graves peuvent se déclarer dans le groupe plus large des personnes à faible risque et évoluer très rapidement, on les manquera également en grande partie.
C'est cela la raison essentielle qui fait que les dépistages fonctionnent très mal.
L'autre problème évoqué dans la phrase sus-citée est que le test peut être inutilisable à l'échelle d'une population en raison de ses aptitudes défaillantes à être suffisamment sensible ou spécifique.
Qu'est-ce que la spécificité ? Il s’agit de la probabilité que le test soit négatif quand le sujet n’est effectivement pas malade.
Qu'est-ce que la sensibilité ? Il s’agit de la probabilité que le test soit positif pour un sujet effectivement malade.

Pour comprendre l'importance de ces deux critères liés, prenons un exemple concret donné dans l'article sur les scores polygéniques dont nous avons parlé plus haut :

"Il a été évalué que les scores polygéniques ont une capacité de prévenir des maladies avec une spécificité fixée à 95 % ; ceci signifie que pour 5 % des personnes il y aura un score élevé alors qu'il n'y aura pas de développement pas la maladie (5% de faux positifs).
La sensibilité typique pour un score polygénique, selon cette évaluation, est de 10-15 % ; ce qui signifie que seulement 10 à 15 % des personnes qui développeront la maladie auront un score polygénique élevé. ( 85 à 90% des cas surviendraient chez des personnes considérées par le score polygénique comme n'étant pas à haut risque de maladie NDLR.)
Lorsqu'on cherche à augmenter la sensibilité d'un score polygénique on en réduit la spécificité, et inversement."
Les variantes polygéniques seront toujours limitées dans leur capacité à différencier les personnes qui développeront la maladie de celles qui ne la développeront pas.

Les rédacteurs de l'article Lancet mentionnent les principes de Wilson et Junger et rappellent les conditions préalables à la validation d'un dépistage d'envergure :
"Reconnaissant la complexité et les pièges du dépistage au sein de la population, Wilson et Jungner ont formulé en 1968 dix critères clés dans Principles and Practice of Screening for Disease2 et, en 1996, le UK National Screening Committee a été créé pour garantir une évaluation solide de toutes les nouvelles propositions de dépistage.
Cette évaluation préliminaire détaillée porte sur l'épidémiologie de la maladie, les études de l'histoire naturelle et les données des essais existants.
Si les évaluations sont favorables, un projet pilote régional est mené, les résultats étant comparés entre les régions dépistées et les régions non dépistées (ce qui s'apparente à un essai randomisé en cluster).
Si ces résultats sont positifs, le projet pilote est suivi d'analyses économiques de la santé afin de s'assurer que l'adoption du dépistage ou les changements apportés sont rentables pour les régimes de santé.
L'abandon du dépistage est un défi. Ces processus d'évaluation (souvent longs) sont donc essentiels pour éviter la mise en œuvre prématurée de programmes de dépistage inefficaces, voire nuisibles.

Il s'agit donc, en résumé, de critères très stricts permettant d'évaluer la pertinence d'un dépistage garantissant des bénéfices réels pour la population, sans avoir des dommages l'impactant de façon délétère.
Les 10 critères parmi ceux édictés par retenus par L'OMS sont :

  • La maladie étudiée doit présenter un problème majeur de santé publique
  •  L’histoire naturelle de la maladie doit être connue
  • Une technique diagnostique doit permettre de visualiser le stade précoce de la maladie
  •  Les résultats du traitement à un stade précoce de la maladie doivent être supérieurs à ceux obtenus à un stade avancé
  •  La sensibilité et la spécificité du test de dépistage doivent être optimales
  • Le test de dépistage doit être acceptable pour la population
  • Les moyens pour le diagnostic et le traitement des anomalies découvertes dans le cadre du dépistage doivent être acceptables
  •  Le test de dépistage doit pouvoir être répété à intervalle régulier si nécessaire
  •  Les nuisances physiques et psychologiques engendrées par le dépistage doivent être inférieures aux bénéfices attendus
  •  Le coût économique d’un programme de dépistage doit être compensé par les bénéfices attendus

Etudions ces principes concernant le dépistage du cancer du sein par mammographie, programme lancé et généralisé avec un enthousiasme débridé en 2004 en France :
La complexité de l'histoire naturelle de la maladie reste à ce jour non maîtrisée. La sensibilité et spécificité de la mammographie ne sont pas 'optimales' (faux négatifs, faux positifs), les moyens financiers consentis au dépistage mammographique sont énormes sans qu'on ne parvienne à réduire le taux des cancers les plus avancés.
Sans cynisme aucun, "seulement" 3 % des femmes meurent d'un cancer du sein, le risque de décéder d'un cancer du sein est 8X inférieur à celui, pour une femme, de décéder de maladie cardio-vasculaire, pourtant un large focus est mis dans les médias et par les autorités sanitaires sur ce cancer, angoissant terriblement toute la population féminine, pour un cancer qui tue "peu" par rapport à d'autres maladies impactant les femmes.
Le dépistage mammographique déclenche la découverte de "résultats non pertinents", c'est à dire des découvertes fortuites d'anomalies non recherchées et inutiles, dont le taux de découverte est extrêmement important et qui occasionneront des cascades d'autres investigations ou de surveillances systématiques au patient. Les nuisances physiques et psychologiques sont alors énormes.
On le voit, les 10 conditions préalables à un dépistage de masse étaient loin d'être remplies concernant le dépistage mammographique, pourtant le programme a été mis sur pied dans presque tous les pays occidentaux, et largement promu auprès des femmes comme 'salvateur'.

Ce rappel aux principes initiaux est important pour comprendre comment une croyance ferme au bien fondé d'un dispositif comme le dépistage, et comment le mépris des mises en garde d'"alerteurs" comme il y en a eu avant l'instauration du dépistage du cancer du sein, conduisent ensuite à une situation non maîtrisable, de laquelle on ne parvient plus à revenir.
Avant de faire les mêmes bévues en matière de dépistage génomique, les auteurs de cette publication du Lancet avertissent :

"Nous soutenons que les complexités et les incertitudes inhérentes à la prédiction génomique (du risque de maladie future) signifient qu'une évaluation rigoureuse, indépendante et experte est tout aussi essentielle pour les approches de dépistage génomique au niveau de la population que pour le dépistage classique des maladies (c'est-à-dire pour la détection de la présence d'une maladie aujourd'hui), pour lequel une telle évaluation est la norme."

Les problèmes des tests génomiques

Ils sont bien identifiés, nous avons déjà parlé de la prédictibilité, problème d'importance que les auteurs développent, nous verrons ensuite les autres problématiques posées.

La prédictibilité des tests génomiques est plus incertaine qu'on ne le pense communément

"Bien que l'encodage du code génomique G-T-A-C en séquence d'acides aminés soit d'une simplicité exquise, la compréhension de sa relation avec le phénotype (l'apparence des gènes chez le sujet, ici l'apparence physique de la maladie génétique) n'en est qu'à ses débuts.
Dans le contexte des maladies rares dites monogéniques (c'est à dire maladies portées par un seul gène), les personnes porteuses de la même variante pathogène, même au sein d'une famille, peuvent être atteintes d'une maladie grave, d'une maladie légère ou d'aucune maladie. Des études menées dans des biobanques de population indiquent une pénétrance génétique (c'est-à-dire une association avec une maladie déclarée) beaucoup plus faible que les estimations largement citées dérivées de familles cliniquement vérifiées présentant une maladie."3

La "pénétrance" variable d'une maladie signifie qu'au sein d'une même famille, parmi les porteurs du gène défaillant, la maladie peut avoir des expressions cliniques très diverses.

"La pénétrance de la maladie est variable car, même en présence d'une variante pathogène causale rare, d'autres facteurs (génétiques et environnementaux) contribuent - souvent de manière substantielle - à déterminer si, quand et avec quelle gravité une maladie se manifeste.4 En outre, différentes variantes pathogènes rares du même gène peuvent avoir une gravité phénotypique très différente.5
Même en regroupant les données au niveau mondial, les biobanques et les bases de données de population sont actuellement trop limitées ou biaisées pour permettre une estimation précise de la pénétrance de la maladie au niveau de la population pour la plupart des gènes, et encore moins des risques spécifiques à une variante."

Actuellement sont à l'étude les fameux tests de risques polygéniques, c'est à dire des tests permettant la détection groupée d'un ensemble de maladies, mais "l'héritabilité" des différentes maladie est variable, et l'impact de l'environnement a son rôle à jouer.
Parfois le seul critère génétique (l'héritabilité) joue au final un rôle mineur parmi les autres facteurs (comme l'environnement) qui occasionnent et influent le cours de la maladie. Ce qu'expliquent ici les rédacteurs :

"De vastes études cas-témoins d'association à l'échelle du génome ont permis d'identifier des ensembles de variantes génomiques communes associées à la maladie.
Ces ensembles ont été utilisés pour construire des scores de risque polygénique (PRS) pour plusieurs maladies courantes.
Cependant, la plupart des maladies courantes sont principalement déterminées par l'exposition accumulée au cours de la vie à des facteurs environnementaux, ce qui signifie que l'héritabilité (c'est-à-dire la contribution génétique) est modeste. Par exemple, l'héritabilité est de 31 % pour le cancer du sein chez la femme, de 15 % pour le cancer colorectal et de 38 % pour l'infarctus du myocarde chez l'homme.6,7
En outre, le PRS ne reflète qu'une fraction modeste de cette composante génétique : même avec des études d'associations pangénomiques de plus grande envergure, la majorité des variants associés à la maladie continueront d'échapper à la découverte parce qu'ils sont trop rares ou que leur effet est trop faible. "

"Les PRS n'offrent donc qu'une force prédictive modeste pour l'identification des individus qui présentent réellement un risque élevé de maladie. Le cancer du sein, par exemple, est l'un des cancers les mieux étudiés. Toutefois, un groupe dit à haut risque composé de personnes faisant partie des 20 % les plus exposés selon le PRS ne représenterait que 37 % des cancers du sein, ce qui signifie que 63 % des cas surviendraient chez des personnes considérées par le PRS comme n'étant pas à haut risque de maladie."

D'autres sources d'échecs sont détaillés dans cet article.

Prédire l'évolution d'une maladie au cours d'une vie peut avoir des implications plus larges que les tests de dépistage actuels

"Un résultat positif lors d'un dépistage traditionnel, tel qu'un test immunochimique fécal (TIF) dans le cadre du dépistage du cancer de l'intestin, peut être rapidement confirmé comme étant un vrai positif ou un faux positif par un test diagnostique supérieur (mais plus coûteux, peu pratique ou invasif), tel qu'une coloscopie. De même, un test sanguin biochimique positif chez le nouveau-né pour la phénylcétonurie peut être clarifié en quelques jours par une série de tests métaboliques orthogonaux.
Cependant, un résultat génomique positif ou à haut risque ne peut souvent pas être clarifié de la même manière. Dans le contexte des tests génomiques sur les nouveau-nés, les caractéristiques cliniques de certaines maladies peuvent être apparues au moment où le résultat du WGS (kit de séquençage) est disponible (ou peuvent avoir déjà évolué de manière irréversible ou fatale). Dans de nombreux cas, cependant, le test génomique sera positif sans aucun signe de maladie au moment de l'évaluation du nouveau-né. Ce résultat est-il un faux positif ou la maladie apparaîtra-t-elle plus tard ?"

"Dans une étude rétrospective des prises de sang de nouveau-nés en Californie (États-Unis), la sensibilité n'était que de 88 %, tandis que le taux de faux positifs était de 1 à 6 % pour l'analyse génomique de 48 maladies métaboliques graves.10
Transposés à la population du Royaume-Uni, ces taux équivaudraient à plus de 11 000 bébés avec des résultats 'faux positifs' par an.
Par rapport à ces maladies métaboliques récessives à forte pénétrance, pour la plupart des maladies rares monogéniques pédiatriques (en particulier les maladies dominantes), la pénétrance est plus faible, plus incertaine et l'apparition est plus tardive. Les bébés pourraient être surveillés pour l'émergence de la maladie jusqu'à l'enfance (et peut-être au-delà) pour être finalement informés que leur résultat était un faux positif.
Les ressources des services de santé nécessaires au suivi et l'anxiété potentielle des parents n'ont pas encore été évaluées dans de tels contextes, pas plus que les séquelles pour les membres de la famille dont le test est positif dans le cadre d'un dépistage en cascade."11

Les conséquences sur le plan économiques doivent également, à un moment où les ressources de la santé doivent être gérées avec sagesse, considérées et évaluées.

Le dépistage de nombreuses maladies par un seul test pourrait représenter une fausse économie

"L'un des principaux arguments en faveur du WGS (séquençage des gènes) à la naissance ou en faveur du PRS (scores polygéniques) pour les maladies courantes c'est 'l'économie d'échelle' ( baisse du coût unitaire d'un produit qu'obtient une entreprise en accroissant la quantité de sa production) qu'obtient une entreprise en accroissant la quantité de sa production que permet la réalisation de plusieurs tests en un seul.12
Toutefois, comme l'ont souligné Wilson et Jungner, avant d'introduire le dépistage en population pour toute maladie, il convient d'examiner attentivement l'histoire naturelle de la maladie, de déterminer si la détection et l'intervention présymptomatiques améliorent réellement la survie, et d'étudier les caractéristiques de performance du test proposé dans la population générale."2

"Le danger d'une approche centrée sur la technologie (plutôt que sur la maladie) est qu'elle peut encourager l'inclusion dans le dépistage de la population des maladies pour lesquelles le dépistage ne présente aucun avantage, ainsi que l'utilisation d'approches génomiques pour des maladies pour lesquelles d'autres tests de dépistage supérieurs existent.
Par exemple, des dizaines de maladies métaboliques néonatales héréditaires peuvent être facilement détectées biochimiquement par spectrométrie de masse en tandem sur une prise de sang néonatale, avec une sensibilité et une spécificité supérieures à celles fournies par l'analyse génomique."

Le profilage génomique ne sélectionne pas les maladies agressives, et ne permet pas non plus d'améliorer un test de dépistage de la maladie qui est déjà défaillant

"Le profilage PRS (scores polygéniques) vise à répartir la population en groupes à haut risque et à faible risque. L'enthousiasme pour le PRS repose sur la possibilité de concentrer le dépistage sur les personnes à haut risque et d'éliminer ou de restreindre le dépistage pour les personnes à faible risque.
Toutefois, l'utilité ultime du dépistage stratifié par PRS reste tributaire de la performance du test de dépistage de la maladie, qui présentera les mêmes lacunes dans un groupe à haut risque que dans l'ensemble de la population."8

Comme dit plus haut, en limitant le test aux personnes à haut risque, il y aura toujours des faux positifs ; ce nombre de faux positifs sera certes moindre que pour une population plus large (à plus faible risque), mais comme les maladies se déclarent aussi dans le groupe plus large des personnes à faible risque, le test les manquera en grande partie. Ce sont les mêmes lacunes (faux positifs et faux négatifs) que l'on constate aussi pour beaucoup d'autres tests de dépistages.

"Le profil de sensibilité-spécificité du test n'est pas amélioré et l'ajout d'une stratification du PRS ne modifiera pas la question de savoir si le test de dépistage de la maladie améliore réellement la survie (au-delà du simple délai de réalisation).
De même, il est peu probable que le rapport entre les cas détectés de maladies agressives et de maladies indolentes (c'est-à-dire les surdiagnostics) change.15 En fait, les analyses suggèrent que le PRS pour le cancer du sein et de la prostate sélectionne de manière disproportionnée les maladies à pronostic favorable, plutôt que les maladies à pronostic défavorable, qui bénéficieraient davantage d'une détection précoce."16,17

Les tests génomiques de population ont été peu étudiés dans la population réelle

"Les connaissances actuelles sur les tests génomiques de population ne reflètent que les expériences du sous-ensemble très biaisées d'individus qui se sont portés volontaires pour des études de dépistage. Il n'est pas certain qu'un test génomique comme condition préalable au dépistage ne pourrait pas décourager des groupes déjà désavantagés.
Si l'on ajoute à cela la prédiction nettement moins bonne du PRS dans d'autres groupes d'ascendance par rapport à ceux d'ascendance européenne occidentale, les disparités existantes en matière de santé pourraient potentiellement s'aggraver.
En outre, les réactions comportementales aux résultats d'un PRS à faible risque sont peu étudiées, mais pourraient inclure des modifications des comportements sanitaires préventifs, ou la dissuasion de se présenter avec des symptômes.
De même, la sensibilité sous-optimale du WGS chez le nouveau-né entraînera un taux appréciable de résultats faux négatifs. Dans quelle mesure ce faux réconfort apporté par le WGS pourrait-il retarder la présentation ou l'examen clinique de ces nourrissons ?"

Les auteurs soulignent ici le danger qu'un test négatif rassure à tort les personnes, qui, fortes de la négativité de la recherche de maladie, se dispensent de consulter en cas d'apparition de symptômes. Les personnes réellement malades, faussement assurées de l'absence de tout risque de la maladie par le test, pourraient consulter alors avec retard.

Allocation des ressources et coûts d'opportunité

Les coûts d'opportunité correspondent aux pertes lorsqu'on affecte les ressources disponibles à un usage donné au détriment d'autres choix. 
Les auteurs écrivent :

"Abstraction faite des coûts directs considérables liés à la production technique, à l'analyse et au stockage des données WGS et PRS au niveau de la population, des ressources supplémentaires considérables seront nécessaires pour mettre en place une nouvelle infrastructure logistique et informatique. En outre, les laboratoires et le personnel clinique du service de médecine génomique seront considérablement réaffectés à l'analyse initiale des résultats génomiques."

En France par exemple, les délais d'attente pour le retour des tests génétiques peu dépasser actuellement un an.

"La réorientation des priorités et des ressources entraîne des conséquences ailleurs, et le coût d'opportunité lié à l'utilisation de ressources de soins de santé limitées d'une certaine manière signifie que les avantages potentiels obtenus en utilisant ces ressources ailleurs sont perdus."

Autrement dit, dépenser beaucoup d'argent pour utiliser des tests peu fiables risque de nuire par défaut de ressources à des soins plus pertinents.

CONCLUSION

Les programmes de dépistage génétique, selon les auteurs doivent tout d'abord être rigoureusement évalués, cette évaluation devrait être la norme avant l'introduction d'autres programmes de dépistage.

Ceci est indispensable afin de ne pas répéter les bévues que nous constatons en population à cause de l'introduction mal évaluée et trop précipitée de dépistages qui maintenant posent beaucoup de problèmes, et entraînent des personnes dans des 'maladies' qu'elles n'auraient pas connues sans ce dépistage.
On a bien du mal ensuite à revenir en arrière, comme c'est le cas pour le dépistage du cancer de la prostate, dépistage qui n'est plus recommandé actuellement mais néanmoins encore couramment prescrit chez des hommes, même jeunes.

Article connexe : innovation ne rime pas avec progrès

Auteurs

Division of Genetics and Epidemiology, Institute of Cancer Research, London, Sutton, UK (Prof C Turnbull PhD, A George MD); The Royal Marsden NHS Foundation Trust, London, UK(Prof C Turnbull, A George); Department of Medical Genetics, University of Cambridge, Cambridge, UK (Prof H V Firth FMedSci, Prof F L Raymond DPhil); Cambridge University Hospitals NHS Foundation Trust, Cambridge, UK (Prof H V Firth,Prof F L Raymond); MRC Weatherall Institute of Molecular Medicine(Prof A O M Wilkie FRS) and Department of Oncology (Prof I Tomlinson FRS), University of Oxford, Oxford, UK; Oxford Centre for Genomic Medicine, Oxford University Hospitals NHS Foundation Trust, Oxford, UK(Prof A O M Wilkie, Prof I Tomlinson, Prof A Lucassen DPhil); Division of Evolution, Infection and Genomics, University of Manchester, Manchester, UK (Prof W Newman PhD); Manchester University NHS Foundation Trust, Manchester, UK (Prof W Newman); Charles Dent Metabolic Unit, National Hospital for Neurology, University College London Hospitals NHS Trust, London, UK (R Lachmann PhD); Institute of Biomedical and Clinical Science, University of Exeter, Exeter, UK (Prof C F Wright PhD); Health Economics Research Centre, Nuffield Department of Population Health, University of Oxford, Oxford, UK (Prof S Wordsworth PhD); Population and Behavioural Science Division, School of Medicine, University of St Andrews, St Andrews, UK (M McCartney MRCGP); Fulton Street Medical Centre, Glasgow, UK (M McCartney) Wellcome Centre for Human Genetics and Centre for Personalised Medicine, University of Oxford, Oxford, UK (Prof A Lucassen)

Références de l'article

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18 Devlin H. Backlog in NHS genome service leaves families facing long wait for results. The Guardian. April 3, 2023. https://www. theguardian.com/society/2023/apr/03/backlog-in-nhs-genome- service-leaves-families-facing-long-wait-for-results (accessed Nov 17, 2023).

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Marketing de l’émancipation des femmes, attention…

Marketing de l'émancipation : comment les entreprises exploitent les récits féministes pour promouvoir des opérations de santé publique non fondées sur des données probantes

BMJ 2024; 384 doi: https://doi.org/10.1136/bmj-2023-076710 (Published 14 February 2024)Cite this as: BMJ 2024;384:e076710

Tessa Copp, research fellow12, Kristen Pickles, research fellow12, Jenna Smith, research fellow12, Jolyn Hersch, research fellow12, Minna Johansson, director3, Jenny Doust, professor4, Shannon McKinn, research fellow1, Sweekriti Sharma, research fellow125, Leah Hardiman, consumer representative for women’s and newborns’ health6, Brooke Nickel, research fellow12
1Sydney Health Literacy Lab, Faculty of Medicine and Health, Sydney School of Public Health, University of Sydney, Sydney, Australia
2Wiser Healthcare, Sydney School of Public Health, University of Sydney, Sydney, Australia
3Global Center for Sustainable Healthcare, School of Public Health and Community Medicine, Sahlgrenska Academy, University of Gothenburg, Gothenburg, Sweden
4Australian Women and Girls’ Health Research Centre, School of Public Health, University of Queensland, Brisbane, Australia
5Institute for Musculoskeletal Health, Sydney Local Health District, Sydney, Australia
6Public representative, Brisbane, Australia

Les auteures, dans cette publication, alertent sur le fait qu'en matière de santé les femmes et les féministes sont récupérées par des intérêts commerciaux, afin de promouvoir de nouvelles technologies, de nouveaux tests et de nouveaux traitements qui ne sont pas fondés sur des données probantes.

A l'aide d'exemples concrets, l'un d'eux concernant le dépistage du cancer du sein, elles démontrent comment des messages sanitaires simplistes sous prétexte d'empowerment, ou 'prise de pouvoir sur sa santé et son corps par de meilleures connaissances', sont dans certaines circonstances inappropriés. Ces messages peuvent véhiculer des informations de santé non fondées sur des preuves.
Ces messages consistent en un comportement marketing susceptible de nuire aux femmes par une (sur-)médicalisation inappropriée, conduisant à du surdiagnostic et des surtraitements inutiles.

Nous restituons les passages les plus important de la publication, notamment concernant la densité mammaire, argument utilisé pour développer davantage de dépistages du cancer du sein, surtout vers les catégories de femmes les plus jeunes.
A la fin de l'article vous trouverez un 'encadré' traduit de la publication restituant d'autres exemples de récupération de ce genre.

Empowerment

Selon Tessa Copp et ses collègues, "la promotion de tests et de traitements non fondés sur des preuves et utilisant des messages "d'empowerment" (renforcement de pouvoir) risque d'entraîner des surdiagnostics et des surtraitements chez les femmes.
Les organisations commerciales ont une influence considérable sur la santé de la population par la façon dont elles s'engagent et influencent les tendances sociales pour commercialiser leurs produits.1
Historiquement, les entreprises ont exploité les programmes de santé en donnant la priorité aux messages sur l'autonomie des femmes pour encourager la consommation de produits néfastes pour la santé, tels que le tabac et l'alcool.2 Ce phénomène s'est maintenant étendu à la santé des femmes. Les récits féministes sur le renforcement de leur autonomie et de la responsabilisation des femmes en matière de soins de santé, qui ont vu le jour dans les premiers mouvements pour la santé des femmes 3 4, sont aujourd'hui de plus en plus adoptés par des acteurs commerciaux pour promouvoir de nouvelles interventions médicales (technologies, tests, traitements) qui ne reposent pas sur des preuves solides ou qui ignorent les preuves disponibles."

"La sensibilisation et la défense des intérêts des femmes sont essentielles pour surmonter les inégalités entre les sexes dans le domaine des soins de santé.
Il est nécessaire d'améliorer les ressources pour les affections qui ne font pas l'objet de recherches suffisantes et d'inverser les préjugés historiques qui empêchent les femmes de bénéficier de traitements optimaux.
Toutefois, la promotion d'interventions de soins de santé qui ne sont pas étayées par des preuves, ou qui dissimulent ou minimisent les preuves, augmente le risque de préjudice pour les femmes en raison d'une médicalisation inappropriée, d'un surdiagnostic et d'un surtraitement."

Le problème, expliquent les auteures "... réside dans la manière dont le marketing commercial et les campagnes de promotion présentent ces interventions à un groupe de femmes beaucoup plus large que celui qui est susceptible d'en bénéficier, sans être explicite quant à leurs limites.."

Deux exemples concrets étayent ce constat.

1- le test de l'hormone anti-müllerienne

Il s'agit du dosage de l'AMH dans le sang, correspondant au potentiel de fertilité de la femme.
"Un marketing trompeur utilisant une rhétorique féministe qui encourage les femmes ne présentant aucun signe ou symptôme d'infertilité à demander un test d'AMH pour vérifier leur fertilité ou pour informer leur planning familial nuit en fin de compte à l'autonomisation et à la prise de décision éclairée, puisque les preuves actuelles montrent que le test n'est pas valable à ces fins."

Il y a des tentatives de faire valoir aux femmes que le dépistage universel de l'AMH (c'est-à-dire chez les femmes qui ne souffrent pas d'infertilité) permettrait aux femmes de réduire leur risque d'échouer à procréer. Ce test a été promu dans une certaine presse comme le "meilleur indicateur de connaître son âge ovarien".
Or, promettre aux femmes de pouvoir prendre des décisions éclairées en matière de procréation, grâce à ce test, repose sur l'hypothèse erronée que le test permet de prédire la fertilité de manière fiable.
En France, ce dosage est encadré, réservé aux femmes avec des affections touchant à la fertilité, mais pas dans le cadre de la prédiction des implantations, grossesses ou naissances dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation,

  
2- Notification de la densité mammaire

Nous en avons parlé ici : il était question d'une loi, adoptée en 2019 par le Congrès Américain, qui demandait à la FDA* (Food and Drug Administration) américaine, dans le cadre du processus réglementaire, de veiller à ce que tous les comptes rendus de mammographie et les résumés fournis aux patientes incluent l' information de la densité mammaire des femmes.
*FDA : La Food and Drug Administration est l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments.

La FDA a récemment mis à jour ses lignes directrices sur la mammographie afin d'exiger que les établissements de mammographie informent les patientes de leur densité mammaire.

Cette donnée de la densité mammaire est d'ailleurs mentionnée chez nous dans les comptes rendus des mammographies de dépistage dans le cadre du programme national, 1 correspondant à une densité très faible, donc un sein à composante graisseuse majoritairement, jusqu'à 4 correspondant à un sein d'une extrême densité occupé en totalité par du tissu glandulaire.

Qu'est-ce que la densité mammaire ?

La densité mammaire est un marqueur de la présence de tissu fibreux et glandulaire dans le sein par rapport au tissu graisseux. Le sein est un organe de composition mixte, avec du tissu glandulaire et fibreux d'une part, et du tissu plus graisseux d'autre part, dont le pourcentage varie selon divers facteurs comme l'âge (le sein est davantage graisseux à la ménopause) ou des facteurs génétiques ou encore la prise d'un traitement hormonal.
Avoir un sein dense désigne donc la prédominance de tissu fibro-glandulaire par rapport au tissu graisseux dans son sein.
La densité mammaire est élevée de façon physiologique et normale chez les femmes jeunes non ménopausées (mais peut persister après ménopause), chez les femmes plus maigres à faible capital graisseux, chez les femmes sous traitement hormonal substitutif de la ménopause.

Densité mammaire et risque pour la femme

Avec une densité mammaire élevée le pouvoir discriminant de la mammographie et la capacité de l'oeil du radiologue à déceler une lésion dans un tissu compact sont fortement diminués, et de là à faire un raccourci entre densité mammaire et risque de cancer il n'y a qu'un pas...qui a vite été franchi, ce critère est devenu, en dépit de l'absence d'études probantes, à lui seul un facteur de risque à part entière de cancer du sein.
Avoir davantage de tissu mammaire évidemment fait que la probabilité d'y produire un cancer est plus élevée, mais aucune étude n'a mis en évidence de lien direct entre cancer du sein et une mortalité accrue par cancer du sein.
Les facteurs de risque du cancer du cancer du sein sont multiples et intriqués. Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/06/26/quest-ce-que-le-cancer/
Les facteurs de risque du cancer du sein ne se résument pas à cette seule donnée, la densité fait partie d'un risque global, n'impliquant pas de facto la certitude de connaître un cancer du sein dans sa vie de femme, d'autant que cette densité est variable dans le temps.
Lire : https://cancer.ca/fr/treatments/tests-and-procedures/mammography/breast-density

Aujourd’hui, aucun outil d’estimation du risque de cancer du sein utilisant la densité mammaire n’a, pour l’heure, fait la preuve de sa pertinence.
La HAS, dans un travail sur l’identification des facteurs de risques (page 60), écrit :
"La nature même de facteur de risque est discutée-Repérage difficile dans la population".
Et page 53 ".. la capacité des modèles à prédire la survenue de cancer du sein reste médiocre (indice de concordance autour de 0,65)".

Pourquoi est-ce une préoccupation émergente également pour les populations féminines européennes ?


Parce qu'avec l'avènement de logiciels dits prédictifs, le critère radiologique de la densité mammaire est intégré en tant que facteur de risque à part entière dans des études comme celle européenne MyPEBS pour un dépistage individualisé, alors qu'au vu d'études publiées (voir article) l'augmentation du risque de cancer du sein associé à la densité mammaire est modeste, et que pour les femmes chez lesquelles un cancer du sein a été diagnostiqué, l'augmentation de la densité mammaire n'était pas liée à un sur-risque de cancer de mauvais pronostic ou de décès du cancer du sein.

La notification de la densité mammaire dans cette étude est de toute évidence utilisée pour promouvoir un dépistage supplémentaire chez des femmes plus jeunes (dès 40 ans comme le propose MyPEBS) sans preuve robuste que cela permet d'éviter les décès dus au cancer du sein.
Pour les manquements graves de l'étude européenne MyPEBS lire ici : https://cancer-rose.fr/my-pebs/
et ici : https://mypebs-en-question.fr/
Avec ces logiciels de prédiction, à peu près toutes les femmes jusqu'à l'âge de la ménopause, ayant par nature des seins denses, ont un sur-risque de cancer, voilà le message affoliste qui est véhiculé, ce qu'expriment les auteures de cet article :

" La densité mammographique du sein est l'un des nombreux facteurs de risque indépendants du cancer du sein.35 Une densité mammaire élevée réduit également la sensibilité de la mammographie, augmentant ainsi le risque que le cancer ne soit pas détecté lors d'un dépistage de routine.36 37
Des préoccupations légitimes concernant ces facteurs de risques ont conduit à des appels internationaux croissants pour que toutes les femmes subissant un dépistage soient informées de leur densité mammaire,38 prétendument pour améliorer leurs connaissances sur leur santé et augmenter le dépistage supplémentaire chez les femmes ayant des seins denses. Les arguments soulignant le "droit de savoir" des femmes ont largement motivé la récente législation américaine exigeant que toutes les femmes soient informées de leur densité mammaire39 , des mouvements similaires ayant été observés dans d'autres pays."40 41

"Les groupes de défense des consommateurs, souvent parrainés par de grandes entreprises ayant un intérêt direct dans la mesure et la notification de la densité mammaire,42 soutiennent que toutes les femmes doivent être informées de leur densité mammaire afin d'améliorer leurs connaissances et leur santé.43 Les cliniciens ont également fait valoir que la dissimulation d'informations sur le corps des femmes peut conduire à de mauvaises politiques et pratiques,44 et que les femmes peuvent gérer des informations nuancées concernant la densité mammaire et le dépistage complémentaire.43"

Or, cela revient à inquiéter inutilement des femmes sur un critère physiologique qu'elles ne peuvent modifier, autant les alerter sur le danger d'être une femme... (certains objecteront que c'est déjà ce qu'on fait avec octobre rose et par le truchement de médias peu soucieux d'une information nuancée).

"La notification à l'échelle de la population suscite des inquiétudes, notamment en raison de la nature relativement non modifiable de la densité mammaire et de l'absence de preuves que les parcours cliniques des femmes ayant des seins denses sont bénéfiques. Plus précisément, bien que le dépistage complémentaire par échographie et imagerie par résonance magnétique (IRM) augmente la détection du cancer chez les femmes aux seins denses45 46 , les effets à long terme sur les taux de cancers du sein avancés et de mortalité n'ont pas été correctement évalués ou rapportés45 46 47 , ce qui soulève la question du surdiagnostic."
(Lire ici : https://cancer-rose.fr/2022/04/26/grosse-deconvenue-pour-lirm-mammaire/)

"En outre, les inconvénients du dépistage complémentaire comprennent des taux élevés de résultats faux positifs48 et des coûts financiers supplémentaires.
La notification de la densité mammaire peut également accroître l'anxiété et la confusion des femmes, ainsi que leur intention de recourir à un dépistage complémentaire"49 50.

"Dans une revue systématique de 29 études réalisées entre 2007 et 2020 sur l'effet de la notification de la densité mammaire" commentent les auteures, "les 17 études portant sur l'anxiété ou l'inquiétude liée à la densité mammaire ont toutes constaté que les femmes présentaient un certain niveau d'anxiété ou d'inquiétude49.
Cela s'explique en grande partie par des incompréhensions (par exemple, des femmes pensant qu'elles avaient un cancer) et par la confusion quant aux implications, y compris les étapes suivantes liées à un dépistage supplémentaire.
En outre, un essai randomisé en ligne réalisé en 2021 auprès de 1 420 femmes en âge d'être dépistées (40-74 ans) en Australie a révélé qu'une proportion nettement plus importante de femmes ayant été informées de la densité mammaire ont déclaré se sentir anxieuses (49 % notifiées contre 14 % non notifiées), désorientées (24 % contre 8 %) et inquiètes au sujet du cancer du sein (assez/très inquiètes : 16-17 % contre 7 %) par rapport à celles qui n'ont pas été informées50."

Non seulement il y a une inconstance de la densité mammaire dans le temps et selon l'état physiologique de la femme, mais cette donnée présente aussi une certaine labilité selon le radiologue dépisteur :

"Le manque de fiabilité de la mesure de la densité mammaire, qui varie dans le temps et selon l'évaluateur, est une autre préoccupation majeure. Dans une revue systématique évaluant la reproductibilité, 13 à 19 % des femmes sont passées de la catégorie dense à la catégorie non dense lors d'un deuxième dépistage (reflétant à la fois la variabilité temporelle et celle de l'évaluateur).45 Parallèlement, une revue systématique de 2022 a identifié des preuves limitées concernant l'efficacité des logiciels de mesure automatisée de la densité mammaire, dont l'utilisation se généralise, en tant que facteur prédictif du risque de cancer du sein, y compris des cancers d'intervalle.35 Il n'existe pas non plus de preuves indiquant si un logiciel est meilleur qu'un autre".35

L'équipe australienne pose donc légitimement la question :

L'accès vers toujours plus d'informations et de connaissances, est-ce ça le réel pouvoir ?

C'est surtout la qualité et la pertinence des connaissances qui devraient primer, et garantir aux femmes que les dernières technologies et 'innovations' sont réellement bénéfiques pour leur santé à elles. Leur garantir que ces 'avancées' leur donnent le pouvoir de prendre des décisions à bon escient, et ne sont pas conçues pour alimenter des appétits commerciaux. .

"Certains partisans, y compris ceux de la mesure de la densité mammaire, ont fait valoir que les progrès technologiques, une meilleure information et des soins de plus en plus individualisés peuvent toujours faire progresser les connaissances et la santé des femmes, même s'il n'y a pas de preuve évidente que les avantages l'emportent sur les inconvénients."38

Les liens d'intérêts des promoteurs

"Bien que nous soyons tout à fait favorables à une plus grande autonomie des patients, nous estimons que le marketing et les campagnes en faveur des interventions et la diffusion d'informations sans mentionner les limites ou les preuves peu claires des bénéfices ....risquent de causer plus de préjudices que de bénéfices et donc d'aller à l'encontre de l'autonomisation recherchée.
De plus en plus d'éléments montrent l'existence d'un vaste réseau de liens financiers et non financiers entre l'industrie et les principaux acteurs du secteur de la santé51 , y compris le fait que le parrainage d'organisations de défense des consommateurs par l'industrie est courant."52 53
(Pour exemple, enquête sur Europa Donna, qui se présente comme association de patients, NDLR)

"Cela augmente le risque de biais qui favorise les intérêts des sponsors plutôt que ceux des femmes. Un examen plus approfondi des conflits d'intérêts54 est nécessaire pour minimiser l'influence commerciale, ainsi qu'une plus grande transparence sur les risques et les incertitudes liés aux données probantes."

Difficulté de critiquer ces initiatives

La critique de ces pseudo-avancées féministes en santé est compromise par le reproche facile de 'misogynie' ou de 'paternalisme' objecté aux contestataires, émanant aussi bien des promoteurs que des patientes elles-mêmes, convaincues par des messages marketing des bénéfices d'interventions supplémentaires concernant la santé féminine.
Le respect de l'autonomie des femmes en santé est la transparence dans la communication médicale et des risques inhérent aux innovations qu'on leur promeut.

"En plus de minimiser les inconvénients et de surestimer les avantages potentiels des interventions, les messages persuasifs qui prennent l'apparence d'un plaidoyer féministe en faveur de la santé peuvent être difficiles à critiquer, car une critique légitime peut être interprétée à tort comme étant misogyne ou paternaliste. À titre d'exemple, le fait de ne pas divulguer des informations sur la densité mammaire peut limiter la participation potentielle des femmes aux décisions en matière de santé.43
Cependant, la notification de la densité mammaire est actuellement utilisée pour promouvoir un dépistage supplémentaire sans preuve robuste (et sans mentionner le manque de preuves) que cela permettrait d'éviter les décès dus au cancer du sein.
Nous soulignons que seule une approche transparente, équilibrée et fondée sur des données probantes permettra de respecter et de promouvoir l'autonomie des femmes."14

Il faut que la communication vers les femmes soit plus prudente, que les conflits d'intérêts des promoteurs de dispositifs médicaux, en biologie médicale ou en imagerie, soient clairs et transparents, et que les décideurs politiques s'emparent également de ces préoccupations.

Ceci est exprimé dans la conclusion de l'article :

Garantir que les objectifs du plaidoyer féministe en faveur de la santé ne soient pas compromis

"La santé des femmes est vitale et ne peut être détournée par des intérêts particuliers. Le public, les patients, les cliniciens, les décideurs politiques et les journalistes doivent tous être plus conscients de la façon dont le langage féministe peut être coopté pour promouvoir ou créer de nouveaux besoins de soins qui ne sont pas fondés sur des preuves scientifiques solides.
Les consommateurs de soins de santé et les cliniciens doivent se méfier des récits simplistes selon lesquels toute information et toute connaissance sont toujours synonymes de pouvoir.
La communication entre les femmes et leurs cliniciens est un aspect essentiel pour résoudre ce problème."

Les entités commerciales influencent également les programmes de recherche, ce qui a des répercussions sur la base de données probantes sur laquelle reposent les décisions en matière de politique et de pratique de la santé, affirme l'article57. Il faudrait des stratégies pour contrer l’influence des entreprises sur les programmes de recherche, une meilleure transparence des sources de financement et des conflits d’intérêts dans les articles publiés pour permettre une évaluation des intérêts commerciaux sous-jacents.

"Sans l'implication d'un large éventail de parties prenantes libres d'intérêts particuliers, la commercialisation d'interventions non prouvées dans le domaine de la santé des femmes risque d'accroître les inégalités. Les entreprises qui vendent des tests et des traitements pour la santé des femmes se présentent comme socialement progressistes tout en promouvant des récits de responsabilité personnelle ou individuelle, plutôt que de s'attaquer aux facteurs en amont de l'inégalité entre les sexes59."

"Il est important de noter que la responsabilité individuelle ne permettra jamais à elle seule de lutter contre les inégalités en matière de soins de santé.
Il ne peut pas non plus incomber aux seules femmes visées par ces discours de comprendre tous les avantages et inconvénients potentiels et de prendre une décision en connaissance de cause.
Étant donné que les informations fournies par des sources réputées sont souvent difficiles à déchiffrer60, les messages persuasifs simples provenant de sources commerciales peuvent être plus attrayants et faciles à assimiler sans esprit critique.
Les professionnels de la santé et les gouvernements ont la responsabilité d'éduquer et de contrer les messages à caractère commercial."61

"La commercialisation des interventions médicales devrait également être fortement réglementée.62 Cependant, la législation se heurte à des obstacles, et même lorsque des recommandations visant à mettre un terme à la commercialisation agressive et inappropriée sont adoptées (comme le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel), une commercialisation abusive peut encore se produire."63

"Dans les domaines de la santé des femmes où les preuves manquent ou ne sont pas claires, des essais cliniques de haute qualité sont nécessaires - idéalement avant l'introduction de nouvelles interventions - avec une déclaration obligatoire continue des événements indésirables ou des dommages une fois qu'ils sont mis en œuvre. Dans le cas de la notification de la densité mammaire, les pays qui envisagent actuellement une notification universelle de la densité mammaire ont encore la possibilité d'obtenir d'abord des preuves solides sur les conséquences et de minimiser les dommages potentiels."64

L'article résume ce volet :
"En conclusion, nous devons veiller à ce que les objectifs de la défense féministe de la santé ne soient pas sapés par l'utilisation commerciale du discours féministe qui pousse à des soins non fondés sur des données probantes."

Car malgré des preuves évidentes du manque d'utilité, ou même, comme pour la densité mammaire, de graves soupçons de nuisance pour les femmes, les promotions de ces dispositifs médicaux sous couvert d'argumentation féministe sous-tendue d'études très contestables (MyPEBS), conduisent des cliniciens, des décideurs politiques et les utilisatrices à militer pour leur introduction dans des programmes de santé, et pour leur utilisation généralisée.

Encadré publié dans l'article contenant des exemples de discours féministes afin de promouvoir des interventions médicales

Dépistage du cancer du sein

L'utilisation de la rhétorique de la "guerre contre le cancer du sein" est apparue pour la première fois dans les années 1930.5 Ce langage, comprenant des slogans tels que "battez-vous comme une fille", a ensuite été adopté par les médias et les centres de dépistage du cancer du sein, parallèlement à l'intérêt accru de l'industrie pour la technologie de dépistage et des associations caritatives de lutte contre le cancer du sein, qui sont devenues une force politique importante. Ces messages tendaient à promouvoir les avantages potentiels de la mammographie sans en discuter les inconvénients, tout en évoquant la peur, la culpabilité ou en rejetant la responsabilité sur les femmes (par exemple, "Si vous n'avez pas eu de mammographie, vous avez besoin de plus que l'examen de vos seins")."56

"Certains pays ont adopté des incitations financières pour que les professionnels de santé intensifient le dépistage, ce qui peut compromettre davantage le consentement éclairé en introduisant des biais dans la manière dont les informations sur les inconvénients et les avantages peuvent être fournies."7

Nous avons parlé des incitation financières de promotion du dépistage utilisées en France ici, dans un article paru dans le BMJ en 2022 et co-rédigé avec une citoyenne française.

Ici un autre article sur les incitations financières en France, au lieu d'une information sur la balance bénéfice/risques du dépistage.

Traitement hormonal substitutif de la ménopause

Un gynécologue financé par les entreprises qui fabriquent le traitement hormonal substitutif (THS) a publié un livre, Feminine Forever, dans lequel il affirme que la ménopause est une maladie due à une carence en œstrogènes et que le THS est un remède qui permet de conserver sa féminité. Bien que certaines féministes se soient fermement opposées à cet argument, d'autres militants de la santé ont adopté le point de vue selon lequel le THS était la clé de la libération des femmes en leur permettant de mieux contrôler leur corps.8

(NDLR : en France nous avons eu l'exemple du livre "Ménopause : tout peut changer - La solution du Dr Mouly," contenant une très forte promotion du traitement hormonal substitutif de la ménopause et considérant la ménopause comme une maladie demandant à être soignée. Ce livre a fait l'objet d'une importante promotion dans les medias, sans contradiction ni divulgation de ses liens d'intérêts)

La flibanserine pour les troubles sexuels féminins

S'appuyant sur des arguments féministes concernant les besoins non satisfaits9 et le fait qu'il existe plusieurs médicaments pour les troubles sexuels masculins mais aucun pour les femmes, une coalition de groupes de femmes (appelée "Even the Score") a fait campagne pour l'approbation de la flibanserine en dépit des preuves montrant des effets secondaires importants et des bénéfices minimes.10 Cette campagne a été financée par l'entreprise pharmaceutique propriétaire du médicament.11

Les applications de suivi des menstruations qui détectent les troubles de la reproduction

Certaines applications de suivi des menstruations ont introduit des "outils de prédiagnostic" visant à diagnostiquer des troubles de la reproduction tels que le syndrome des ovaires polykystiques, promettant l'autonomisation par la connaissance et le contrôle de son corps12, malgré des preuves limitées de leur précision et de leurs bénéfices.13

Congélation d'ovules facultative

Les publicités pour les cliniques de fertilité et la couverture médiatique de la congélation d'ovules facultative promeuvent une autonomie et une justice accrues, souvent sans fournir d'informations adéquates sur les résultats et les risques probables.14 15 Certaines publicités présentent également cette procédure comme un moyen d'améliorer l'égalité des sexes, bien qu'elle ait de faibles taux de réussite et qu'elle ne soit accessible qu'à une minorité de femmes (en raison de son coût élevé).14

Certaines entreprises subventionnent désormais la congélation d'ovules pour leurs employées "au nom de l'autonomisation "16 , ignorant les raisons sociales (structure du lieu de travail, coût financier, services de garde d'enfants inabordables) qui dissuadent les femmes d'avoir des enfants alors qu'elles sont biologiquement plus aptes à le faire.

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Réflexion d’une radiologue

11 février 2024, Dr Cécile Bour, radiologue

A la suite de publications récentes sur les carcinomes in situ et les lésions du sein dites 'frontières', constituant une surdétection inutile du dépistage car n'impactant pas la vie des femmes, je me permets ici quelques considérations personnelles, issues de ma propre pratique et des constatations que j'ai pu accumuler, ayant suivi de près ce dépistage depuis sa genèse et sa généralisation en 2004 en tant que jeune radiologue installée, jusqu'à l'aboutissement de nos jours, à un âge où ma carrière vient toucher à sa fin.

Il convient de rappeler, encore et toujours, que le but premier d'un dépistage n'est pas de récolter des lésions à foison, n'est pas de trouver un maximum de choses, mais d'en tirer des bénéfices de trois sortes :
 réduire la mortalité par la maladie,
 diminuer le nombre des formes avancées de cancer du sein,
• alléger les traitements en faisant reculer les mastectomies totales et les traitements les plus lourds.

L’effet sur la mortalité par cancer du sein est non démontré (selon diverses hypothèses et diverses méta-analyse, il faudrait, en gros, suivre 700 à 2 500 femmes pendant quatorze ans à 20 ans pour trouver un seul décès évité). En parallèle :
• Les diagnostics en excès, appelés les surdiagnostics, selon les évaluations les plus pessimistes atteignent 30 à 50 %.
• les cancers de l’intervalle, malgré tous les efforts de détection précoce, qui sont les plus néfastes et agressifs, représentent toujours un tiers des cas de cancers .
* les traitements agressifs sont en augmentation. (Environ 30 à 35% de chimio- et radiothérapies en plus. Les procédures chirurgicales ne diminuent en rien, au contraire).

À partir, déjà des années 1990, au fur et à mesure que se développe le dépistage, on observe une flambée de cancers canalaires in situ.
Cet accroissement spectaculaire du nombre de cancers in situ diagnostiqués est signalé déjà en 1996 par Virginia Ernster, une épidémiologiste de l’université de Californie, San Francisco (Ernster Vl, Barclay J et al. Incidence of and treatment for ductal carcinoma in situ of the breast. JAMA. 1996 Mar 27;275(12):913-8. )

Les atypies et lésions frontières sont mises en évidence déjà par Nielsen ce que relate une méta-analyse d'études d'autopsies, sur 13 études  de 10 pays différents, sur 6 décades (de 1948 à 2010), incluant  2363 autopsies avec 99 cas de cancers dits "incidentalomes" (cancers de découverte fortuite), de lésions précancéreuses, de cancers in situ et d'hyperplasies atypiques, mais parallèlement peu de cancers invasifs.

Deux études apportent elles aussi une lumière sur ces lésions et sur le fait que leur présence dans le sein est fréquente, sans que la vie des femmes soit impactée : l’étude de Nashville au Tennessee (Page Dl, Dupont WD et al. Continued local recurrence of carcinoma 15-25 years after a diagnosis of low grade ductal carcinoma in situ of the breast treated only by biopsy. Cancer. 1995 Oct 1;76(7):1197-200. ), et l’étude de Bologne en Italie (Eusebi V, , Feudale E, Foschini MP et al. Long-term follow-up of in situ carcinoma of the breast. Seminars in Diagnostic Pathology. 1989;6(2):165-173. )

Elles relatent les cas de femmes pour qui le diagnostic de carcinome in situ a été fait avec un retard de dix à vingt ans. Lors de la première lecture effectuée des biopsies, faite dans les années 1950 pour l'une et en 1960 pour l'autre étude, les lésions avaient été classées bénignes.
Les femmes n’avaient donc pas été traitées.
Mais après la relecture plus récente ensuite de ces mêmes biopsies, il s’est avéré que ces femmes étaient en fait bel et bien porteuses d’un cancer in situ.
Comment ces cancers qui avaient échappé à la vigilance des médecins ont-ils évolué ? Parmi les femmes du Tennessee, dix ans plus tard, 25 % d'entre elles, vivantes, avaient un cancer invasif et parmi les Italiennes, vingt ans plus tard, 11 % avaient un cancer invasif, ce qui revient à dire que respectivement 75 % et 89 % de ces femmes porteuses d’un carcinome in situ n’avaient PAS développé de cancer invasif.

On peut bien sûr objecter que c'est dommage pour la majorité de femmes porteuses d’un cancer in situ de se voir traitées inutilement pour sauver la petite minorité avec CIS et qui, elle, va présenter un cancer invasif. Mais que c'est un dommage somme toute acceptable.
Si cela était bien le cas et que les traitements des CIS étaient bénéfiques, on observerait chez les femmes dépistées une diminution des formes les plus graves de cancers et une baisse drastique de la mortalité par cancer du sein. Or, cela ne se produit pas.

Une étude très récente démontre que les dépistages ne prolongent pas la durée de la vie.
L'étude de Toronto montre que traiter les cancers canalaires in situ ne réduit pas la mortalité par cancer du sein, et que la prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduit pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

Le diagnostic par dépistage d’un cancer in situ impacte profondément la qualité de la vie des femmes, qui, non informées de ces potentiels dangers auxquels le dépistage les expose, subissent toujours des traitements agressifs et une profonde angoisse de maladie sans bénéfice prouvé.

Où en sommes-nous à présent ?

Nous essayons de "rattraper le coup". On s'est fourvoyés, on a promis l'impossible aux femmes et comme ce Titanic de dépistage ne peut plus faire marche arrière, alors nous essayons de lui lancer quelques bouées de sauvetage en tentant, tant bien que mal, de limiter les dégâts et de prôner une désescalade thérapeutique.
Mais nous poussons le cynisme à faire cela "en accord avec la patiente", en lui donnant la possibilité de faire sa "propre décision". Alors oui c'est très bien et très moderne la décision partagée, nous-mêmes militons pour, car qui pourrait être contre.
Mais finalement, après avoir terrorisé les femmes pendant des décennies sur la possibilité de contracter un cancer du sein si on relâchait ne serait-ce qu'un tantinet la pression, après leur avoir corné que chaque minute compte, qu'il ne faut pas laisser la moindre petite cellule dégradée dans un sein, là maintenant on freine des quatre fers pour réduire nos traitements abusifs, et nous faisons peser tout le poids de la décision que la femme estimera toujours lourde de conséquences sur ses épaules, à elle.
Les interrogations "ai-je bien fait?" lui pèseront comme une épée de Damoclès toute sa vie durant, et de contrôle en contrôle.
Nous ne pourrons pas, en rien, avec cette désescalade thérapeutique que nous appelons de nos voeux, pour autant soulager les femmes d'une angoisse mortelle, nous avons juste lâchement glissé la responsabilité du terrain du médecin vers celui de la femme.

Cela au lieu d'avoir le courage, tous, d'avouer aux femmes que les campagnes de dépistage ont été instaurées trop vite, trop tôt, sans preuve suffisante, qu'on a fait fausse route, qu'on s'est plantés, qu'il n'y a pas de perte de chance réelle à ne pas aller au dépistage, qu'on peut faire sans, que finalement plus on avance, et plus on bidouille, plus on change notre "cuisine thérapeutique" sans parvenir à bout du cancer tueur, le seul qu'il nous fallait juguler, ce que le dépistage a complètement échoué à faire.

Je trouve cette lâcheté et ce culot à faire tout peser sur les épaules des femmes d'un cynisme confondant.

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Les atypies du sein, alléger le suivi

Traduction et synthèse par Cancer Rose, 10/02/2024

Article atypies et nouvelles recommandations

Opinion libre, Dr C.Bour, radiologue

Article connexe sur les 'in situ'

Atypies détectées lors du dépistage du cancer du sein et développement postérieur d'un cancer : analyse observationnelle de la cohorte prospective Sloane atypia en Angleterre.

BMJ 2024 ; 384 doi : https://doi.org/10.1136/bmj-2023-077039 (Publié le 01 février 2024)
https://doi.org/10.1136/bmj-2023-077039

Karoline Freeman, senior research fellow (Warwick Screening, Division of Health Sciences, Warwick Medical School, University of Warwick, Coventry, UK) ; David Jenkinson, senior research fellow (Screening Quality Assurance Service, NHS England, Birmingham, UK),Karen Clements, breast cancer research manager (Screening Quality Assurance Service, NHS England, Birmingham, UK), Matthew G Wallis, consultant radiologist,  Sarah E Pinder, professor of breast pathology,   Elena Provenzano, lead consultant breast pathologist, Hilary Stobart, patient representative, Nigel Stallard, professor of medical statistics, Olive Kearins, national lead breast screening, Nisha Sharma, consultant breast radiologist,  Abeer Shaaban, consultant pathologist, Cliona Clare Kirwan, consultant oncoplastic breast surgeon, Bridget Hilton, national audit project senior QA officer, Alastair M Thompson, section chief breast surgery, Sian Taylor-Phillips, professor of population health on behalf of the Sloane Project Steering Group.

QU'EST-CE QU'UNE ATYPIE ?

Ce terme regroupe ce qu'on appelle aussi "les lésions frontières", dont le nombre de cas augmente parallèlement au dépistage et depuis la multiplication des biopsies mammaires.
Elles constituent une frange dans les anomalies du sein située entre les lésions strictement bénignes et les lésions strictement malignes, et les limites entre les deux sont souvent floues, conduisant fréquemment l'anatomo-pathologiste à "upgrader" son compte rendu, de peur de sous-traiter. Ces lésions alimentent beaucoup la problématique du surtraitement généré par le dépistage systématique du cancer du sein.

Les lésions frontières sont variées, portent diverses dénominations selon leur caractérisation sous le microscope, et sont classées dans le tableau ci-dessous, en fonction du risque de cancer du sein qu'on leur attribue, le deuxième tableau listant les propositions thérapeutiques jusqu'à présent en vigueur.

PROBLEMES ET CONTEXTE

Ces lésions frontières ("borderline") soulèvent de multiples problèmes.
D’abord pour l'anatomo-pathologiste, leur identification diagnostique nécessite de la part du pathologiste une bonne expérience, une technique infaillible, une solide connaissance des critères de classifications garantissant que le résultat de l'analyse histologique puisse être reproductible et identique si lecture par une autre pathologiste, ce qui n'est pas toujours garanti....

Ensuite pour la patiente, la prise en charge thérapeutique se fait en fonction de ce qu'on a identifié dans le prélèvement d’une biopsie guidée. Mais les différentes entités trouvées dans un prélèvement sont parfois intriquées et les limites peu nettes ; dans un foyer d'atypie peut se retrouver un micro-foyer in situ, rendant les décisions de classification très difficiles et conduisant dans le sens d'un traitement plus lourd. Et très fréquemment on procède à l'exérèse de la plupart de ces lésions dont on estimait qu'elles conduiraient de facto à des lésions cancéreuses du sein, comme l'illustre la figure 1 de l'article sur l'étude dont nous allons parler. (Cliquez sur l'image)

Il s'agit d'une étude portant sur une cohorte de 3 238 femmes ayant reçu un diagnostic d'atypies épithéliales, appelée la cohorte anglaise 'Sloane'. Cette cohorte est reliée au registre anglais du cancer et au système d'information sur la mortalité et les naissances, pour obtenir des informations sur les cancers du sein subséquents et la mortalité.

L'objectif de l'étude était de comparer le nombre et le type de cancers du sein développés après le dépistage de l’atypie aux 11,3 cancers qu'on estime trouver ensuite par dépistage pour 1000 femmes au cours d’un cycle de dépistage de trois ans, au Royaume-Uni.
Plus précisément : On veut savoir si les femmes porteuses d'atypie ont un risque supplémentaire de développer davantage de cancers, si oui lesquels, et si oui quelles atypies prédisposent davantage au cancer.
A cet effet les données de cette cohorte ont été recueillies sur les formulaires de radiologie, d'histopathologie, de chirurgie et de radiothérapie, afin de fournir des preuves solides et généralisables sur le comportement des atypies.
On a comparé la survenue de cancers ultérieurs en comparant les femmes de la base de données du projet 'Sloane Atypia' aux données du Registre national des cancers, et les informations sur la mortalité ont été ajoutées.

Les principaux critères de suivi sont le nombre et le type des cancers du sein invasifs détectés un an, trois ans et six ans après le diagnostic de l'atypie, par type d'atypie, par âge et par année de diagnostic.

RAPPEL DES CONSTATS ACTUELS SUR LES ATYPIES

Les auteurs observent tout d'abord :
" La détection des atypies a été multipliée par quatre après l'introduction de la mammographie numérique entre 2010 (n=119) et 2015 (n=502)."

C'est ce qu'on voit très bien sur les graphiques détaillés ci-dessous, rassemblés dans la figure 3 de l'article. (Cliquez sur l'image)

Globalement on observe facilement ce bondissement des surdétections lors du passage au procédé de mammographie numérique vers 2010, beaucoup plus sensible notamment à la détection des microcalcifications. Les microcalcifications font partie des trois grands signes radiologiques que l'on recherche sur les clichés, qui peuvent annoncer la présence d'un cancer, et qui sont : les masses, les distorsions architecturales et les microcalcifications, que le procédé numérique détecte particulièrement bien.

Les explications avancées pour l'excès des détections de ces lésions sont les suivantes :

" Nous estimons que l'introduction progressive de la mammographie numérique en Angleterre depuis 2010, qui identifie davantage de microcalcifications, pourrait expliquer une grande partie de l'augmentation des atypies à partir de 2012....
Le reste de l'augmentation de l'incidence des atypies pourrait être dû à une modification des définitions des atypies et au fait que les pathologistes affinent leurs critères de diagnostic..."

" Un autre facteur pouvant être lié à l'augmentation des atypies pourrait être l'augmentation de la taille de l'aiguille de biopsie qui a pu être utilisée ces dernières années, augmentant la probabilité de trouver des atypies et diminuant la probabilité d'une classification erronée des atypies en carcinome in situ."

RESULTATS DE L'ETUDE

L'analyse a porté sur les questions clés suivantes :

1.         Combien de femmes développent un cancer après un diagnostic d'atypie et à quel moment ?
2.         Quel type de cancer se développe ?
3.         Combien de cancers ne sont pas détectés lors du diagnostic d'atypie ?
4.         Le risque de développer un cancer dépend-il du type d'atypie ?
5.         Quelle est la comparaison avec les femmes dépistées sans diagnostic d'atypie ?

Les résultats sont les suivants :

"-Le nombre de cancers après le diagnostic d'atypie (à 3 et 6 ans) était faible et ces cancers étaient similaires à ceux de la population générale de dépistage, avec un risque homolatéral et controlatéral similaire.
-Peu de cancers ont été manqués lors d'un diagnostic d'atypie et la VAE (excision mini-invasive assistée par le vide) n'a pas entraîné plus de cancers manqués que la prise en charge chirurgicale.
-Le nombre de cancers ne diffère pas significativement selon le type d'atypie, la densité mammaire ou l'âge après ajustement sur l'année du diagnostic.
-Le nombre de cancers après 3,5 ans suite au diagnostic d’atypie était égal au nombre de cancers dans la population générale de dépistage.
-Le risque de cancer au cours des dernières années était inférieur au risque historique, probablement en raison de l'introduction de la mammographie numérique qui identifie davantage de microcalcifications, d'un changement dans la nomenclature des atypies et de l'affinement des critères de diagnostic par les pathologistes, ainsi que de l'augmentation de la taille de l'aiguille de biopsie.

Pour résumer : " Les femmes dont les atypies ont été détectées plus récemment présentent des taux plus faibles de cancers subséquents détectés dans les trois ans" et " le grade, la taille et l'atteinte ganglionnaire des cancers invasifs ultérieurs étaient similaires à ceux des cancers détectés dans la population générale de dépistage, avec un nombre égal de cancers homolatéraux et controlatéraux."

Les analyses ont confirmé qu'à court terme, de nombreuses lésions atypiques peuvent représenter des facteurs de risque plutôt que de véritables précurseurs d'un cancer invasif et ont conclu qu'une mammographie annuelle pendant 5 ans après le diagnostic d'une atypie pourrait ne pas être bénéfique pour les femmes dans le cadre de l'actuel programme de dépistage du cancer du sein du NHS anglais. En outre, les changements récents apportés aux techniques de mammographie et de biopsie semblent identifier les cas d'atypie qui sont plus susceptibles de représenter un surdiagnostic."

CONCLUSION

Les auteurs concluent de la façon suivante :

" Il apparaît que peu de cancers ont été méconnus au moment du diagnostic de l'atypie et que la prise en charge non chirurgicale se révèle aussi sûre que l'excision chirurgicale de l'atypie dans cette cohorte.
Les caractéristiques des cancers détectés après une atypie étaient similaires à celles des cancers détectés dans la population générale de dépistage et aucun sous-groupe présentant un risque accru de développer un cancer invasif n'a été identifié.
Par conséquent, le signalement des atypies lors du dépistage pourrait contribuer au problème du surdiagnostic dans le cadre du dépistage du cancer du sein
."

Et de ce fait ils suggèrent :

"De nombreuses atypies pourraient représenter des facteurs de risque plutôt que des précurseurs de cancers invasifs...
Une mammographie annuelle à court terme après un diagnostic d'atypie pourrait ne pas être bénéfique. ..."

IMPLICATIONS POUR LA PRATIQUE CLINIQUE

Les recommandations pour le suivi de ces lésions nécessitent vraisemblablement un changement conséquent.
Les auteurs écrivent :
"Les résultats suggèrent qu'une mammographie annuelle supplémentaire pendant les trois premières années suivant un diagnostic d'atypie épithéliale pourrait ne pas être nécessaire en plus de la pratique de dépistage standard du Royaume-Uni proposée à toutes les femmes (c'est-à-dire une fois tous les trois ans).
Le nombre de femmes ayant reçu un diagnostic d'atypie et ayant développé un cancer au cours des trois premières années était faible."

Les lignes directrices au Royaume-Uni, en Europe et en Amérique recommandent généralement l'excision des atypies par biopsie ou par biopsie-exérèse chirugicale, suivie d'une surveillance rapprochée par imagerie.
En fonction de ce que cette étude rajoute comme connaissances sur ces lésions, les auteurs, dans une deuxième publication que nous allons voir, suggèrent une modification des recommandations.

Les connaissances supplémentaires que l'étude de cohorte Sloane apporte sont :
"- Le diagnostic de cancer du sein dans les trois ans suivant l'atypie était faible, en particulier dans les années les plus récentes (depuis 2012), et pourrait contribuer à l'augmentation du surdiagnostic dans le cadre du dépistage du cancer du sein.
- Des mammographies plus fréquentes pendant cinq ans après le diagnostic d'atypie pourraient ne pas être bénéfiques dans les programmes de dépistage du cancer du sein dont la qualité est assurée et qui prévoient l'utilisation universelle de la mammographie numérique et l'excision assistée par aspiration des lésions indéterminées ; ces protocoles de surveillance devraient être revus.
- Il n'a pas été démontré que l'ablation chirurgicale des atypies était nécessaire pour éviter les cancers manqués ; l'excision assistée par aspiration semble être aussi sûre que l'excision chirurgicale dans la prise en charge des atypies."

Des recommandations fondées sur ces nouvelles données doivent être envisagées.

Recommandations fondées sur des données probantes concernant la prise en charge des atypies dans le dépistage du cancer du sein : perspectives d'une réunion de consensus d'un groupe d'experts examinant les résultats du projet Sloane Atypia

British Journal of Radiology, Volume 97, Issue 1154, February 2024, Pages 324–330, https://doi.org/10.1093/bjr/tqad053

Karoline Freeman, PhD,  Alice Mansbridge, BSc,  Hilary Stobart, MSc,  Karen Clements, BSc, Matthew G Wallis, MBChB,  Sarah E Pinder, MBChB,  Olive Kearins, MSc, Abeer M Shaaban, MBBCh, MSc, PhD,  Cliona C Kirwan, MBBS, BSc, PhD, Louise S Wilkinson, BMBCh,  Sharon Webb, MPH,  Emma O’Sullivan, BSc, Jacquie Jenkins, MSc,  Suzanne Wright, PhD,  Kathryn Taylor, DCR, MSc, Claire Bailey, BNurs,  Chris Holcombe, MD,  Lynda Wyld, BMedSci, MBChB, PhD, Kim Edwards, MBBCh, DMRD,  David J Jenkinson, PhD,  Nisha Sharma, MRCP, Elena Provenzano, MB BS, PhD,  Bridget Hilton, BSc,  Nigel Stallard, PhD, Alastair M Thompson, BSc, MBChB, MD, Sian Taylor-Phillips, PhD on behalf of the Sloane Project Steering Group

Une réunion de consensus d'une demi-journée a été organisée ; elle réunissait 11 experts cliniques, un représentant de 'l'Independent Cancer Patients Voice', six représentants du NHS England, et deux chercheurs ; cette réunion a permis des discussions sur les résultats de l' analyse du projet Sloane Atypia, étude dont nous venons de parler plus haut, afin de re-considérer les lignes directrices et les conduites à tenir existantes.

Jusqu'à présent, expliquent les auteurs, " Les lignes directrices étaient basées sur les preuves existantes sur les taux de reclassification en « cancer » lors de l'excision, et sur le risque de cancer à long terme. Cependant, aucune preuve de l'efficacité de la mammographie de surveillance régulière à court terme n'était disponible et les lignes directrices incluaient un commentaire indiquant que cela devrait être modifié lorsque "davantage de données et de directives nationales seront disponibles".
Ce qui est maintenant le cas.

RECOMMANDATIONS REVUES POUR LES FEMMES AU ROYAUME UNI

Le groupe a décidé à une majorité de 17/19 (89,5 %, une personne ayant quitté le groupe) sur les données actuelles, que la mammographie de surveillance annuelle pendant les cinq premières années n'est pas bénéfique pour les femmes présentant des atypies, quel que soit le type d'atypie ou l'âge de la femme.

Le groupe recommande que les femmes présentant des atypies détectées au dépistage puissent se voir proposer un dépistage systématique tous les trois ans (comme cela est pratiqué pour la population des femmes âgées de 50 à 70 ans  au Royaume Uni), avec un message clair indiquant qu'elles n'avaient pas un cancer, et que leur prise en charge devait donc être la même que pour celles qui n'avaient pas d'atypie.

SITUATION EN FRANCE

Nous espérons grandement que les recommandations françaises évoluent aussi sagement vers une désescalade des suivis.
Voilà pour l'instant ce qui est préconisé par l'Institut National du Cancer et la Haute Autorité de Santé :

Au delà d'amoindrir ce suivi mammographique annuel prévu pendant 10 ans en France (seulement 5 ans en Angleterre jusqu'à présent), d'amenuiser les risques qui en découlent (irradiation, surdiagnostics), il s'agirait aussi de réduire l'anxiété liée à ce suivi excessif, et de libérer ces femmes de l'étiquette "femme à haut risque".

Les recommandations de la HAS de 2019 concernant les "modalités spécifiques de dépistage pour les femmes à haut risque", sont basées sur la recommandation de 2014, avec en bibliographie une note de cadrage datant, elle, de 2011 ; on ne peut pas dire que les sources soient très récentes.

Il est grand temps de moderniser tout cela, et, évidemment, de fournir aux femmes une information claire sur le surdiagnostic galopant et les surtraitements, qui surviennent à cause du dépistage lui-même, selon les demandes  de la concertations citoyenne de 2016, ce qui est soigneusement resté lettre morte jusqu'à présent.

Opinion libre, Dr Cécile Bour, radiologue

Je me permets ici quelques considérations personnelles, issues de ma propre pratique et des constatations que j'ai pu accumuler, ayant suivi de près ce dépistage depuis sa genèse et sa généralisation en 2004 en tant que jeune radiologue installée, jusqu'à l'aboutissement de nos jours, à un âge où ma carrière vient toucher à sa fin.

Il convient de rappeler, encore et toujours, que le but premier d'un dépistage n'est pas de récolter des lésions à foison, n'est pas de trouver un maximum de choses, mais d'en tirer des bénéfices de trois sortes :
réduire la mortalité par la maladie,
diminuer le nombre des formes avancées de cancer du sein,
alléger les traitements en faisant reculer les mastectomies totales et les traitements les plus lourds.

L’effet sur la mortalité par cancer du sein est non démontré (selon diverses hypothèses et diverses méta-analyse, il faudrait, en gros, suivre 700 à 2 500 femmes pendant quatorze ans à 20 ans pour trouver un seul décès évité). En parallèle :
Les diagnostics en excès, appelés les surdiagnostics, selon les évaluations les plus pessimistes atteignent 30 à 50 %.
les cancers de l’intervalle, malgré tous les efforts de détection précoce, qui sont les plus néfastes et agressifs, représentent toujours un tiers des cas de cancers .
* les traitements agressifs sont en augmentation. (Environ 30 à 35% de chimio- et radiothérapies en plus. Les procédures chirurgicales ne diminuent en rien, au contraire).

À partir, déjà des années 1990, au fur et à mesure que se développe le dépistage, on observe une flambée de cancers canalaires in situ.
Cet accroissement spectaculaire du nombre de cancers in situ diagnostiqués est signalé déjà en 1996 par Virginia Ernster, une épidémiologiste de l’université de Californie, San Francisco (ernster vl, Barclay J et al. Incidence of and treatment for ductal carcinoma in situ of the breast. JAMA. 1996 Mar 27;275(12):913-8. )

Les atypies et lésions frontières sont mises en évidence déjà par Nielsen ce que relate une méta-analyse d'études d'autopsies, sur 13 études  de 10 pays différents, sur 6 décades (de 1948 à 2010), incluant  2363 autopsies avec 99 cas de cancers dits "incidentalomes" (cancers de découverte fortuite), de lésions précancéreuses, de cancers in situ et d'hyperplasies atypiques, mais parallèlement peu de cancers invasifs.

Deux études apportent elles aussi une lumière sur ces lésions et sur le fait que leur présence dans le sein est fréquente, sans que la vie des femmes soit impactée : l’étude de Nashville au Tennessee (page Dl, dupont WD et al. Continued local recurrence of carcinoma 15-25 years after a diagnosis of low grade ductal carcinoma in situ of the breast treated only by biopsy. Cancer. 1995 Oct 1;76(7):1197-200. ), et l’étude de Bologne en Italie (euseBi v, FoscHini mp et al. Long-term follow-up of in situ carcinoma of the breast. Seminars in Diagnostic Pathology. 1989;6(2):165-173. )

Elles relatent les cas de femmes pour qui le diagnostic de carcinome in situ a été fait avec un retard de dix à vingt ans. Lors de la première lecture effectuée des biopsies, faite dans les années 1950 pour l'une et en 1960 pour l'autre étude, les lésions avaient été classées bénignes.
Les femmes n’avaient donc pas été traitées.
Mais après la relecture plus récente ensuite de ces mêmes biopsies, il s’est avéré que ces femmes étaient en fait bel et bien porteuses d’un cancer in situ.
Comment ces cancers qui avaient échappé à la vigilance des médecins ont-ils évolué ? Parmi les femmes du Tennessee, dix ans plus tard, 25 % d'entre elles, vivantes, avaient un cancer invasif et parmi les Italiennes, vingt ans plus tard, 11 % avaient un cancer invasif, ce qui revient à dire que respectivement 75 % et 89 % de ces femmes porteuses d’un carcinome in situ n’avaient PAS développé de cancer invasif.

On peut bien sûr objecter que c'est dommage pour la majorité de femmes porteuses d’un cancer in situ de se voir traitées inutilement pour sauver la petite minorité avec CIS et qui, elle, va présenter un cancer invasif. Mais que c'est un dommage somme toute acceptable.
Si cela était bien le cas et que les traitements des CIS étaient bénéfiques, on observerait chez les femmes dépistées une diminution des formes les plus graves de cancers et une baisse drastique de la mortalité par cancer du sein. Or, cela ne se produit pas.

Une étude très récente démontre que les dépistages ne prolongent pas la durée de la vie.
L'étude de Toronto montre que traiter les cancers canalaires in situ ne réduit pas la mortalité par cancer du sein, et que la prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduit pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

Le diagnostic par dépistage d’un cancer in situ impacte profondément la qualité de la vie des femmes, qui, non informées de ces potentiels dangers auxquels le dépistage les expose, subissent toujours des traitements agressifs et une profonde angoisse de maladie sans bénéfice prouvé.

Où en sommes-nous à présent ?

Nous essayons de "rattraper le coup". On s'est fourvoyés, on a promis l'impossible aux femmes et comme ce Titanic de dépistage ne peut plus faire marche arrière, alors nous essayons de lui lancer quelques bouées de sauvetage en tentant, tant bien que mal, de limiter les dégâts et de prôner une désescalade thérapeutique.
Mais nous poussons le cynisme à faire cela "en accord avec la patiente", en lui donnant la possibilité de faire sa "propre décision". Alors oui c'est très bien et très moderne la décision partagée, nous-mêmes militons pour, car qui pourrait être contre.
Mais finalement, après avoir terrorisé les femmes pendant des décennies sur la possibilité de contracter un cancer du sein si on relâchait ne serait-ce qu'un tantinet la pression, après leur avoir corné que chaque minute compte, qu'il ne faut pas laisser la moindre petite cellule dégradée dans un sein, là maintenant on freine des quatre fers pour réduire nos traitements abusifs, et nous faisons peser tout le poids de la décision que la femme estimera toujours lourde de conséquences sur ses épaules, à elle.
Les interrogations "ai-je bien fait?" lui pèseront comme une épée de Damoclès toute sa vie durant, et de contrôle en contrôle.
Nous ne pourrons pas, en rien, avec cette désescalade thérapeutique que nous appelons de nos voeux, pour autant soulager les femmes d'une angoisse mortelle, nous avons juste lâchement glissé la responsabilité du terrain du médecin vers celui de la femme.

Cela au lieu d'avoir le courage, tous, d'avouer aux femmes que les campagnes de dépistage ont été instaurées trop vite, trop tôt, sans preuve suffisante, qu'on a fait fausse route, qu'on s'est plantés, qu'il n'y a pas de perte de chance réelle à ne pas aller au dépistage, qu'on peut faire sans, que finalement plus on avance, et plus on bidouille, plus on change notre "cuisine thérapeutique" sans parvenir à bout du cancer tueur, le seul qu'il nous fallait juguler, ce que le dépistage a complètement échoué à faire.

Je trouve cette lâcheté et ce culot à faire tout peser sur les épaules des femmes d'un cynisme confondant.

Article connexe : Changer le discours sur le carcinome canalaire in situ et le risque de cancer du sein

Nous avons maintes fois parlé du cas particulier du carcinome in situ (CIS), considéré comme un non-cancer, ou comme un cancer "stade 0", à ce point qu'il n'est pas comptabilisé dans les chiffres des nouveaux cas de cancers du sein dans les statistiques des instituts surveillant l'épidémiologie des maladies, ni par l'Institut National du Cancer.
Certains scientifiques pensent qu'il faudrait le "débaptiser", et ne plus le nommer "carcinome". Il est davantage considéré actuellement comme un facteur de risque non obligatoire de faire un cancer du sein ultérieur.
Il faut changer le discours sur cette entité particulière, et re-considérer le risque auquel il exposerait les femmes de cancer invasif, et de ce fait changer aussi les attitudes de suivi et les préconisations thérapeutiques.
Même démarche à faire, en somme, que pour les atypies, en tous cas pour aller au final vers une désescalade thérapeutique, et une vision moins affolante pour les femmes sur leur état de "malade".

C'est ce qui ressort de cette publication d'octobre 2023, que nous vous traduisons ci-dessous, et qui donne les résultats d'un travail de recherche, appelé PRECISION. Le but de ce projet de recherche est de savoir comment le CIS à faible risque diffère du CIS à plus haut risque, pour aider les femmes à mieux adapter les traitements et éviter les surtraitements.

L'article :

En ce mois de sensibilisation au cancer du sein, les nouvelles découvertes de l'équipe PRECISION du Cancer Grand Challenges montrent que le développement d'un cancer du sein à partir d'un CCIS est un événement rare et soulignent le besoin urgent de marqueurs pronostiques précis pour lutter contre le surtraitement du CCIS.

En 2015, Cancer Grand Challenges a lancé le défi Cancers létaux et non létaux dans le but de trouver des moyens de distinguer les cancers létaux qui doivent être traités des cancers non létaux qui ne doivent pas l'être. Depuis 2017, l'équipe PRECISION, dirigée par le professeur Jelle Wesseling de l'Institut néerlandais du cancer (NKI), relève ce défi dans le cas du carcinome canalaire in situ ( CCIS).

Le CCIS est caractérisé par la présence de cellules anormales dans les canaux lactifères du sein. Par définition, ces cellules anormales ne sont pas invasives, mais dans un petit nombre de cas, elles peuvent se transformer en cancer du sein invasif ipsilatéral (même sein).
Bien que le risque d'évolution vers un cancer du sein soit faible, le CCIS est souvent considéré comme un cancer du sein précoce et donc traité comme tel. Une partie des efforts de PRECISION a consisté à affiner cette description.
Dans une nouvelle étude multinationale portant sur plus de 47 000 femmes atteintes de CCIS aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux États-Unis, publiée dans le British Medical Journal, l'équipe a rapporté que l'incidence cumulée sur 10 ans du cancer du sein invasif ipsilatéral après un CCIS était de 3,2 %.
"Je pense que notre résultat le plus important est que le cancer invasif ipsilatéral après un CCIS est vraiment un événement rare et qu'il est donc d'autant plus important de déterminer qui sont les femmes à risque. Le CCIS en lui-même ne met pas la vie en danger et nous ne voulons pas traiter toutes les femmes de manière intensive et inutile", déclare le professeur Marjanka Schmidt du NKI, co-chercheur dans PRECISION et auteur principal de l'article.

Cette découverte s'inscrit dans le cadre d'une étude visant à déterminer l'association entre la taille du CCIS et l'état de la marge avec le risque de développer un cancer du sein invasif dans le côté ipsilatéral. Ces deux facteurs cliniques sont souvent utilisés en clinique pour stratifier le risque de lésions CCIS et déterminer la marche à suivre pour le traitement.
Actuellement, le traitement est généralement recommandé pour toutes les femmes atteintes de CCIS et peut inclure la chirurgie, la radiothérapie et l'hormonothérapie. Les médecins peuvent utiliser le grade du CCIS pour décider de la meilleure approche thérapeutique.
Mais dans la plupart des cas, les femmes auront subi un traitement pour un CCIS qui n'aurait pas évolué en cancer. Pour réduire le fardeau du surtraitement, il est urgent de trouver des moyens de distinguer les cas de CCIS qui présentent un risque élevé d'évoluer vers un cancer du sein invasif de ceux qui présentent un risque faible.

L'équipe a combiné les données de quatre cohortes de patientes - une des Pays-Bas, une du Royaume-Uni et deux des États-Unis - comprenant 47 695 femmes diagnostiquées avec un CCIS entre 1999 et 2017 et ayant subi soit une chirurgie conservatrice du sein, soit une mastectomie, souvent suivie d'une radiothérapie ou d'un traitement hormonal, soit les deux.
Ils n'ont trouvé qu'une faible relation entre la taille du CCIS et l'état des marges et le risque de cancer du sein invasif ultérieur dans le même sein, concluant que les caractéristiques cliniques telles que celles-ci étaient limitées dans la discrimination entre les CCIS à faible risque et à haut risque.
"Nous avons conclu que ces associations ne sont pas suffisamment importantes pour guider, dans la pratique clinique, les décisions concernant les personnes à traiter et celles à ne pas traiter", déclare Marjanka.

Cette étude est la plus importante du genre à ce jour pour explorer la valeur des facteurs de risque pronostiques après un CCIS. Elle a été rendue possible grâce aux collaborations internationales établies entre les groupes de recherche de PRECISION et au financement à grande échelle de l'initiative "Cancer Grand Challenges".
"En combinant et en comparant les différentes cohortes de patients, nous avons constaté que le risque de cancer du sein invasif ultérieur dans le même sein est très similaire au Royaume-Uni, aux États-Unis et aux Pays-Bas, et que d'autres variables cliniques sont également très comparables. Bien que les cohortes aient été constituées de manière différente et que les traitements soient quelque peu différents d'un pays à l'autre, les risques réels pour les femmes sont très similaires", ajoute le Dr Esther Lips du NKI, co-chercheur de PRECISION et auteur principal de l'article.

Souligner la nécessité de relever le défi des cancers létaux ou non létaux

L'objectif du défi "Cancers létaux ou non létaux" était d'identifier les changements qui distinguent une tumeur non létale d'une tumeur potentiellement létale, puis de déterminer comment ces changements peuvent être détectés avec précision.
Les travaux de l'équipe PRECISION soulignent la nécessité de relever ce défi dans le cas du CCIS et soulèvent des considérations importantes pour la gestion clinique du CCIS.
"Tout ce que nous savions sur le CCIS dans la pratique quotidienne avant PRECISION était largement basé sur des séries relativement petites, souvent biaisées, qui ne pouvaient pas avoir l'impact nécessaire pour informer les lignes directrices dans la clinique", déclare Jelle.
"Tout en voulant préserver les excellents résultats des traitements pour les femmes présentant un CCIS à haut risque, nous devons savoir exactement quelles sont les femmes qui courent un risque élevé. Je pense que cet article montre que certains facteurs clés utilisés en clinique, tels que la taille et l'état des marges, ne sont en fait pas vraiment indicatifs du risque. Même s'ils font une légère différence, ils n'ont pas d'utilité clinique".

Parallèlement à la recherche de l'équipe, le travail collaboratif de l'équipe PRECISION a suscité d'importantes conversations au-delà des frontières nationales entre les chercheurs, les défenseurs des patients et les cliniciens sur la définition du CCIS et la sensibilisation au risque de cancer du sein.
La compréhension du risque est particulièrement importante pour les femmes atteintes d'un CCIS qui sont confrontées à la décision de poursuivre ou non le traitement.
"Les femmes ont besoin de beaucoup plus d'informations sur leurs risques individuels futurs avant de prendre des décisions de traitement, mais le dilemme est que les cliniciens et les scientifiques ne peuvent toujours pas distinguer en toute sécurité quel CCIS évoluera et lequel n'évoluera pas", déclare Hilary Stobart, une représentante des patientes au sein de l'équipe.
"L'équipe internationale PRECISION travaille d'arrache-pied pour résoudre ce dilemme en collaborant à la recherche d'une combinaison de biomarqueurs qui permettra de distinguer en toute sécurité les femmes dont le CCIS doit être traité de celles qui n'en ont pas besoin. Cette vaste étude internationale en conditions réelles constitue une étape importante vers cet objectif, afin que les femmes et leurs cliniciens puissent prendre des décisions éclairées en matière de traitement et éviter éventuellement un surtraitement. Ce fut un grand privilège pour moi de défendre les intérêts des patientes en travaillant avec l'équipe de PRECISION".

Les résultats soulignent le besoin de nouveaux marqueurs pronostiques, et PRECISION a exploré plusieurs pistes dans le but de trouver des marqueurs biologiques qui peuvent être utilisés comme outils pour évaluer le risque de cancer du sein après un diagnostic de CCIS.

L'équipe PRECISION est financée par Cancer Research UK et la KWF Dutch Cancer Society.
"Au sein d'une équipe pluridisciplinaire, PRECISION tente d'identifier les facteurs de risque permettant de prédire si une femme atteinte d'un CCIS a besoin d'un traitement ou non. La possibilité d'adapter les traitements au risque individuel, dans le but d'éviter le surtraitement, s'inscrit parfaitement dans les objectifs principaux de la KWF, à savoir stimuler un meilleur traitement pour chaque type de cancer et viser une meilleure qualité de vie pour les patients", déclare Carla van Gils, directrice de la KWF Dutch Cancer Society.

Lire l'article complet dans le British Medical Journal.

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Cancer du sein invasif et décès par cancer du sein après carcinome canalaire in situ

Synthèse et traduction par Cancer Rose, 30/01/2024

Cancer du sein invasif et décès par cancer du sein après un carcinome canalaire in situ détecté sans dépistage, de 1990 à 2018 en Angleterre

https://www.bmj.com/content/384/bmj-2023-075498

Il s'agit d'une étude de cohorte basée sur la population sur les données du Registre National des maladies, sur toutes les 27 543 femmes en Angleterre qui ont reçu un diagnostic de carcinome canalaire in situ (CIS), et en dehors du programme de dépistage du cancer du sein, de 1990 à 2018.

Le carcinome in situ (CIS) du sein est appelé ainsi car il est défini par la prolifération de cellules cancéreuses à l’intérieur d’un canal galactophore sans que les cellules ne dépassent la paroi du canal pour envahir le reste du sein, au contraire du carcinome invasif.

Objectifs de l'étude:

Évaluer les risques à long terme de cancer du sein invasif et de décès liés au cancer du sein après un carcinome canalaire in situ non détecté.
Les risques ont été comparés pour les femmes de la population générale et pour les femmes diagnostiquées avec un carcinome canalaire in situ via le programme de dépistage.

Résultats et conclusion de l'étude

Au 31 décembre 2018, 3651 femmes présentant un carcinome canalaire (CIS) non détecté ont développé un cancer du sein invasif, soit plus de quatre fois le taux national attendu d’incidence du cancer du sein invasif.

Dans l'étude, pendant au moins 25 ans après leur diagnostic, les femmes présentant un carcinome canalaire non détecté in situ présentaient des risques de carcinome invasif et de décès par cancer du sein à long terme plus élevés que les femmes de la population générale.
Elles présentaient aussi des risques à long terme plus élevés que les femmes présentant un carcinome canalaire in situ dépisté.

La mastectomie était associée à des risques plus faibles de cancer du sein invasif que la chirurgie conservatrice du sein, même accompagnée de radiothérapie. Cependant, les risques de décès par cancer du sein semblaient similaires pour la mastectomie, la chirurgie conservatrice du sein avec radiothérapie et la chirurgie conservatrice du sein sans radiothérapie enregistrée.

Deux questions majeures que pose l'étude

1- Faut-il s'étonner que les femmes avec un CIS diagnostiqué hors dépistage ont un risque considérablement accru (x 4) de développer par la suite un cancer invasif et d'en décéder ?

Arnaud Chiolero, professeur de santé publique du Laboratoire de santé des populations à l' Université de Fribourg, (Suisse), et de l'École des populations et de la santé mondiale, Université McGill, Montréal, Canada, répond à l'article.

" Faut-il s'étonner que le carcinome canalaire in situ (CCIS) du sein non détecté lors du dépistage entraîne un risque relativement élevé de mortalité par cancer du sein ? Pas vraiment.
Par analogie avec le risque de mortalité plus élevé des cancers du sein invasifs d'intervalle - c'est-à-dire les cancers détectés entre les examens de dépistage - et en comparaison avec les cancers invasifs détectés par dépistage on s'attend à ce que le CCIS détecté par dépistage et non détecté par dépistage présente un contraste de risque analogue.
C'est le résultat, du moins en partie, du biais de lenteur d’évolution (ou biais de sélection des cas de meilleur pronostic ou "length time bias").
Cela s'explique également par le fait que les cas dépistés et non dépistés proviennent de sous-populations différentes."

Ce qui est expliqué là signifie que le dépistage a tendance à sélectionner les cancers de meilleurs pronostic. Les cancers à évolution rapide, de moins bon pronostic, invasifs ou in situ, apparaissent souvent dans "l'intervalle", c'est à dire entre deux mammographies, ce sont des cancers non dépistés.
Selon A. Chiolero, le sur-risque auquel un cancer d'intervalle invasif expose une femme est à mettre en parallèle avec un sur-risque qu'on constatera pour un cancer in situ d'intervalle, de façon analogue.

Ce cancer d'intervalle auquel A.Chiolero fait allusion est par définition un cancer qui n’était pas là lors de l’examen mammographique, ou qui y a échappé.
Ces tumeurs sont de stade plus avancé et à caractéristiques biologiques d'emblée, structurellement, plus défavorables que les cancers détectés par mammographie.
Ils ne sont pas issus de cancers de stade plus bas, mais proviennent d'une sous-population de cellules d'emblée plus agressives.

En effet, 43 % (41/96) des cancers d'intervalle sont des tumeurs primaires de stade 2 ou plus, contre seulement 12 % (139/1136) des cancers du sein détectés par dépistage (p < 0,001).
Par rapport aux cancers détectés par dépistage, les cancers d'intervalle peuvent être in situ, mais sont plus souvent des cancers invasifs que des carcinomes canalaires in situ (88 % contre 75 %, p = 0,007.
(Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/02/20/cancers-dintervalle-incidentalomes-les-perdants-des-depistages/ )

Le fait-même d'avoir eu un carcinome in situ est considéré comme facteur de risque 'non obligatoire' de cancer du sein invasif. Ces populations de femmes avec antécédent de carcinome in situ sont, de façon connue, plus à risque de refaire soit un in situ, soit un invasif, et probablement davantage encore lorsqu'elles ont connu une forme de CIS échappant au dépistage.

Comme le formule Dr V.Robert, notre statisticien, ce constat "n'est pas un scoop, Il y a longtemps qu'on sait que le fait d'avoir fait un 1er épisode de cancer du sein témoigne de l'existence de facteurs de risque et augmente la probabilité de faire de nouveaux épisodes. Et ces nouveaux épisodes ne seront pas forcément eux aussi des CIS."

2-Deuxième question, plus importante encore à poser : devons-nous considérer que le dépistage du cancer du sein échoue parce qu'il n'identifie pas ces cas ?

A nouveau professeur Chiolero y répond :

"... Devons-nous considérer que le dépistage du cancer du sein échoue parce qu'il n'identifie pas ces cas ? Non.
Le véritable objectif du dépistage du cancer n'est ni de trouver des cas ni d'établir un diagnostic précoce ; il est de réduire la mortalité liée au cancer.
La découverte d'un plus grand nombre de cas, à un stade précoce, résulte du dépistage mais n'est pas utile en soi. Par conséquent, si de nombreux dépistages, par exemple du cancer de la thyroïde ou du mélanome, augmentent le nombre de cas identifiés et modifient la distribution en faveur des cancers à un stade précoce, ils ne réduisent pas la mortalité par cancer - et c'est pourquoi ils ne sont pas recommandés.

Il serait possible, et relativement simple, de relever le nombre de cas détectés par le dépistage en augmentant la fréquence des examens, par exemple en passant d'un examen tous les deux ou trois ans à un examen annuel. Le coût, cependant, sera un plus grand nombre de faux positifs et de cas surdiagnostiqués, sans pour autant réduire davantage la mortalité par cancer du sein."

Le carcinome in situ possède un très bon pronostic comparé au carcinome invasif, il est de stade de malignité moindre.
la plupart des CIS sont considérés, comme dit plus haut, comme des lésions- précurseurs non obligatoires du cancer invasif ; paradoxalement l’augmentation spectaculaire de leur détection suivie de leur ablation chirurgicale n’a pas été suivie de baisses proportionnelles de l’incidence des cancers invasifs. Et leur hyper-détection par la multiplication des dépistages n'a pas réduit la mortalité par cancer du sein.

Comme le résume Dr Robert :
"Prétendre que les réductions de risque observées dans l'étude sont dues au fait que le CIS a été découvert par dépistage, c'est prêter au dépistage des vertus préventives qu'il n'a pas et ne peut pas avoir (la mammographie de dépistage n'évite pas le cancer, elle en fait le diagnostic plus tôt)."
Or, comme le souligne Pr Chiolero, le but premier d'un dépistage est avant tout de réduire la mortalité par la maladie.

De ces interrogations en résulte une troisième : comment expliquer les réductions de risque observées dans l'étude ?

Ou autrement dit comment expliquer le sur-risque de cancer du sein en cas de CIS non détecté ?
Comme on l'a vu plus haut, les cancers découverts dans l'intervalle, donc loupés par le dépistage, sont d'emblée à caractéristiques plus péjoratives, et exposent à un risque accru.

On peut rajouter une autre explication que donne Dr Robert :

" Comme il ne s'agit pas d'une étude randomisée, les groupes ne sont pas comparables. Les femmes avec CIS non diagnostiqués par le dépistage n'ont pas les mêmes facteurs de risque que les femmes avec CIS diagnostiqués par le dépistage.
Dans un pays où plus de 70% des femmes concernées participent au dépistage sur invitation, les 30% de femmes qui ne participent pas ont très vraisemblablement des profils socioculturels différents des autres femmes et ces profils différents pourraient très bien expliquer un risque accru de cancers invasifs (soit plus de risque de cancers, soit plus de risque de le diagnostiquer à un stade invasif) et de décès."

Pour conclure

Il n'est pas étonnant que les femmes ayant un antécédent de carcinome in situ aient davantage de risques de carcinome invasif, il est connu que le fait d'avoir eu un "in situ" constitue un potentiel facteur de risque de connaître un "vrai" cancer du sein ultérieurement.
Depuis une étude de l'université de Toronto on sait que le traitement des CIS ne fait pas de différence sur la survie des femmes et n'a pas permis de réduire la mortalité par cancer du sein invasif.

Les cancers se manifestant hors dépistage sont souvent de stade plus avancé, car le dépistage recrute de façon préférentielle les cancers de bas stade, et pas ceux de stade plus évolué qu'ils soient invasifs ou in situ, car ces cancers échappent au dépistage, sont d'emblée plus agressifs et se manifestent souvent dans l'intervalle de deux mammographies.
Ces cancers évoluant hors dépistage exposent certainement à un sur-risque de cancer invasif et de risque décès.

Le but d'un dépistage n'est pas de recruter toujours plus de ces lésions "in situ", qui sont globalement de pronostic meilleur et de stade de malignité moindre que les invasifs, de par le fait qu'ils ne franchissement pas la membrane des canaux du sein.
Le but d'un dépistage est de réduire la mortalité par cancer de façon drastique, et aucune étude récente ne parvient à démontrer cela en matière de cancer du sein.

Les réponses d'autres scientifiques à l'article

Dr Vincent Robert, statisticien du groupe Cancer Rose

Mannu et al. (1) ont publié un article évaluant les risques de cancer du sein invasif et de décès par cancer du sein après découverte, en dehors du dépistage, d’un carcinome canalaire in situ (DCIS). L’étude confirme que les risques de cancer invasif et de décès sont fortement augmentés, multipliés par 4 par rapport à la population générale, après un 1er épisode de DCIS non découvert par mammographie de dépistage dans le cadre du programme de dépistage du NHS.

L’étude compare également les risques de cancer du sein invasif et de décès par cancer du sein chez les femmes ayant eu un DCIS découvert en dehors du dépistage et chez les femmes ayant eu un DCIS découvert à l’occasion du dépistage. Ces risques sont significativement augmentés lorsque le DCIS a été découvert en dehors du dépistage.

Pour éviter toute erreur d’interprétation, il est important de rappeler pourquoi ces résultats, intéressants pour organiser au mieux la surveillance après un 1er épisode de DCIS, ne permettent aucune conclusion sur l’efficacité du dépistage.
Il s’agit d’une étude observationnelle et, en l’absence de randomisation et d’informations sur les facteurs de risque de cancer du sein et de décès par cancer du sein, une répartition équilibrée de ces facteurs de risque entre les groupes dépistés et non dépistés n’est pas garantie.

La comparaison ne porte pas sur des DCIS dépistés versus des DCIS non dépistés. La comparaison concerne en fait, d’un côté, des DCIS découverts à l’occasion du dépistage sur invitation dans le cadre du programme de dépistage du NHS, et, de l’autre côté, des DCIS découverts en dehors de tout dépistage, plus des DCIS découverts à l’occasion d’un dépistage hors programme du NHS, plus des DCIS découverts durant l’intervalle entre 2 dépistages chez des femmes participant au dépistage du NHS.
Ainsi, la fréquence plus élevée des récurrences et des décès après DCIS « non dépistés » pourraient s’expliquer par des facteurs de risque plus élevés chez les femmes dépistées en dehors du programme du NHS et chez les femmes avec un DCIS de l’intervalle, plutôt que par l’efficacité du dépistage.

A juste titre, les auteurs se gardent bien de tirer de leur étude toute conclusion sur l’efficacité du dépistage et il convient de respecter cette prudence.

1. Mannu GS, Wang Z, Dodwell D, Broggio J, Charman J, Darby SC. Invasive breast cancer and breast cancer death after non-screen detected ductal carcinoma in situ from 1990 to 2018 in England: population based cohort study. BMJ 2024; 384:e075498

Hazel Thornton, Independent Citizen Advocate for Quality in Research and Healthcare ,University of Leicester (Hon. DSc. (Leicester)) Colchester

Richard Smith se demande [dans son blog non médical du 29 janvier] si la complexité de la question du carcinome canalaire in situ (CCIS) s'est améliorée depuis 2011, date à laquelle il a assisté à une conférence à Édimbourg qui traitait de ce sujet[1]. [Je partage ses doutes quant à l'amélioration de la situation. Je dirais même que c'est pire. L'étude rapportée par Mannu et ses collègues renforce cette conclusion[2] Les incertitudes continuent d'augmenter en ce qui concerne la prise de décision, les meilleurs traitements, sa pathologie, son potentiel de progression, etc.

Arnaud Chiolero, professeur de santé publique et épidémiologiste à Fribourg (Suisse), explique de manière concise et claire pourquoi il n'est pas utile de détecter le cancer à un stade précoce et pourquoi les conclusions de Mannu et de ses collègues ne sont pas surprenantes. [3]

Inévitablement, le processus décisionnel des professionnels de la santé et des citoyens est tout aussi nébuleux - si ce n'est plus - qu'il l'a été depuis l'introduction du programme de dépistage mammographique, car toute cette activité préjudiciable, produisant ces citoyens iatrogènes devenus patients, n'a que peu ou pas d'effet sur l'objectif du dépistage du cancer du sein, qui est de réduire la mortalité liée au cancer. La Suisse, par exemple, a sagement mis fin à cette pratique en 2016[4]. [4]

Imaginez le nombre considérable d'heures-femmes libérées de cette anxiété particulière si le Royaume-Uni faisait de même ! Sans parler des ressources du NHS qui pourraient être utilisées à bien meilleur escient pour soigner les malades au lieu que de laisser les milliers de femmes étiquetées inutilement " cancéreuses " porter le fardeau trop longtemps, avec tous ses effets néfastes, si nous suivions l'exemple de la Suisse !

[1] Richard Smith. Communicating with patients about ductal carcinoma in situ: confusing for all. 31st January 2024. https://blogs.bmj.com/bmj/2011/09/07/richard-smith-communicating-with-pa...

[2] Mannu GS, Wang Z, Dodwell D, Broggio J, Charman J, Darby SC. Invasive breast cancer and breast cancer death after non-screen detected ductal carcinoma in situ from 1990 to 2018 in England: population-based cohort study. BMJ 2024; 384:e075498.

[3] Arnaud Chiolero. Finding all cases not the role of cancer screening. BMJ rapid response 28th January 2024. https://www.bmj.com/content/384/bmj.q22/rr

[4] Shelley Lane. Mammography Screening is being abolished in Switzerland. October 16 2016. https://www.beaconthermography.com/resources/2016/10/16/mammography-scre...

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D’abord ne pas nuire

29/01/2024

L'un des paradoxes de l'imagerie médicale moderne est que la capacité de multiplier les images du corps humain de manière toujours plus détaillée et toujours plus fine, avec une résolution de plus en plus haute, est aussi la source de nuisances et de cascades d'examens dont beaucoup sont inutiles.
Les progrès technologiques ont conduit à une augmentation de détections et de découvertes d'images qui ne sont pas liées au motif principal de l'examen, et qui sont appelées " fortuites ", ou incidentalomes.

Beaucoup d'entre eux sont inoffensifs, mais ces découvertes fortuites ont des conséquences importantes pour la santé du patient, lui occasionnant un parcours médicalisé coûteux et excessif.

Nous avions déjà abordé ce problème dans un article en février 2023 ; le sujet est repris dans une publication en décembre dernier.
Synthèse et traduction par Cancer Rose-

« D'abord ne pas nuire » en réponse à des résultats d'imagerie fortuits

Ian A Scott, John Slavotinek and Paul P Glasziou Med J Aust ||  doi: 10.5694/mja2.52177

Les incidentalomes

"Vous demandez une angiographie pulmonaire par tomodensitométrie (CTPA) pour un patient suspecté de thromboembolie pulmonaire. Le rapport radiologique indique qu'aucune thromboembolie pulmonaire n'est observée mais signale la présence d'un nodule pulmonaire non apparenté. Que faire de cette découverte fortuite, ou "incidentalome" ?" Demandent les auteurs.

"Les incidentalomes sont des lésions, généralement asymptomatiques, détectées par hasard chez des patients qui subissent un examen d'imagerie pour une raison sans rapport.1 Ils apparaissent dans environ 15 à 30 % de tous les examens d'imagerie diagnostique et dans 20 à 40 % des examens de tomodensitométrie (TDM) et d'imagerie par résonance magnétique (IRM).1,2,3 L'utilisation croissante de ces examens d'imagerie, le vieillissement de la population et l'amélioration de la résolution d'image des appareils modernes sont à l'origine d'une augmentation des incidentalomes."1,4,5

Le problème pour radiologues et cliniciens est de trouver le bon équilibre entre sous-investigation de lésions potentiellement graves et surdiagnostic de lésions bénignes conduisant à leur sur-investigation.
L'article vise à analyser les lignes directrices actuelles et à proposer des recommandations pour les radiologues et les médecins traitants, afin de minimiser les prises en charge délétères et des soins de faible valeur ajoutée, n'apportant aucun bienfait au patient, et qui sont induits par ces incidentalomes.

Avantages et inconvénients de la détection précoce

Détecter une maladie grave ou évolutive pour mieux la traiter est évidemment un bénéfice des investigations et de la technologie modernes que personne ne conteste, mais ces améliorations sont à la source d'un nouveau défi, à savoir ne pas nuire à la personne examinée.

"..la plupart des incidentalomes s'avèrent bénins mais provoquent l'anxiété du patient et des préjudices dus aux cascades d'investigations, y compris les complications des procédures invasives telles que les biopsies, le risque de radiation de l'imagerie de suivi, les coûts indirects et l'utilisation des ressources pour les systèmes de soins de santé.6 Les incidentalomes résultent du fait qu'une technique d'imagerie a détecté par inadvertance des organes du corps humain qui n'étaient pas les organes cibles d'intérêt."

Les dépistages sont pourvoyeurs de ce genre de détections, bénignes et asymptomatiques.
Les auteurs reprennent l'exemple sus-cité :
"Par exemple, dans une étude sur les CTPA (angiographie pulmonaire par tomodensitométrie) réalisées dans un service d'urgence d'un hôpital tertiaire sur des patients suspectés de thromboembolie pulmonaire, un examen sur quatre a révélé une découverte fortuite (nodule pulmonaire ou glande lymphatique hypertrophiée), alors que la thromboembolie pulmonaire n'a été observée que chez un patient sur dix.7
D'après d'autres études, la majorité de ces nodules (85 % ou plus) s'avèreront bénins.8,9

La question qui se pose est donc celle de la stratification du risque de chaque incidentalome en fonction des facteurs de risque du patient, du contexte clinique et de la morphologie de l'image. Un nodule pulmonaire dense et spiculé sur un CTPA d'un gros fumeur de 58 ans est probablement malin et justifie une intervention. En revanche, une opacité molle mal définie chez un non-fumeur de 30 ans qui subit un CTPA est très probablement bénigne et l'intervention peut lui être préjudiciable."

Bien qu'il s'avère que ces découvertes bénignes sont en nombre croissant et prédominent largement par rapport aux "vraies" pathologies, la judiciarisation actuelle de la médecine, le traitement médiatiques des sujets de santé incitant à de la sur-consommation médicale, la conviction répandue qu'il vaut mieux faire trop que pas assez, le manque cruel d'information médicale et du public et des milieux journalistiques vont favoriser la surmédicalisation nuisible des personnes.
Même si par hasard on tombe sur une découverte fortuite de réelle lésion, à l'échelle populationnelle on ne constate aucune réduction de la mortalité.
Ce que les auteurs résument ici :

"Malgré la prédominance des maladies bénignes sur les maladies cliniquement importantes, l'incertitude diagnostique, les estimations inexactes du risque de maladie10, la réduction des préjudices potentiels en aval11, la médecine défensive12, la peur du patient et du clinicien13, les normes professionnelles14 et les biais cognitifs15 poussent les radiologues et les cliniciens traitants à "jouer la carte de la sécurité" et à favoriser l'intervention.

Pour un individu, la détection et l'ablation d'une masse fortuite considérée comme bénigne mais confirmée ultérieurement comme cancéreuse est considérée comme un avantage évident. Mais au niveau de la population, les études montrant une augmentation substantielle des diagnostics de cancer du rein au cours des 20 dernières années en raison de l'augmentation de l'imagerie ne montrent aucune réduction de la mortalité associée au cancer mais plutôt une augmentation des taux de néphrectomies en cas de suspicion de cancer."16,17

(Cette notion contre-intuitive selon laquelle toujours plus de dépistages ne se traduisent pas, comme attendu, par un gain de survie a été mise en lumière dans cette récente meta-analyse d'essais cliniques randomisés. )

Fréquences variables des incidentalomes

"La caractérisation des incidentalomes et l'évaluation de leur potentiel d'évolution vers une maladie grave se sont avérées difficiles. La fréquence rapportée des incidentalomes détectés dans les mêmes organes varie considérablement.1,2,3 Cela peut refléter une prévalence* différente des incidentalomes dans différentes populations de patients (par exemple, l'ethnie et l'âge), ou des différences dans la façon dont les radiologues effectuent les prises de vue, classent et rapportent les incidentalomes.
*Prévalence : nombre de cas d'une maladie dans une population à un moment donné, comprenant les anciens cas plus les nouveaux cas arrivants.

La proportion d'incidentalomes qui s'avèrent malins varie également considérablement, en raison de la variation de la durée et du type de suivi, et de l'ampleur de la confirmation histologique motivée par le biais de l'investigation.18
Moins de 5 % des lésions impliquant le cerveau, la parotide et la glande surrénale s'avèrent malignes, tandis que les incidentalomes rénaux, thyroïdiens, ovariens, pancréatiques et mammaires sont classés comme malins dans 25 à 40 % des cas.1,2,19
Cependant, les cancers se répartissent entre tumeurs indolentes ou in situ et de tumeurs à croissance rapide, si bien que la classification binaire cancer/non-cancer est trompeuse sur le plan du pronostic et favorise le surtraitement des cancers non évolutifs."

Autrement dit, le surdiagnostic est aussi le fait des analyses anatomo-pathologiques, conduisant à un surclassement des lames examinées, par prudence, pour être sûr que le maximum sera fait pour le patient, "au cas où".

En effet, l'évolution d'une tumeur trouvée incidemment est un paramètre inconnu.
Le schéma de la croissance linéaire et prévisible du cancer est mis à mal par les connaissances modernes en cancérologie. Le modèle intuitif et intellectuellement commode selon lequel une tumeur est d'abord petite, puis va croître de façon prévisible et va pouvoir être empêchée de menacer la vie grâce à la détection précoce ne tient pas, confronté aux faits.
Les tumeurs réellement dangereuses et agressives sont souvent à croissance très rapide et d'emblée à caractéristiques biologiques péjoratives, les tumeurs indolentes sont à croissance plutôt lente, l'hôte meurt "avec" son cancer et pas "à cause" de lui.
Certaines tumeurs croissent puis cessent leur évolution, d'autres régressent.
Certaines métastasent avant même d'être visibles en imagerie.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

Mais l'évolution de la tumeur qu'on a fortuitement découverte, ce qu'on appelle son "histoire naturelle", son potentiel évolutif ne sont pas connus, ne sont pas prévisibles, ce qui fait que toute découverte sera traitée puisqu'on ne peut pas prendre de pari sur son potentiel évolutif.
Ainsi le surtraitement de lésions bénignes est nettement plus fréquent parce que la présence de lésions cancéreuses in situ ou latentes et non évolutives est beaucoup plus fréquente que ce qu'on imaginait. Tout cancer ne se manifeste pas et ne menace pas la vie, être porteur d'une lésion cancéreuse ne signifie pas automatiquement et inéluctablement être "malade" du cancer.
En revanche toute découverte conduira à une prise en charge médicalisée de même
agressivité, que la lésion soit de faible potentiel malin ou pas.

Prise en charge des incidentalomes

Les auteurs écrivent :

"Les recommandations des radiologues aux cliniciens référents sur la manière de gérer un incidentalome doivent reposer sur une prédiction précise du risque et sur la prise en compte du rapport bénéfice/risque des examens et procédures complémentaires, des préférences du patient, de la durée de vie escomptée, de la lourdeur des comorbidités20 et de l'utilisation des ressources. Il manque souvent une compréhension de l'histoire naturelle et des caractéristiques pronostiques de nombreux incidentalomes (peu d'études de cohortes à long terme)21 , ainsi que des avantages, des inconvénients et du rapport coût-efficacité d'une prise en charge spécifique (peu d'essais contrôlés)22.

Les lignes directrices pour la prise en charge des incidentalomes, inexistantes pour de nombreux organes, s'adressent généralement aux radiologues et mettent l'accent sur la taille, la localisation et l'anatomie de la lésion pour estimer la probabilité de malignité.23 Cependant, cette probabilité n'est pas autrement quantifiée dans la plupart des rapports que : "probablement bénin", "suspect" ou "très suspect".
Pour certaines lésions, comme les kystes du pancréas, les comptes rendus "probablement bénins" comportent encore trop souvent des recommandations pour une imagerie plus sensible afin d'obtenir une caractérisation plus fine, des scanners en série pour évaluer les changements structurels au fil du temps, ou même une imagerie du corps entier pour exclure les métastases.24
Dans les cas impliquant d'autres organes, les radiologues peuvent émettre des recommandations très différentes, reflétant l'incertitude persistante autour du pronostic.
Les lésions très suspectes ou celles qui présentent des biomarqueurs nettement élevés (par exemple, l'antigène prostatique spécifique dans le cancer de la prostate, les taux hormonaux dans les cancers de la surrénale) justifient clairement une intervention, mais il s'agit là de rares exceptions plutôt que de la règle."1,2,3

Recommandations pour réduire les soins de faible valeur induits par
les incidentalomes

Les auteurs concluent leur article en émettant des recommandations afin de limiter ces sur-détections inutiles qui impacteront lourdement la vie, sur le plan et physique et psychologique, des patients. Les voici traduites et restituées :

Éviter les examens d'imagerie injustifiés

Les incidentalomes seront moins nombreux si l'on demande moins d'imagerie dans les situations où des règles de décision validées permettent d'exclure certains diagnostics sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'imagerie.
Dans une étude menée dans un hôpital, 55 % des CTPA demandés pour exclure une thromboembolie pulmonaire auraient pu être évités en utilisant les scores de Wells (score diagnostiques pour évaluer la probabilité des phlébites et d'une embolie pulmonaire, NDLR), et les dosages de D-dimères (recherche de fragments de fibrine dans le sang, principale composante des caillots sanguins, NDLR).25

Sensibiliser aux risques potentiels

Les cliniciens doivent être conscients du risque de préjudice lié à l'utilisation d'imagerie hyper-précise et en discuter explicitement avec les patients, qui sont actuellement rarement informés du risque de découverte fortuite lors de la prescription d'examens radiologiques26.

Améliorer la caractérisation des incidentalomes et la
stratification des risques

Tous les radiologues devraient se familiariser avec les revues d'études systématiquement développées pour les incidentalomes communs et spécifiques aux organes, qui mettent l'accent sur les caractéristiques permettant de distinguer les lésions bénignes des lésions cliniquement importantes, en fonction de la modalité d'imagerie.

Plusieurs études de ce type ont été publiées récemment.27 Les modèles de prédiction des risques multiples qui intègrent les caractéristiques des lésions et des patients méritent d'être davantage utilisés, tandis que les nouvelles applications d'imagerie basées sur l'apprentissage automatique peuvent être encore plus performantes pour prédire la malignité des nodules thyroïdiens et pulmonaires, par exemple.28,29
A un niveau plus élémentaire, lors de l'interprétation d'une nouvelle image, la récupération d'images ou de rapports antérieurs permet d'identifier les incidentalomes préexistants et tout changement d'intervalle suggérant une maladie évolutive. Cela nécessite une meilleure mise en réseau et une plus grande inter-opérabilité des différents systèmes électroniques de radiologie afin de permettre un transfert transparent de ces informations.
L'accès des radiologues aux dossiers médicaux électroniques peut également rendre les facteurs de risque pertinents plus visibles pour les radiologues (par exemple, fumeur, cancers antérieurs) lors de l'interprétation des incidentalomes, plutôt que de s'appuyer sur des formulaires de demande qui peuvent parfois être obscurs.

Optimiser les recommandations de prise en charge

Au niveau du système, les radiologues et les spécialistes d'organes devraient collaborer à l'élaboration de recommandations explicites pour la prise en charge d'incidentalomes spécifiques,30 plutôt que de confier ces décisions aux médecins traitants.
Aux États-Unis, l'American College of Radiology a mis en place un 'Incidental Findings Committee' qui, à ce jour, a produit 14 lignes directrices pour les incidentalomes, créées par consensus entre les spécialistes de l'imagerie et les cliniciens31.

En pratique, dans une étude ciblant les kystes ovariens fortuits, une telle collaboration a vu l'adhésion aux lignes directrices passer de 50 % à 80 %.
La prise en charge excessive des cas (c'est-à-dire le suivi inutile ou trop fréquent) a diminué de 34 % à 10 %.32
Au niveau du patient individuel, la prise en charge des lésions indéterminées pourrait impliquer une équipe multidisciplinaire de radiologues, de spécialistes d'organes et de cliniciens référents, dans laquelle le partage d'informations sur les facteurs de risque du patient et d'autres variables contextuelles pourrait aider l'interprétation et les conseils du radiologue, et assurer un bilan diagnostique opportun des incidentalomes.33
Ces efforts peuvent être facilités par un logiciel en réseau qui permet de transmettre aux cliniciens traitants et au personnel chargé d'assurer le suivi du patient des rapports radiologiques standardisés contenant des textes relatifs aux incidentalomes et à leur prise en charge mis en évidence 34.

Emettre des rapports médicaux précis et prudents

Les incidentalomes considérés comme probablement bénins doivent être explicitement signalés comme tels, sans pré-supposé d'un potentiel malin. Les recommandations faites aux médecins traitants de procéder à des examens complémentaires doivent, dans la mesure du possible, citer la directive pertinente, tout en tenant compte des préférences du patient.

Inclure dans les essais cliniques des rapports sur les résultats
des incidentalomes

Les essais cliniques impliquant des examens d'imagerie (par exemple, l'utilisation de la coronarographie par tomodensitométrie pour stratifier le risque chez les patients souffrant de douleurs thoraciques) devraient recueillir des données sur les incidentalomes identifiés et les conséquences pour les patients résultant de leurs investigations.
Cela fournirait ainsi des données prospectives supplémentaires sur leurs
caractéristiques et leur histoire naturelle.

Conclusion des auteurs

"L'utilisation croissante de l'imagerie médicale va probablement entraîner la détection d'un plus grand nombre d'incidentalomes, ce qui peut conduire à un interventionnisme inapproprié.
Une meilleure sensibilisation des cliniciens et des patients à ce risque, l'application d'une approche plus factuelle et basée sur le risque aux demandes d'imagerie, l'application d'une approche plus factuelle et basée sur le risque à la déclaration des incidentalomes sont des stratégies de correction potentielles.

Étant donné que la certitude dans l'interprétation de tous les incidentalomes restera difficile à atteindre, toutes les parties concernées devront peut-être accepter un certain niveau de risque lorsqu'elles décideront de la nécessité d'un examen plus approfondi.
Il est impératif de prévenir les préjudices psychologiques et physiques causés aux patients par la surdétection et la surinvestigation des incidentalomes d'imagerie, ainsi que de limiter les coûts liés à ces pratiques, rendant inévitablement les soins de santé plus difficiles d'accès pour d'autres patients qui en ont davantage besoin."

En d'autres termes, la surmédicalisation d'une partie de la population a pour corollaire la sous-médicalisation d'une autre.

Si on veut aboutir à un juste accès des soins pour toute la population, il faut déjà éviter la surconsommation inutile d'imagerie et de suivis qui en découlent.

Références

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Réduction de mortalité imputable au dépistage ? On en reparle

Publication JAMA

Synthèse par Cancer Rose, 18/01/2024

Question

Quelles sont les associations entre dépistage du cancer du sein, traitement du cancer du sein de stade I à III et traitement du cancer du sein métastatique avec l’amélioration de la mortalité par cancer du sein aux États-Unis entre 1975 et 2019?

Résultats

Les améliorations du traitement et du dépistage après 1975 ont été associées à une réduction de 58 % de la mortalité par cancer du sein en 2019, passant d’environ 64 décès sans intervention à 27 pour 100 000 femmes (ajusté en fonction de l’âge). Environ 29 % de cette réduction était associée au traitement du cancer du sein métastatique, 25 % au dépistage et 47 % au traitement du cancer du sein de stade I à III.

Signification et conclusion

Sur la base de 4 modèles de simulation, le dépistage du cancer du sein, le traitement du cancer du sein de stade I à III et le traitement du cancer du sein métastatique ont été associés à une réduction de la mortalité par cancer du sein entre 1975 et 2019 aux États-Unis.

Limites et critiques

Selon les auteurs :

Cette étude comporte plusieurs limites.
Premièrement, l’exactitude du modèle dépend des hypothèses formulées, pour lesquelles les données exactes n’étaient pas toujours disponibles.
Deuxièmement, les modèles ne tenaient pas compte des disparités potentielles, par exemple, selon l’âge, la race et l’origine ethnique, dans la diffusion ou l’efficacité du dépistage et des traitements. Les disparités dans le dépistage du cancer du sein, ainsi que la rapidité et la qualité du traitement, peuvent contribuer aux taux différentiels de mortalité par cancer du sein.
Troisièmement, les coûts du traitement et leurs liens avec les résultats n’ont pas été inclus dans les modèles.

Critique Cancer Rose, par Dr V.Robert, statisticien

Il y a surtout au moins un problème majeur : l'estimation des réductions de mortalité est faite par rapport à la  mortalité sans intervention (en l'absence de dépistage et de chimiothérapie) estimée par les modèles .
Pour obtenir cette mortalité sans intervention en 2019, on applique la létalité de 1975 (avant dépistage et chimiothérapie, donc sans intervention) aux cancers de 2019 (le processus est un peu plus complexe mais ça revient à ça).
Comme l'incidence des cancers a augmenté, du fait du dépistage, cela conduit à une mortalité théorique en augmentation, passant de 48 décès / 100 000 (mortalité réelle sans
intervention) en 1975 à 65 décès / 100 000 (mortalité sans intervention estimée par le modèle) en 2019.
Le problème c'est que l'augmentation de l'incidence des cancers est essentiellement due au dépistage, donc pour une large part à des surdiagnostics dont la létalité est nulle. La
létalité modélisée de 1975 n'a donc aucun sens pour les cancers de 2019 qui comportent des surdiagnostics.

Une meta-analyse récemment publiée faisait état d'aucun gain en durée de vie par dépistages, ce qui posait des questions plus perturbantes sur la pertinence du maintien et surtout de la promotion des dépistages sans information auprès des populations-
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2023/10/17/pas-de-prolongement-de-la-duree-de-vie-grace-aux-depistages/

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