Dépistage et femme âgée

8 août 2023, par Cancer Rose

Selon cette étude de cohorte réalisée sur 54 635 femmes âgées de 70 à 85 ans et plus, aucune réduction significative de mortalité par cancer du sein n'a pu être mise en évidence.
En revanche le pourcentage estimé de surdiagnostic variait entre 31% et 54%, avec une augmentation de cette proportion l'âge avançant.
D'autres études antérieures mettaient déjà fortement en doute l'intérêt du dépistage chez les femmes âgées, et l'effet délétère des traitements lourds sur ces organismes fragilisés et à prendre d'autant plus en compte.

https://www.acpjournals.org/doi/abs/10.7326/M23-0133?af=R&journalCode=aim

 Selon cette étude de cohorte réalisée sur 54 635 femmes de 70 ans à 74 ans, de 75 à 84 ans et de plus de 85 ans, aucune réduction significative de mortalité par cancer du sein n'a pu être mise en évidence.
En revanche le pourcentage estimé de surdiagnostic varierait entre 31% et 54%, avec une augmentation de cette proportion plus l'âge avance.

Ces résultats rejoignent ceux d'une étude antérieure, de 2014, d'universitaires de Leyden, Pays Bas.
Selon les auteurs, après 70 ans, le dépistage organisé du cancer du sein serait inutile. En effet, à cet âge, la pratique du dépistage n'améliore pas de façon significative la détection des cancers aux stades avancés mais fait en revanche bondir le nombre de surdiagnostics et donc de surtraitements.

Aux Pays-Bas, le dépistage du cancer du sein est proposé aux femmes jusqu'à 75 ans depuis la fin des années 1990. «Pourtant, rien ne prouve que le dépistage chez les femmes plus âgées est efficace », expliquent les auteurs de l'étude, mentionnant aussi le fait que peu d'essais aient été réalisés spécifiquement sur ces groupes d'âge.
Pour les chercheurs néerlandais, le dépistage systématique après 70 ans entraînerait surtout la détection et donc les traitements de lésions qui n'auraient pas évolué en maladie durant la vie des patientes.

Ces traitements inutiles entraînent un impact sur la santé trop important, et une co-morbidité trop lourde chez ces personnes âgées, qui supportent moins bien les effets secondaires des traitements, chirurgicaux, des radiothérapies et des chimiothérapies.

Les auteurs de l'étude américaine ici posent également la question de savoir si les bénéfices sont vraiment suffisamment importants, et qui ils concernent réellement pour contrebalancer les effets néfastes des surdiagnostics. Cette question reste en suspens.

Lien connexe : https://cancer-rose.fr/2019/04/07/la-campagne-pour-le-depistage-de-la-femme-agee-par-le-college-national-des-gynecologues-et-obstetriciens-de-france-cngof/

Faut-il freiner chez la femme âgée ?

C'est une question que pose le JAMA, en 2019, et dont nous parlions ici : https://cancer-rose.fr/2019/02/06/depistage-chez-la-femme-agee/

Les auteurs relatent les résultats d'une étude portant sur l'efficacité de techniques numériques assistées par ordinateur pour aider le radiologue à détecter des zones suspectes.
Cette vaste étude de 2013, donnait, chez les femmes âgées de 65 à 84 ans, des résultats mitigés : la technologie a détecté certains cancers au stade précoce mais n’a pas augmenté la détection en général et a conduit à davantage de faux-positifs. Il n'est pas certain que la santé des femmes âgées se soit améliorée grâce à cette technologie.
FentonJJ,XingG,ElmoreJG,etal.Short-term outcomes of screening mammography using computer-aided detection: a population-based study of Medicare enrollees. Ann Intern Med. 2013; 158(8):580-587. doi:10.7326/0003-4819-158-8- 201304160-00002

Des doutes d'efficacité existent aussi pour l'utilisation de la tomosynthèse chez les femmes âgées, et l'article suggère que bien que les nouvelles technologies de dépistage du cancer du sein aient largement supplanté la mammographie analogique sur film, il est difficile de savoir si ces avancées ont réellement amélioré la santé des femmes en particulier chez celles de 75 ans et plus.

En conclusion

Il est, une fois de plus, démontré que le dépistage du cancer du sein dans les tranches d'âge au-delà de 74 ans est associé à une plus grande incidence du cancer du sein, ce qui suggère un surdiagnostic augmentant en fréquence avec l'âge.
Les méfaits du surdiagnostic ne semblent pas équilibrés par des bénéfices en termes de diminution des formes avancées de cancer.

Il convient de ce fait de rester très prudent et le moins intrusif possible chez ces patientes dont le système immunitaire est affaibli.
Tous les organes s'épuisent et fonctionnent moins bien avec l'âge, les facultés de cicatrisation, de régénération tissulaire sont moindres, tout cela est en prendre en compte dans l'administration des traitements lourds, comportant eux-mêmes des risques et des complications, pouvant être fatals au grand âge..

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Cancer du sein, le risque du travail de nuit

7 août 2023

Lorsqu'on parle des facteurs de risque des cancers, pour certains, ces facteurs de risque sont facilement identifiables : l'amiante pour le mésothéliome (un cancer de la plèvre), le tabac pour le cancer broncho-pulmonaire.

Dans le cadre du cancer du sein les choses sont plus complexes. Il y a les facteurs de risque connus, et ceux dits 'probables'.

Les facteurs de risque reconnus comme tels :

✹  l’âge (cancer statistiquement plus fréquent au-delà de 50 ans) ;
✹  le sexe (cancer très nettement plus fréquent chez la femme) ;
✹  les personnes ayant une prédisposition génétique (altération du gène BRCA1 ou BRCA2, dont la fonction est de réparer des lésions de l’ADN que la cellule du sein a pu subir) ;
✹  des examens irradiants répétés de la zone thoracique (radios, scanners).

Les facteurs de risque possibles :

✹ l’obésité ;
✹ l’activité physique insu sante ;
✹ la prise de contraceptifs œstroprogestatifs (la pilule)
✹ un environnement industriel ou agricole nocif ;
✹ le travail en horaires décalés et le travail de nuit ;
✹ le tabagisme, actif ou passif
✹ la consommation d’alcool ;
✹ une puberté précoce ;
✹ une première grossesse tardive ;
✹ le choix de l’allaitement artificiel
✹ une ménopause tardive ;
✹ la prise d’un traitement hormonal de la ménopause

Extrait du livre "Mammo ou pas mammo?", Ed. T.Souccar, pages 20/21

En 2012, des chercheurs de l’Inserm (Unité Inserm 1018 « centre de recherche en épidémiologie et santé des populations ») publient dans l’International Journal of Cancer une étude montrant que le risque de cancer du sein est augmenté chez les femmes travaillant de nuit.
L’étude réalisée en France et baptisée CECILE a comparé le parcours professionnel de 1200 femmes ayant développé un cancer du sein entre 2005 et 2008 à celui de 1300 autres femmes.

Déjà en 2010, le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC) avait classé le travail entraînant des perturbations du rythme circadien comme « probablement cancérigène ».
Stevens RG, Hansen J, Costa G et al. Considerations of circadian impact for defining ‘shift work’ in cancer studies: IARC Working Group Report. Occup Environ Med. 2010; 68: 154-162. Rapport du groupe de travail du CIRC pour proposition sur la façon d’évaluer le travail posté dans le cadre des futures études épidémiologiques.

Les chercheurs de l'INSERM mettent en évidence un risque de cancer du sein augmenté d’environ 30% chez les femmes ayant travaillé de nuit par rapport aux autres femmes.
Cette augmentation du risque, disent encore les scientifiques, était particulièrement marquée chez les femmes ayant travaillé de nuit pendant plus de 4 ans, ou chez celles dont le rythme de travail était de moins de 3 nuits par semaine, entraînant ainsi des décalages de phase plus fréquents entre le rythme de jour et le rythme de la nuit.

Une autre conclusion était que cette association entre travail de nuit et cancer du sein semblait plus marquée lorsqu'il s'agissait de travail de nuit effectué avant la première grossesse, probablement en raison d'une plus grande vulnérabilité des cellules mammaires chez la femme avant le premier accouchement.

Les mécanismes de cet impact du travail de nuit sur le sein seraient les suivants :

  • l’exposition à la lumière durant la nuit qui supprime le pic nocturne de mélatonine, hormone ayant une action anti-cancérigène ;
  • la perturbation du fonctionnement des gènes de l’horloge biologique qui contrôlent la prolifération cellulaire ;
  • les troubles du sommeil pouvant affaiblir le système immunitaire luttant contre les cellules cancéreuses que l'organisme peut produire.

Un cas faisant jurisprudence

Un article dans Libération au mois de mars dernier nous apprend le cas d'une ancienne infirmière de 62 ans, ayant travaillé au Centre hospitalier de Sarreguemines (Moselle) au service de radiologie puis de gynécologie entre 1981 et 2009. Pendant 28 ans, elle a ainsi cumulé 873 nuits de travail - soit environ une par semaine, et elle a contracté un cancer du sein.
La pathologie de cette femme vient de lui être reconnue comme maladie professionnelle.

Un médecin-expert dans le dossier relate : «On peut affirmer qu’il existe un lien direct et essentiel entre le cancer du sein dont elle est victime et le travail effectué auparavant» 

Ce cas pourrait faire jurisprudence et si le cancer du sein est inscrit dans le tableau de reconnaissance de maladies professionnelles, ceci amènerait à d'autres reconnaissances de maladies professionnelles chez les travailleurs de nuit.
Et c'est important car ainsi les victimes n’auraient plus besoin de prouver le lien entre leur maladie et leur travail.

Mauvaise documentation de l'impact du travail de nuit et mauvaise reconnaissance chez la femme.

En 2016 nous avions déjà publié un article sur le sujet.

En Europe et aux États-Unis, le travail de nuit a augmenté ces dernières décennies et concerne 19 à 25 % de l’ensemble des travailleurs.
Pourtant les études sur le risque de cancer du sein en milieu professionnel fait l’objet de peu d’attention, et le manque d’intérêt est d’autant plus paradoxal que le dépistage précoce du cancer du sein chez la femme, lui, fait l’objet de campagnes et d'effort de stimulations extrêmes de la part des autorités sanitaires pour augmenter la participation des femmes, et ce en dépit de résultats bien décevants du dépistage.

Alors que la pathologie cancéreuse est identifiée comme première cause de décès par le travail en Europe et alors que cette maladie est en progression constante depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique ignorent la contribution de l’activité 'travail' à ce phénomène, comme le détaille très bien cet article dans The Conversation.

Il faut attendre 2023 pour voir menés des travaux sur l'impact du travail sur la santé des femmes, l'étude des risques au travail s'étant jusqu'à présent concentrée sur la population masculine.
"Le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes est à l’origine d’impensés féminins dans la conception et la mise en œuvre des politiques de santé au travail." dit le rapport.
Un des grands axes de ce travail est de "chausser les lunettes du genre" pour comprendre, mais aussi pour développer une vraie prévention du cancer à l'attention des femmes, le dépistage, rappelons-le, n'en étant pas une.

L'article dans The Conversation rapporte :
"La récente médiatisation autour de la reconnaissance d’un cancer du sein en maladie professionnelle chez une infirmière ayant travaillé de nuit permet par exemple de rappeler que loin d’être une fatalité pour les femmes, ce cancer peut aussi être le résultat de conditions de travail pathogènes, comme le travail de nuit, l’exposition aux rayonnements ionisants et, selon l’Anses, plusieurs dizaines de molécules chimiques présentes dans l’espace productif. Et qu’il est, à ce titre, lui aussi évitable, à condition de prévenir ces risques cancérogènes à leur source, au travail."

Vraie volonté politique ou affichage ?

C'est aussi la question que pose The conversation.

"Inscrite dans la feuille de route du gouvernement et des partenaires sociaux au sein du Plan santé travail 2021-2025, et dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers, la prévention des cancérogènes en milieu de travail pourrait ne demeurer qu’un simple affichage.
La pénurie actuelle de médecins du travail et d’inspecteurs du travail en fait craindre l’hypothèse. Pour mettre un terme à cette épidémie silencieuse de cancers du travail, il y a urgence à remettre en cause les conditions de travail pathogènes et à revendiquer une intervention plus contraignante de l’État dans le monde du travail pour garantir le droit à ne pas y perdre sa vie."

Conclusion

Dans le dossier de l'infirmière mosellane, d’autres facteurs de risque probables ont été notés : rayonnements ionisants, perturbateurs endocriniens et produits chimiques pour stériliser du matériel médical.

En effet, très fréquemment, les causes de cancer sont multiples et intriquées, et des milliers de personnes sont exposées à des cancérogènes, en toute légalité dans l’exercice de leur profession. 

Mais, alors que le cancer est identifié comme la première cause de décès par le travail en Europe et en constante progression depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique occultent soigneusement l'impact du travail, et notamment celui du travail de nuit féminin sur un organe particulièrement sensible, le sein, préférant largement focaliser sur un dépistage du cancer du sein qui a failli à sa mission de diminution des formes graves et d'allègements thérapeutiques.
Les campagnes de prévention primaire, quand elles existent, mettent l'accent également très lourdement sur les facteurs comportementaux individuels, qui ne sont certainement pas à ignorer, mais qui ne sont pas exclusifs.

Seule bonne nouvelle, la mortalité par ce cancer diminue depuis les années 90, dépistage ou pas, concernant même les cancers avancés, en premier lieu imputable aux avancées thérapeutiques ce que suggère une étude parue récemment, malheureusement régulièrement citée comme victoire du dépistage dans la presse.

Mais ce serait quand-même tellement plus logique et plus intelligent de lutter en amont contre les facteurs de risques de la maladie plutôt qu'en aval, et notamment contre les facteurs de risque au travail, plutôt que de gaspiller tant de moyens logistiques, humains et financiers pour un dépistage décevant, dont la faillite est aggravée d'une désinformation des femmes inexcusable, non éthique, et de campagnes marketing outrancières à chaque mois d'octobre.

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La guerre de la mammo n’aura de fin

Traduction et restitution du texte par Cancer Rose, 31/07/2023

Pourquoi les nouvelles lignes directrices recommandant le dépistage à 40 ans ne peuvent pas mettre fin à la guerre des mammographies

Par Asia Friedman, 27 juillet 2023

Asia Friedman est professeur agrégé de sociologie à l’Université du Delaware et auteur du livre « Mammography Wars : Analyzing Attention in Cultural and Medical Disputes » (Rutgers).

Les nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein émises par le groupe de travail américain sur les services préventifs (United States Preventive Services Task Force) paraissent mettre fin à un débat qui dure depuis des décennies sur la date à laquelle les femmes doivent commencer à passer des mammographies. L'agence recommande désormais de commencer à 40 ans*, annulant ainsi la recommandation de 50 ans qui était en vigueur depuis 2009. Ce changement l'aligne sur d'autres organisations d'experts telles que l'American College of Radiology (bien que les deux diffèrent encore sur la question de savoir si les femmes devraient subir une mammographie tous les ans ou tous les deux ans).

*Voir à ce sujet notre article : https://cancer-rose.fr/2023/05/15/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/

Malgré ce nouveau consensus apparent, la "guerre des mammographies" n'est pas terminée.

La mammographie a beau être pratiquée 40 millions de fois par an aux États-Unis, elle reste l'un des sujets les plus controversés de la médecine. Hormis la récente convergence sur les lignes directrices relatives à l'âge, les experts restent divisés sur la meilleure façon de définir et de mesurer les bénéfices et les risques de la mammographie, et en plus sur la validité de l'idée même de détection précoce.

Ce n'est pas parce que nous ne disposons pas de suffisamment de données. Aucun dépistage médical - en fait, peut-être aucune autre condition médicale - n'a été plus examiné que la mammographie.

Deux schémas de pensée différents

Au contraire, comme le suggère ma recherche, deux partis interprètent les données existantes selon des critères de signification différents.
Sur la base de dizaines d'entretiens avec des scientifiques, des médecins et des patientes, j'identifie deux schémas de pensée dominants au cœur des conflits sur la mammographie : l'interventionnisme et le scepticisme.

En bref, les interventionnistes croient fermement aux bénéfices de la détection précoce et minimisent tout préjudice possible du dépistage. Ils critiquent donc tout effort visant à retarder l'âge recommandé pour les mammographies ou à réduire la fréquence du dépistage.

Les sceptiques sont moins confiants dans l'efficacité du dépistage par mammographie et accordent plus d'importance aux préjudices du dépistage, qu'ils définissent d'ailleurs de manière plus large que les interventionnistes. Ils préconisent donc généralement de retarder l'initiation et de ralentir la fréquence des mammographies pour limiter ces risques.

Fondamentalement, les perspectives différentes des sceptiques et des interventionnistes dépendent de leur conviction que la détection précoce présente des bénéfices incontestables. La détection précoce est devenue une logique culturelle par défaut, en grande partie en raison des messages de santé publique de longue date qui insistent sur les bénéfices d'un diagnostic précoce pour de nombreuses maladies.

Les médecins sceptiques et les chercheurs en cancérologie remettent en question ce discours dominant sur les bénéfices de la détection précoce. Comme l'a déclaré un oncologue, "pendant des décennies, le message a été : 'L'outil le plus important est la mammographie', 'La mammographie sauve des vies', et il a donc été ... condensé en quelques mots ... qui ne laissent aucune place à l'incertitude quant aux bénéfices et ne mentionnent même pas les préjudices". Les sceptiques mettent en avant toute une série de préjudices potentiels liés au dépistage. Certains experts disent même que le dépistage déclenche une "cascade de préjudices".

Quels préjudices ?

Les préjudices les plus courants de la mammographie sont le stress et l'anxiété associés à des dépistages répétés en raison de résultats ambigus ou faussement positifs. "Nous essayons de trouver autant de cancers que possible", a déclaré un médecin de premier recours et chercheur en médecine, "et c'est la porte ouverte à un grand nombre de fausses alertes". On m'a également dit : "Je pense que nous avons pratiquement fait de la peur du cancer du sein un rite de passage pour les femmes américaines d'âge moyen".

Les estimations du taux de mammographies faussement positives varient, mais un article paru en 2020 dans Ethnicity & Health faisait état d'un risque de 20 à 65 % de recevoir un résultat faux-positif au cours de la vie, et un article paru en 2004 dans le Journal of the American Medical Association indiquait que 35 % des participantes avaient eu au moins une mammographie faussement positive. Parmi les patientes que j'ai interrogées, près des trois quarts avaient été rappelées au moins une fois pour un dépistage ou un test supplémentaire. Pour certaines, un nouveau dépistage a lieu à chaque fois qu'elles passent une mammographie, un processus qui peut prendre des mois.

Malgré cela, les interventionnistes ont tendance à rejeter l'idée que le dépistage peut être nuisible. Comme l'a expliqué le directeur d'un centre de lutte contre le cancer, "si vous aviez une balançoire à bascule et que d'un côté il y avait un bloc de béton de 100 livres, c'est le bénéfice. J'estime que les préjudices sont équivalents à une plume et c'est ce que j'empile de l'autre côté". Un radiologue m'a également dit que les critiques avaient "exagéré les aspects négatifs du dépistage".
Il a qualifié les inconvénients du dépistage de minimes : "l'anxiété et le désagrément d'être rappelée" et : "ne sont certainement pas l'équivalent de mourir d'un cancer du sein".

Un inconvénient moins connu du dépistage qui préoccupe particulièrement les sceptiques de la mammographie est le surdiagnostic, c'est-à-dire les cancers révélés par le dépistage qui se développent lentement ou qui ne sont pas dangereux de manière imminente. Pourtant, lorsque de tels cancers sont détectés, ils sont presque toujours traités, ce qui, selon les sceptiques, est plus néfaste que bénéfique, compte tenu de leurs caractéristiques biologiques relativement bénignes.

Voir notre article : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/

Il est difficile de mesurer le surdiagnostic car les cancers surdiagnostiqués sont généralement traités et sont donc très rarement identifiables en tant qu'exemples de surdiagnostic au niveau du patient individuel. Néanmoins, de nombreux experts s'accordent à dire que le surdiagnostic est réel et démontrable au niveau de la population. "Il y a un consensus, au moins dans la communauté scientifique, sur le fait qu'il s'agit d'un problème et qu'il faut s'y intéresser", a déclaré un chercheur en médecine.

Du point de vue des sceptiques, le surdiagnostic représente un changement de paradigme actuellement en cours dans la façon de penser le cancer. Comme l'a décrit un chirurgien et spécialiste du cancer du sein, "il existe un mantra selon lequel l'un des meilleurs moyens d'améliorer la guérison du cancer est de le détecter à un stade précoce". La détection précoce est basée sur un "modèle conceptuel de la maladie qui est linéaire", a-t-il expliqué, et ne prend donc pas en compte le surdiagnostic.

Voir l'article : https://cancer-rose.fr/2023/06/26/quest-ce-que-lhistoire-naturelle-du-cancer/

Pourtant, s'inquiéter du surdiagnostic n'aide pas à traiter les patients individuellement, affirment les interventionnistes. Comme l'a dit un radiologue, "le problème avec le concept de surdiagnostic est que nous n'avons aucun moyen de savoir quel cancer diagnostiqué tuera ou non le patient". Par conséquent, ce concept est "juste théorique" et ne devrait pas être pris en compte dans la détection et le traitement du cancer. Les interventionnistes affirment également qu'il est plus urgent de se concentrer sur le risque de sous-diagnostic, ou de non-détection de la maladie d'un patient. Les faux positifs ne sont peut-être pas une expérience agréable, mais comme l'a dit un médecin de famille, "je pense que c'est une conséquence plus acceptable que la mort d'un plus grand nombre de femmes".

Désaccord inconciliable

Malgré des décennies de recherche, les interventionnistes et les sceptiques ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la mammographie. La multiplication des données ne suffira pas à modifier les lignes de fracture fondamentales de ce désaccord, et les éternels débats sur l'opportunité de dépister les femmes d'une quarantaine d'années ne s'attaquent pas au cœur du conflit.

À moins d'une découverte scientifique révolutionnaire qui obligerait les deux partis à faire face aux limites de leurs opinions antérieures, notre meilleur espoir de sortir de cette impasse et de développer une nouvelle approche du dépistage réside dans un examen sociologique plus approfondi, sur la manière dont les croyances enracinées concernant la détection précoce et les bénéfices et préjudices du dépistage limitent la façon dont les experts, ainsi que nous-mêmes, sont capables de penser à propos de la mammographie.

Asia Friedman est professeur agrégé de sociologie à l'université du Delaware et auteur du livre "Mammography Wars : Analyzing Attention in Cultural and Medical Disputes" (Rutgers). (Les guerres de la mammographie/Analyser l'attention dans les conflits culturels et médicaux.)

A propos de ce livre

La mammographie est un examen médical de routine pratiqué quarante millions de fois chaque année aux États-Unis. Pourtant, elle reste l'un des sujets les plus controversés de la médecine, les organisations nationales de soins de santé soutenant des lignes directrices contradictoires. Dans Mammography Wars, la sociologue Asia Friedman examine les désaccords culturels et médicaux sur la mammographie. L'enjeu est de savoir s'il faut dépister les femmes de moins de cinquante ans, ce qui est enraciné dans des questions plus profondes sur la détection précoce et le développement supposé linéaire et progressif du cancer du sein. Sur la base d'entretiens avec des médecins et des scientifiques, d'entretiens avec des femmes âgées de 40 à 50 ans et de la couverture médiatique de la mammographie, Friedman utilise la sociologie de l'attention pour cartographier la structure cognitive des "guerres de la mammographie", offrant ainsi un aperçu de la nature enracinée des débats sur la mammographie, qui passe souvent inaperçue lorsque l'on applique un point de vue médical. L'analyse de Friedman suggère également le potentiel unique de la sociologie de l'attention pour analyser les conflits culturels au-delà de la mammographie, et même au-delà de la médecine.

Lire aussi : La Conspiration de l'espoir, livre de Renée Pellerin - https://cancer-rose.fr/2021/06/12/conspiration-de-lespoir-un-livre-de-renee-pellerin/

Cancer Rose est un collectif de professionnels de la santé, rassemblés en association. Cancer Rose fonctionne sans publicité, sans conflit d’intérêt, sans subvention. Merci de soutenir notre action sur HelloAsso.


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Leçons à tirer de la guerre des mammos

15 juillet 2023

Synthèse Cancer Rose

Lessons from the Mammography Wars

https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmsb1002538

https://joelvelasco.net/teaching/2330/Lessons_from_the_Mammography_W.pdf

Les auteurs :

  • Kerianne H. Quanstrum, M.D., Rodney A. Hayward, M.D. chirurgienne à l'University of Michigan;
  • Rodney A. Hayward, M.D., professeur de santé publique et de médecine interne à L'Université de Michigan.

Selon ces auteurs, la controverse sur le dépistage du cancer du sein était prévisible.

En 2002, L'USPSTF[1]recommandait des mammographies annuelles pour les femmes de 40 ans ou plus.
Tout à coup, voilà qu'un groupe indépendant financé par le gouvernement laisse entendre que ce barème était peut-être trop élevé, et que 'moins', en fait, c’était peut-être mieux.[2]

Les partisans du dépistage du cancer du sein, en particulier les radiologistes du sein, ont immédiatement pris des mesures, dénonçant les déclarations des membres du groupe comme velléités de rationnement des soins par le gouvernement, suggérant que les membres du panel avaient ignoré les preuves médicales, et même sous-entendant qu'ils étaient coupables d’un mépris total pour la vie et le bien-être des femmes.

Les sociétés savantes de spécialistes n'ont pas tardé à réagir et ont rapidement émis des lignes directrices contraires.[3]

En réalité,

Ce groupe de travail sur les services préventifs, groupe indépendant, avait simplement recommandé que la mammographie de dépistage systématique commence à l’âge de 50 ans, alors que les femmes âgées de 40 à 49 ans devraient décider individuellement avec leur médecin si leurs préférences et leurs facteurs de risque imposaient une indication de dépistage à un âge plus précoce.
Le comité avait également recommandé que les mammographies de dépistage soient effectuées tous les deux ans, ce qui, selon lui, réduirait les méfaits de la mammographie de près de la moitié tout en maintenant la plupart des avantages de l’imagerie annuelle. . .

En résumé, le groupe de travail avait conclu implicitement que nous avions déjà surestimé la valeur de la mammographie : la mammographie est bonne, mais pas si bonne; peut-être utiles à des femmes, mais pas à toutes; et qu’elle devrait être effectuée à une certaine fréquence, mais pas chaque année, ou pour chaque femme.

Derrière les conclusions du groupe d’experts au sujet de la mammographie se cache une réalité malvenue que notre profession a souvent omis de reconnaître.

Chaque intervention médicale, aussi bénéfique soit-elle pour certains patients, entraînera une diminution continue des rendements à mesure que le seuil d’intervention baissera, c'est à dire plus on élargit l'indication de cette intervention (ici le dépistage) à tout une population.
La mammographie n’est qu’un exemple, expliquent les auteurs.

Chez les femmes âgées de 40 à 49 ans, le taux de faux positifs est assez élevé et les avantages attendus sont faibles : plus de 1900 femmes devraient être invitées à subir une mammographie de dépistage afin de prévenir un seul décès dû au cancer du sein pendant 11 ans. . .Avec un coût direct de plus de 20 000 visites en imagerie mammaire et d’environ 2 000 mammographies faussement positives.
À l’inverse, pour les femmes âgées de 60 à 69 ans, moins de 400 femmes devraient être invitées à se soumettre à un dépistage afin de prévenir un décès par cancer du sein au cours des 13 années de suivi, tout en accumulant environ 5000 visites et 400 fausses mammographies positives.[4]
Cela signifie qu'à mesure que le risque de cancer du sein augmente (avec l'âge), les avantages de la mammographie augmentent, tandis que les préjudices relatifs, qui existent toujours, deviennent néanmoins progressivement moins importants.
Et l'inverse est vrai, à mesure que le risque de cancer du sein diminue (tranches d'âge jeunes et au-delà de 74 ans), les risques existants et connus deviennent prééminents.

Pour de nombreuses interventions, si le risque de ne pas traiter est suffisamment faible, alors ce sont les effets secondaires et les risques du traitement lui-même qui domineront, et le traitement induira des dommages bruts

Comme le risque de ne pas traiter varie considérablement chez les patients pour presque toutes les maladies ou affections, même une intervention dite très efficace montrera une variation des bénéfices dans une population donnée par rapport aux risques, lesquels sont inhérents à cette intervention.

Dans la situation d'une prise de décision médicale et pour le cas d’un patient donné, nous devons choisir de traiter ou non, de dépister ou non.
Pour nous aider à faire ces choix, notre profession s’efforce constamment d’élucider des seuils d’intervention clairs, comme des taux biologiques lors d'examens sanguins, ou l’âge, ou des intervalles de temps standard, comme pour le dépistage.

Ce dont nous ne nous souvenons pas assez souvent, nous disent les auteurs, c’est que ces seuils — par exemple, l’âge de 40 ans ou 50 ans, ou la mammographie annuelle par rapport à la mammographie de routine biennale — sont dans une certaine mesure subjectifs et arbitraires.
Après tout, les preuves scientifiques ne peuvent que nous aider à décrire le continuum entre bénéfices et risques.
L’évaluation de la question de savoir si le bénéfice est suffisant pour justifier le préjudice — c’est-à-dire la décision quand "faire" — cette évaluation se base nécessairement sur un jugement de valeur.

Dans la guerre de la mammographie de dépistage, chaque camp affirme que les données probantes suggèrent que les femmes devraient ou ne devraient pas subir une mammographie de routine à partir de l’âge de 40 ans.  
Mais ainsi on prive le public, selon les auteurs, de ce que les données probantes peuvent nous dire.
Les camps adverses ne font que porter des jugements de valeur différents sur l’endroit où fixer le seuil.
Mais qui a raison? Qui devrait porter ces jugements?
La réponse évidente pourrait être « la patiente et son médecin ». Mais il serait insensé de suggérer que chaque décision médicale devrait être prise à nouveau pour chaque patient sans des lignes directrices, et sans normes professionnelles.
On tourne en rond, puisque les lignes directrices dépendent aussi du panel du groupe d'étude....

Notre profession doit commencer à faire la distinction entre les choix qui sont clairs et ceux qui nécessitent une prise de décision personnalisée.


Extrait :

"A cette fin, pour la plupart des interventions, plutôt que de rechercher un seuil unique et universel d’intervention (ici le dépistage NDLR) (Fig. 1A), nous devrions argumenter sur un minimum de deux seuils distincts; nous devrions argumenter sur minimum deux âges distincts : un âge au-dessus duquel les avantages l’emportent clairement sur le risque de préjudice, auquel cas les cliniciens devraient recommander l'intervention; et un âge au-dessous duquel des préoccupations dominent clairement quant aux préjudices. Dans ce cas, les cliniciens devraient déconseiller cette intervention.
Entre ces deux seuils se trouve une zone grise de bénéfice net indéterminé, dans laquelle les cliniciens devraient s’en remettre aux préférences de la patiente, comprenant par exemple la réaction émotionnelle d’une femme au risque de cancer du sein, afin de décider d’intervenir ou non (Fig. 1B).

C'est justement une zone grise dans laquelle les femmes de la quarantaine se retrouvent avec les nouvelles directives mammographiques.
Lire à ce sujet : https://cancer-rose.fr/2023/05/15/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/

Les auteurs avancent que nous, praticiens, préférons généralement ignorer ces zones grises. Il est plus facile, après tout, de simplement abaisser le seuil d’intervention, de recommander la mammographie à toutes les femmes de 40 ans ou plus, plutôt que de se fier à des jugements individuels quant à savoir laquelle de ces femmes mérite réellement un dépistage.

Rentabilité

Mais, disent aussi les auteurs, l'approche actuelle est plus qu’une simple quête d’uniformité. Lorsqu’un service donné est étendu avec succès à un plus grand nombre de personnes avec plus d’intensité, la profession qui fournit ce service tend à croître en importance et en rentabilité.
Et de citer l'exemple américain : Aux États-Unis, où les médecins spécialistes jouissent souvent d’un statut élevé dans l’esprit de la population, si les experts crient haut et fort que chaque femme de 40 ans ou plus DOIT être dépistée annuellement pour le cancer du sein, alors le cancer du sein doit être important, le dépistage doit être un droit humain fondamental, et les médecins qui fournissent ce service doivent avoir une grande valeur et grande autorité (dans l'esprit du public).

On peut dire qu'en France nous connaissons les mêmes tendances, avec des "experts" ou des leaders d'opinions aux conflits d'intérêts bien celés qui ont néanmoins pignon sur rue à peu près librement dans n'importe quel média (radio, écrit, télévisé), surtout au moment d'octobre rose.(NDLR)

Dans toute industrie, nous acceptons l’idée comme naturelle que ceux qui fournissent un service ou un produit détiennent leurs propres intérêts et ceux de leurs actionnaires comme objectif principal.

Les auteurs avancent qu'il se passe le même mécanisme dans les soins de santé. Selon eux et bien qu’il soit vrai que les professionnels de la santé se soucient profondément de leurs patients, la tentation est grande des sociétés savantes professionnelles (par exemple pour le dépistage mammographique il s'agit des sociétés savantes de radiologie) de privilégier les intérêts de ses membres, et de gonfler la valeur réelle d'un dispositif, surtout lorsque cela est facile à faire (promotion sociétale et médiatique).

Des protections nécessaires


C’est pour cette raison qu’un certain degré de réglementation du marché est nécessaire, comme les lois sur la vérité dans la publicité.
Ce n’est que dans le domaine de la santé que nous n’avons pas reconnu la nécessité de protections analogues, critiquent les auteurs.
Ce n’est que dans le domaine des soins de santé, après tout, que le même groupe qui fournit un service nous dit aussi à quel point ce service est utile et combien nous en avons besoin, comme lorsque la Society of Breast Imaging établit les recommandations pour la mammographie.[5]

En cas de sur-utilisation dans les soins de santé, nous pouvons être sûrs que le système continuera tant que ceux qui ont un intérêt direct seront autorisés à gagner les guerres de la communication publique en criant au « rationnement » alors qu'on souhaite tout simplement rationaliser les soins de santé. Ou ils accuseront les membres des groupes de travail de « jury de la mort » dès lors que le panel émettra des conseils de prudence, ou à chaque fois que quelqu’un laissera entendre que plus de soins de santé, en fait, eh bien non, ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de meilleur.

NDLR : nous assistons en ce moment sur les réseaux sociaux à une guerre de communication sans merci entre le groupe canadien des soins préventifs, le CanTaskForce, en train de travailler sur des nouvelles recommandations, et des leaders d'opinion très bien relayés par la presse.[6]


Il est temps de changer les choses.

Les auteurs avancent :

"Nous devons reconnaître que, comme dans toute autre profession ou industrie, l’intérêt personnel est inévitablement à l’oeuvre dans le domaine des soins de santé. Plutôt que de reconnaître les lignes directrices de pratique offertes par les experts, nous devrions nous inspirer de la sagesse d’une saine gouvernance et mettre en place un système de freins et de contrepoids en ce qui concerne l’interprétation et l’application des données probantes médicales.
En même temps, nous devons reconnaître que ces deux tâches (interprétation et application) sont distinctes.

Bien que l’interprétation de la preuve médicale soit (ou devrait être) un exercice scientifique, l’application de cette preuve, comme dans l'élaboration de lignes directrices, est en définitive un exercice social."

Les décisions concernant les lignes directrices sur la pratique peuvent et doivent certainement être fondées sur des données probantes. Mais elles exigeront toujours des jugements de valeur émanant de patients pour dicter les soins, et se réfèreront à des réflexions sur : dans quelle mesure les coûts pour leur application pourront être engagés ?

En séparant l'examen des données probantes et la formation de lignes directrices, les désaccords fondés sur la qualité ou la substance des données probantes peuvent s'exprimer séparément des désaccords concernant les répercussions de ces lignes directrices sur les soins cliniques et sur les patients.


"Idéalement, nous devrions avoir un système dans lequel des groupes de généralistes indépendants, possédant une expertise dans les méthodes d’examen et de synthèse des données probantes, seraient chargés de synthétiser objectivement les données médicales sur une question ou un processus de soins donné.
Ces groupes indépendants pourraient ensuite solliciter les commentaires des groupes de cliniciens concernés afin de savoir ce qu’ils pensent des données probantes et où ils situeraient les seuils pour recommander les soins par rapport au processus décisionnel individualisé.
Pour faciliter l’impartialité et la visibilité politique, il serait peut-être préférable de créer une alliance entre les secteurs public et privé, avec un financement et une représentation des groupes indépendants provenant du gouvernement, de fondations privées et de groupes de fournisseurs et de payeurs.
En outre, contrairement aux groupes spéciaux ponctuels ou occasionnels, ce processus d’examen des preuves et de formation de lignes directrices devrait être financé adéquatement pour permettre des mises à jour régulières à mesure que de nouvelles preuves seront disponibles.
Les récentes propositions visant à accroître les dépenses de recherche sur l’efficacité comparative sont certainement louables, mais il est irréaliste de penser qu’un investissement dans la recherche à lui seul aura un effet considérable sur la pratique de la médecine, sans un investissement concomitant dans un processus crédible d’examen des preuves médicales et des lignes directrices en matière de soins cliniques."

Quanstrum et Hayward écrivent :
"Le Groupe de travail sur les services préventifs américain adopte le format que les auteurs proposent ici, car le groupe est composé d’experts généralistes.
Toutefois, ce groupe d’experts a tendance à interpréter les preuves et à rédiger les recommandations comme un processus unique, créant l’apparence, et peut-être la réalité, de permettre trop peu de commentaires de la part des intéressé(e)s, et de confondre souvent les désaccords sur les preuves et les désaccords sur les recommandations."

En conclusion

En tant que profession de santé, concluent les auteurs, nous avons le potentiel de jouer un rôle très réel dans l’amélioration de notre système de santé.
Nous pouvons choisir de reconnaître les zones grises de la médecine et insister pour qu’elles soient reflétées dans les guides de pratique clinique.

Et nous pouvons travailler pour empêcher que les intéressé(e)s ne se fassent entendre au plus fort dans le domaine des soins de santé — même lorsque ces voix émanent de notre propre spécialité — en accordant foi à des groupes comme le Groupe de travail sur les services préventifs qui cherche à formuler des lignes directrices objectives.

Et ce, ajoutent-ils, au lieu de poursuivre une guerre de la mammographie dès lors qu'une recommandation d'application prudente est ressentie comme menaçant la rentabilité et la stature de nos propres spécialités.

Références


[1] U.S. Preventive Services Task Force. Screening for breast cancer: recommendations and rationale. Ann Intern Med 2002; 137:344-6.
Le groupe de travail sur les services préventifs des États-Unis est "un groupe indépendant d'experts en soins primaires et en prévention qui examine systématiquement les preuves d'efficacité et élabore des recommandations pour les services cliniques de prévention". (Traduction Wikipédia anglais)- il est composé de cliniciens de soins primaires volontaires et ayant des compétences en biostatistique et épidémiologie.

[2] https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/0003-4819-137-5_Part_1-200209030-00011 "Chez les femmes de 40 à 49 ans, les données probantes selon lesquelles la mammographie de dépistage réduit la mortalité due au cancer du sein sont plus faibles, et les avantages absolus de la mammographie sont plus faibles que chez les femmes âgées. La plupart des études, mais pas toutes, indiquent un avantage sur le plan de la mortalité chez les femmes qui subissent une mammographie entre 40 et 49 ans, mais le retard observé chez les femmes de moins de 50 ans rend difficile la détermination de l’avantage supplémentaire du dépistage à 40 ans plutôt qu’à 50 ans. L’avantage absolu est moindre parce que l’incidence du cancer du sein est plus faible chez les femmes dans la quarantaine que chez les femmes âgées."
L'article cite les recommandation du bureau d'études canadien qui, en 2001 conclut à des preuves insuffisantes pour recommander la mammographie de dépistage pour les femmes de 40 à 49 ans.

[3] Society of Breast Imaging, American College of Radiology etc...

[4] Nelson HD, Tyne K, Naik A, et al. Screening for breast can- cer: an update for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2009;151:727-37.

[5] Lee CH, Dershaw DD, Kopans D, et al. Breast cancer screen- ing with imaging: recommendations from the Society of Breast Imaging and the ACR on the use of mammography, breast MRI, breast ultrasound, and other technologies for the detection of clinically occult breast cancer. J Am Coll Radiol 2010;7:18-27.

[6] Les recommandations du CanTaskForce, groupe canadien d'étude des données probantes dans les soins préventifs, sont celles-ci :
CantaskForce

«  Le dépistage est une décision personnelle. Chaque femme doit discuter des bénéfices et des préjudices du dépistage en fonction de son groupe d’âge avec un professionnel de la santé. Ainsi, elle sera en mesure de décider de ce qui est le mieux pour elle. Certaines femmes pourraient ne pas vouloir un dépistage si elles estiment les préjudices potentiels sont supérieurs aux bénéfices. » 

Trois articles de la presse canadienne ont donné très largement et majoritairement la parole à une leader d'opinion aux conflits d'intérêts manifestes, Dr P. Gordon.

1- https://theprovince.com/opinion/op-ed/dr-paula-gordon-new-breast-cancer-screening-guidelines-are-going-to-kill-many-women"Dre Paula Gordon : De nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein vont tuer de nombreuses femmes"

2-https://medicinematters.ca/breast-cancer-screening-mammogram-policies-are-based-on-flawed-research-dr-paula-gordon/
"LES POLITIQUES SUR LES MAMMOGRAPHIES DE DÉPISTAGE DU CANCER DU SEIN SONT FONDÉES SUR DES RECHERCHES ERRONÉES : DRE PAULA GORDON"

3-
https://globalnews.ca/news/8239335/breast-cancer-screening-canada-report/
"Des lignes directrices « dépassées » sur le dépistage du cancer du sein laissent tomber les femmes canadiennes."

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Tromperie dans les indicateurs et les mesures du dépistage

Mesures trompeuses sur les progrès dans le plan à long terme de lutte contre le cancer du NHS : mesures basées sur des cas et mesures basées sur la population

Oke, J.L., Brown, S.J., Senger, C. et al. Deceptive measures of progress in the NHS long-term plan for cancer: case-based vs. population-based measures. Br J Cancer (2023). https://doi.org/10.1038/s41416-023-02308-9
Jason L. Oke 1, Sarah Jo Brown 2, Chris Senger 2, and H. Gilbert Welch 3
1.Nuffield Department of Primary Care Health Sciences, Oxford University, Oxford, England
2. Manchester, NH, USA
3.The Center for Surgery and Public Health, Department of Surgery, Brigham and Women’s Hospital, Boston, MA, USA

Dans cet article, les auteurs nous expliquent comment, en prenant l'exemple du plan "long terme pour la lutte contre le cancer" du NHS*, des indicateurs et des mesures non pertinents en trompeurs sont mis en avant pour valoriser un "succès" des campagnes de dépistage.

Le NHS est le système de santé du Royaume-Uni, système universel financé par les impôts et d'accès gratuit pour tous les résidents légaux du Royaume-Uni.

Traduction Cancer Rose, 25 juin 2023

Résumé

Le plan à long terme du NHS pour la lutte contre le cancer vise à augmenter de 50 % à 75 % le nombre de diagnostics à un stade précoce et à accroître de 55 000 le nombre de personnes qui, chaque année, survivent à leur cancer pendant au moins cinq ans après le diagnostic. Les mesures de ces objectifs-cibles sont imparfaites et pourraient être atteintes sans améliorer pour autant les résultats qui comptent vraiment pour les patients.
La proportion de diagnostics à un stade précoce pourrait augmenter, alors que le nombre de patients se présentant à un stade avancé resterait le même. Davantage de patients pourraient survivre plus longtemps à leur cancer, mais les délais et le biais de surdiagnostic empêchent de savoir si quelqu'un a vu sa vie prolongée.
Les objectifs-cibles devraient être modifiés pour remplacer les mesures biaisées basées sur des cas, par des mesures non biaisées basées sur la population et qui reflètent les objectifs clés des soins du cancer sui sont : la réduction de l'incidence et de la mortalité à un stade avancé.

Introduction

En juin 2018, le Premier ministre britannique a annoncé un nouveau plan de financement quinquennal pour le National Health Service (NHS) afin d'élaborer un plan à long terme pour ce service. L'un des objectifs du plan à long terme du NHS est de "sauver des milliers de vies supplémentaires chaque année en améliorant considérablement la façon dont nous diagnostiquons et traitons le cancer"[1]. [En janvier 2019, le ministre de la santé Matt Hancock a défini deux objectifs clés pour 2028 afin d'atteindre ce but :

1.         La proportion de tous les cancers diagnostiqués à un stade précoce devrait augmenter de 50% environ actuellement à 75%.

2.         55 000 personnes supplémentaires par an devraient survivre à leur cancer pendant au moins 5 ans après le diagnostic.

Ces objectifs seraient atteints grâce à la mise en œuvre d'une série d'initiatives, notamment la révision et l'extension des programmes de dépistage du cancer existants, l'introduction de nouveaux tests, des unités mobiles de dépistage du cancer du poumon et des investissements importants dans l'intelligence artificielle (IA) afin de mieux cibler les populations à risque.

Si nous saluons l'objectif, les mesures ciblées sont imparfaites.
Si ces objectifs peuvent être atteints grâce à des améliorations significatives pour les patients atteints de cancer, ils pourraient bien aussi être atteints sans qu'il y ait une seule amélioration de ces résultats qui comptent vraiment pour les patients :

  • une réduction du risque de souffrir de symptômes du cancer ou
  • une réduction du risque de mourir d'un cancer.

En outre, la poursuite de ces objectifs pourrait même nuire directement aux patients, en diagnostiquant et en traitant des cancers qui n'étaient pas destinés à causer des problèmes, et indirectement, en détournant les ressources d'initiatives plus efficaces en matière de santé.

Paradigmes du cancer : la vision traditionnelle

Diagnostiquer le cancer plus tôt est un objectif recherché par les individus, les systèmes de santé et les gouvernements du monde entier. Le raisonnement est familier : les cancers détectés à un stade précoce sont apparemment plus "curables" et nécessitent un traitement moins agressif, avec moins d'effets secondaires.

Cette stratégie est logique si l'on se réfère à un modèle largement répandu de progression du cancer, généralement attribué à William Stewart Halsted [2]. Selon Halsted, le cancer progresse de manière ordonnée : il survient à un seul endroit, s'y développe et finit par s'étendre à d'autres parties du corps (Fig. 1, panneau de gauche). En termes de détection précoce, ce modèle repose sur l'hypothèse que les métastases ne surviennent qu'à un stade avancé de la maladie, plusieurs années après l'apparition du cancer. En outre, ce modèle homogène de progression suggère que tous les cancers, s'ils ne sont pas traités, progresseront inexorablement jusqu'à former des métastases et conduire au décès. Selon le modèle traditionnel, il en résulte que la découverte d'un plus grand nombre de cancers à un stade précoce est toujours bénéfique.

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NDLR : nous vous proposons un autre illustration des deux schémas d'évolution des cancers

Paradigmes du cancer : la vision contemporaine

Le modèle traditionnel est dépassé. Il est beaucoup trop simple pour représenter correctement la multitude de maladies actuellement désignées sous le nom de "cancer" [3]. Le modèle contemporain de progression du cancer est nécessairement plus complexe et hétérogène (figure 1, panneau de droite).

Dans les années 1960 et 1970, Bernard Fisher a remis en question le point de vue de Halsted sur la progression ordonnée du cancer. Il a émis l'hypothèse que le cancer du sein pouvait être une maladie systémique dès le départ : les cellules tumorales pouvaient être disséminées dans tout l'organisme au moment de la détection [4]. Des recherches récentes en génomique du cancer suggèrent que l'hypothèse de Fisher s'étend au-delà du cancer du sein. Dans une analyse de 118 biopsies provenant de 23 patients atteints de cancer colorectal et présentant des métastases à distance, il a été estimé que la dissémination se produisait bien avant que la tumeur primaire ne soit suffisamment importante pour être cliniquement détectable [5]. Ces cancers agressifs, "nés pour être mauvais", échapperaient à tout effort de détection précoce réalisable, et pourtant ce sont ceux qui sont les plus susceptibles de causer la mort.

Les cancers situés à l'autre extrémité du spectre de croissance sont apparus avec l'avènement du dépistage généralisé du cancer de la prostate aux États-Unis dans les années 1990. Certains cancers localisés de la prostate se développent si lentement qu'ils ne sont pas destinés à provoquer des symptômes avant que le patient ne meure en raison de risques de décès concurrents, en particulier chez les hommes plus âgés [6, 7]. Par ailleurs, certaines lésions répondant aux critères pathologiques du cancer peuvent ne pas évoluer du tout. Le même phénomène est rapidement apparu dans les essais randomisés de dépistage du cancer du poumon par radiographie pulmonaire [8]. Des observations ultérieures suggérant que certains cancers du sein [9], de la thyroïde [10] et du rein [11] régressent ont ajouté à la complexité de la situation. Collectivement, la détection de ces cancers à croissance très lente, non progressifs et en régression est devenue un surdiagnostic, c'est-à-dire le diagnostic d'une "maladie" qui n'est pas destinée à être vécue par le patient.
NDLR Lire : https://cancer-rose.fr/2017/06/10/les-petits-cancers-du-sein-sont-ils-bons-parce-quils-sont-petits-ou-parce-quils-sont-bons/

Nous commençons à peine à connaître l'hétérogénéité de la progression du cancer. Mais il semble probable que cette hétérogénéité existe au niveau des sites primaires du cancer. En d'autres termes, certains cancers du sein, du côlon et du poumon sont déjà systémiques lorsqu'ils sont détectables, tandis que d'autres ne sont pas destinés à former des métastases. Selon le modèle contemporain, il en résulte que la découverte d'un plus grand nombre de cancers à un stade précoce n'est pas toujours bénéfique et peut même être néfaste.

Comment la répartition des stades peut être trompeuse

"La proportion de tous les cancers diagnostiqués à un stade précoce augmenterait pour passer de 50% environ aujourd'hui à 75%. "

Le modèle contemporain admet que certains cancers à un stade précoce ne sont pas destinés à devenir des cancers à un stade avancé. Ainsi, il est possible de trouver plus de cancers au stade précoce, mais sans aucun effet sur le nombre de personnes qui d'emblée présentent un cancer au stade avancé.
Néanmoins, la mesure de la distribution des stades basée sur les cas deviendra apparemment plus favorable simplement en trouvant plus de maladies à un stade précoce.

Deux exemples marquants de ce phénomène sont présentés dans la figure 2. L'introduction d'un dépistage généralisé par mammographie aux États-Unis dans les années 1980 a permis de détecter beaucoup plus de cancers du sein à un stade précoce, alors que l'incidence du cancer du sein à un stade avancé est restée quasiment la même [12]. Néanmoins, la distribution des stades est devenue apparemment plus favorable : avant le dépistage, 55 % des cancers du sein étaient diagnostiqués à un stade précoce, après le dépistage, 75 % étaient diagnostiqués à un stade précoce.
L'affirmation sans doute plus pertinente est celle reformulée : avant le dépistage, 45 % des cancers du sein étaient diagnostiqués à un stade tardif, tandis qu'après le dépistage, 25 % étaient diagnostiqués à un stade tardif. Pourtant, les deux affirmations sont trompeuses, car l'incidence de la maladie à un stade avancé n'a pratiquement pas changé.

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NDLR- explication imagée

Avec le dépistage, la proportion des cancers peu graves, peu avancés (en orange) augmente fortement tandis que celle des cancers les plus graves, les cancers avancés (en rouge) stagne.
Dans cette population des cancers peu avancés, augmentée à cause du dépistage, il y a une importante proportion de surdiagnostics.
(Extrait du livre "mammo ou pas mammo?" de C.Bour, ed.T.Souccar)
La proportion des cancers graves est donc moindre avec dépistage, puisque diluée dans l'ensemble des cancers, alors que leur taux réel n'a pas baissé.

Une tendance similaire a récemment été observée lors de la promotion du dépistage du cancer du poumon par tomodensitométrie à faible dose chez les femmes taïwanaises, dont la majorité n'a jamais fumé [13]. Beaucoup plus de cancers du poumon ont été détectés à un stade précoce, tandis que l'incidence des cancers du poumon à un stade avancé est restée stable. Là encore, la répartition des stades est devenue apparemment plus favorable : avant le dépistage, 90 % des cancers du poumon étaient diagnostiqués à un stade avancé, alors qu'après le dépistage, 58 % d'entre eux étaient diagnostiqués à un stade avancé. Ces deux exemples montrent comment une évolution favorable de la répartition des stades peut être trompeuse et pourquoi un changement dans la répartition des stades n'apporte pas en soi la preuve que les patients en ont bénéficié.

Comment la survie peut être trompeuse

"55 000 personnes de plus par an survivraient à leur cancer pendant au moins 5 ans après le diagnostic". Même dans le cadre du modèle traditionnel de progression du cancer, il est possible de détecter des cancers plus tôt sans pour autant avoir un effet sur le moment où les patients meurent de leur cancer, simplement parce que le traitement entrepris plus tôt ne confère aucun avantage par rapport à un traitement entrepris plus tard. Néanmoins, une détection plus précoce fausse la mesure de la durée de survie basée sur le nombre de cas. La durée de survie étant mesurée à partir du moment du diagnostic, le dépistage du cancer fera toujours "démarrer l'horloge plus tôt" - et donc allongera toujours la durée de survie. La question de savoir si la vie est prolongée (c'est-à-dire si la mort est retardée) est distincte. Dans le cas le plus simple - aucun changement dans le délai de survenue du décès - la durée de survie s'allonge et indique un bénéfice alors qu'il n'y en a pas.

Cependant, même si le décès a été retardé, le temps de survie exagérera l'efficacité apparente du dépistage. En raison de ce "biais du temps d'avance" [14], un taux de survie plus élevé ne signifie pas nécessairement qu'une détection plus précoce a permis de prolonger la vie des patients.
NDLR, lire ici explication illustrée et détaillé sur survie et biais d'vance au diagnostic : https://cancer-rose.fr/2021/10/18/quest-ce-que-la-survie/

Mais il existe un autre biais, potentiellement plus important, associé au modèle contemporain de progression du cancer : la détection de cancers qui ne sont pas destinés à provoquer des symptômes ou la mort. L'introduction du dépistage tend à découvrir ces cancers subcliniques qui passaient auparavant inaperçus. Le surdiagnostic fait des dégâts dans les statistiques de survie (Fig. 3).

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L'ampleur de ce problème ne doit pas être sous-estimée. Par exemple, lorsque les prestataires de services payants ont introduit le dépistage de la thyroïde par échographie en Corée du Sud, l'incidence du cancer de la thyroïde a été multipliée par 15 en l'espace d'une décennie. La totalité de l'augmentation concernait de petits cancers papillaires de la thyroïde, dont on sait depuis longtemps qu'ils sont fréquents à l'autopsie, mais qui constituent une cause de décès extrêmement rare [15].
NDLR, lire : https://cancer-rose.fr/2020/06/05/le-surdiagnostic-du-cancer-de-la-thyroide-une-preoccupation-feminine-aussi/
Plus de 40 000 personnes ont été diagnostiquées avec la maladie rien qu'en 2011, et la quasi-totalité d'entre elles ont survécu 5 ans ou plus. En fait, un site web promouvant le tourisme médical coréen a présenté la Corée comme l'endroit où l'on peut être traité pour un cancer de la thyroïde, en vantant "le taux de survie au cancer de la thyroïde le plus élevé au monde" [16].

Rien ne prouve que le dépistage ait profité à qui que ce soit, mais beaucoup ont certainement souffert d'interventions chirurgicales inutiles et de la perte de la fonction thyroïdienne. Pourtant, grâce à ces actions, la Corée du Sud, un pays dont la population est inférieure à celle du Royaume-Uni, a presque réussi à faire en sorte que 55 000 personnes de plus par an survivent à leur cancer pendant au moins 5 ans après le diagnostic, simplement en dépistant le cancer de la thyroïde.

Si la survie est une mesure parfaitement valable dans un essai de traitement randomisé, les comparaisons de survie dans le temps (par exemple 1980 vs aujourd'hui) ou dans l'espace (par exemple Royaume-Uni vs États-Unis) peuvent en dire plus sur la pratique diagnostique que sur la qualité du traitement ou le risque de décès [17]. Dans le cas du cancer de la thyroïde, par exemple, la survie à 5 ans est de 87 % au Royaume-Uni et de 98 % aux États-Unis [18, 19]. Alors qu'il est tentant d'imaginer que le traitement du cancer de la thyroïde doit être meilleur aux États-Unis, la mortalité par cancer de la thyroïde est en fait plus faible au Royaume-Uni (2,4 contre 3,0 par million d'habitants, standardisé par rapport à l'âge de la population mondiale) [20].
(NDLR : la survie n'est donc pas un bon indicateur d'efficacité du dépistage, elle est fallacieusement améliorée par les surdiagnostics, et par les améliorations thérapeutiques en vigueur. )

Aller de l'avant - mesures basées sur la population

Les mesures cibles du NHS, la répartition des stades et la survie, surestiment régulièrement la contribution de la détection précoce du cancer. Le problème de ces mesures basées sur les cas est que les efforts de détection précoce influencent à la fois le numérateur et le dénominateur, ce qui rend impossible de discerner si de véritables progrès ont été réalisés. Ce qu'il faut, c'est un dénominateur stable, qui ne soit pas affecté par la détection précoce, à savoir la population (tableau 1).

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Incidence à un stade avancé

La diminution de l'incidence des cancers à un stade avancé suggère que le dépistage remplit sa mission : avancer le moment du diagnostic pour les cancers qui, autrement, seraient destinés à se manifester cliniquement à un stade avancé. (Il est important de souligner que l'incidence à un stade avancé ne prend en compte que les patients chez qui le cancer est diagnostiqué pour la première fois à un stade avancé ; elle ne concerne pas les patients chez qui le cancer est diagnostiqué à un stade précoce, mais qui évolue néanmoins vers un stade avancé [21]).
Les cancers destinés à se manifester cliniquement à un stade avancé sont les plus agressifs et les plus mortels. Ce sont ceux que nous souhaitons le plus découvrir tôt, dans l'espoir qu'un traitement précoce confère un certain avantage par rapport à un traitement plus tardif.

La diminution de l'incidence des stades tardifs peut cependant ne pas conduire à une diminution du nombre de décès, car le traitement amorcé plus tôt n'est pas toujours plus efficace que le traitement amorcé plus tard. L'essai de dépistage du cancer de l'ovaire UKCTOCS, par exemple, a permis de réduire de 25 % l'incidence au stade avancé (stade IV), mais cette détection et ce traitement plus précoces ne se sont pas traduits par une diminution du nombre de décès dus au cancer de l'ovaire [22]. Les auteurs expliquent cela par le fait que "les cancers passés à un stade plus précoce avaient un mauvais pronostic intrinsèque" - en d'autres termes, ils étaient nés pour être mauvais.
Des essais randomisés sur la surveillance du cancer du sein [23] et du cancer du côlon [24] ont donné des résultats similaires : une surveillance agressive a permis de détecter plus tôt la récidive du cancer, mais une détection et un traitement plus précoces n'ont pas modifié le risque de décès. Ainsi, si la réduction de l'incidence à un stade avancé prouve que le dépistage permet d'avancer le moment du diagnostic pour les cancers les plus graves, elle ne signifie pas nécessairement que les patients sont aidés.

Mortalité : toutes causes confondues ou cancer ciblé

"Le risque de décès est le risque qui préoccupe le plus l'individu", a déclaré Sir Richard Doll il y a 30 ans, lorsqu'il s'est demandé si des progrès étaient accomplis dans la lutte contre le cancer [25]. C'est toujours vrai aujourd'hui : la réduction de la mortalité reste la mesure la plus importante des progrès accomplis dans la lutte contre le cancer.

Le langage est subtil mais sans ambiguïté : c'est le risque de mourir de toutes les causes qui préoccupe les patients, et pas seulement le risque de mourir d'un cancer. Éviter de mourir d'un cancer pour succomber à une autre cause n'est pas vraiment un progrès - certains ont même affirmé que mourir d'autres causes pourrait être pire [26].

Des essais randomisés sur le dépistage du cancer du poumon [27], du colon [28] et de la prostate [29] ont montré que le dépistage réduisait de manière significative le risque de mourir du cancer cible, mais n'avait aucun impact sur la mortalité toutes causes confondues. Ce paradoxe apparent peut résulter à la fois (1) des décès hors cible (c'est-à-dire des décès qui sont la conséquence du dépistage et de l'intervention ultérieure, mais qui ne sont pas attribués au cancer cible) et (2) des risques concurrents de décès associés au vieillissement (c'est-à-dire que les personnes qui courent un risque élevé de mourir d'un cancer courent également un risque élevé de mourir d'autres causes) [30].
Les patients et les décideurs du NHS qui entendent que le dépistage "sauve des vies" peuvent raisonnablement s'attendre à ce que le dépistage améliore leur longévité (c'est-à-dire qu'il réduise la mortalité toutes causes confondues). Mais ce n'est peut-être pas le cas.

Le paradoxe apparent peut également s'expliquer plus simplement : comme étant le résultat du jeu du hasard. La mortalité toutes causes confondues est une mesure peu sensible pour les interventions à l'échelle de la population ciblant un seul cancer (par exemple, le cancer du côlon ou du poumon), car les décès dus au cancer ciblé ne représentent qu'une petite partie de l'ensemble des décès. Un essai de dépistage d'un seul cancer visant à détecter l'effet sur l'ensemble des décès nécessiterait un effort herculéen - des centaines de milliers de personnes suivies pendant une décennie ou plus.

Ainsi, lorsque le NHS envisage d'abaisser l'âge de début du dépistage du cancer du côlon (de 60 ans à 50 ans) ou d'étendre le dépistage du cancer du poumon en ajoutant des unités mobiles, il est raisonnable de mesurer les progrès en termes de mortalité par cancer du côlon ou du poumon. Mais lorsque le NHS envisage des interventions destinées à lutter contre tous les cancers combinés - comme l'IA pour mieux cibler les populations à risque et les tests de détection précoce de plusieurs cancers (biopsies liquides) - nous pourrions affirmer que non seulement la réduction de la mortalité toutes causes confondues est la meilleure mesure du progrès, mais qu'elle est également atteignable, car tous les cancers combinés représentent une part importante de l'ensemble des décès [31].

Conclusion

Le décès n'est pas le seul résultat pertinent pour la détection précoce du cancer, d'autres résultats sont également importants. Il est concevable, par exemple, qu'une détection précoce réduise la charge symptomatique de certains patients atteints de cancer sans prolonger leur vie. Mais il est beaucoup plus probable que le dépistage entraîne un fardeau supplémentaire pour d'autres personnes. Tout d'abord, de nombreuses personnes en bonne santé doivent être persuadées qu'elles ont "besoin" de se faire dépister - trop souvent à l'aide de messages effrayants suggérant que les personnes qui meurent d'un cancer auraient pu éviter cette issue grâce à une détection plus précoce. Ensuite, il y a les problèmes causés par des résultats anormaux : le stress émotionnel et psychologique chez les personnes alarmées à tort, les tests ultérieurs de routine chez les personnes considérées comme présentant un "risque élevé" en raison d'une anomalie détectée, et la toxicité et les complications d'un traitement inutile chez les personnes surdiagnostiquées.

L'énigme du dépistage du cancer réside dans le fait que si seuls quelques participants peuvent potentiellement en bénéficier, tous peuvent potentiellement en pâtir. Les arguments en faveur d'un dépistage plus intensif exigent donc que les bénéfices soient suffisamment importants pour justifier les préjudices et les coûts d'opportunité qui y sont associés. Comme nous l'avons montré ici, les mesures indirectes des bénéfices peuvent être trompeuses - ce qu'il faut, c'est prouver que le dépistage permet en fait de sauver des vies. Cela sera difficile à réaliser car l'effet recherché est nécessairement faible. Compte tenu de l'évolution des connaissances selon lesquelles la biologie de la tumeur et la réponse de l'hôte sont plus pertinentes pour le pronostic que le moment du diagnostic, nous pensons qu'il est temps de remettre en question l'affirmation selon laquelle un dépistage plus intensif est la meilleure stratégie pour progresser dans la lutte contre le cancer.

Références

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Communication des risques : être impartial pour le bien des patients

Par Cancer Rose, 18 juin 2023

A partir d'un article du BMJ, paru le 16 juin 2023

Quel est mon risque, docteur ? Comment communiquer le risque de maladie et les effets du traitement

Michael Bretthauer, Mette Kalager, Clinical Effectiveness Research Group, Université d'Oslo, Norvège
the bmj | BMJ 2023;381:e075289 | doi : 10.1136/bmj-2022-075289
https://www.bmj.com/content/381/bmj-2022-075289.full

Les auteurs introduisent l'article sur la base d'un exemple concret, qui servira pour illustrer leur propos :

Mme Olsen est une femme de 65 ans qui souffre d'hypercholestérolémie et d'hypertension. Son médecin lui dit qu'elle peut réduire son risque d'accident cardiovasculaire majeur de 50 % si elle prend une statine. "C'est génial", pense-t-elle, "50 % de réduction, c'est beaucoup !" Elle se sent alors contente et bien informée, et prévoit de prendre la statine.

Une fois rentrée chez elle, elle se souvient de sa récente conversation avec un concessionnaire automobile (elle avait vraiment besoin d'une nouvelle voiture). Il lui a dit que le prix d'une voiture qu'il avait en stock avait été réduit de 15 %. C'est peut-être une bonne affaire, pense-t-elle, et elle demande le prix de la voiture. Malheureusement, il était beaucoup trop élevé, même avec la réduction de 15 %. Elle a pensé que le concessionnaire n'avait pas été honnête puisqu'il ne lui avait pas annoncé le prix d'emblée, mais seulement la réduction.

Le risque de maladie et d'effets du traitement est exprimé de plusieurs manières : de façon relative ou absolue, en pourcentages, en risques ou en ratios de probabilité ("odds ratios"). Certaines sont plus informatives que d'autres, et les plus fréquemment utilisées sont souvent difficiles à comprendre.
Cet article explique comment communiquer les bénéfices, les dommages et le fardeau des interventions aux patients et à la société de manière informative, et propose des conseils pour communiquer les risques absolus et relatifs en consultation avec les patients, les collègues et les décideurs politiques.

Ce qu'il faut savoir

- Les effets relatifs des traitements sont souvent évoqués dans les entretiens avec les patients, les revues scientifiques et les médias, mais, utilisés seuls pour guider la prise de décision, ils sont insuffisants et potentiellement trompeurs.

- Les effets absolus des traitements, associés au risque absolu de la maladie que l'on souhaite prévenir ou traiter, sont plus instructifs et doivent être utilisés dans ce cas.

- Les discussions concernant les seuils pour le risque absolu de maladie et les effets absolus du traitement sont importantes lors des rencontres avec les patients et ailleurs dans le système de soins de santé.

Mais quelle est la différence entre un risque absolu et un risque relatif ?

Nous ouvrons ici un chapitre afin de donner d'abord quelques définitions et un exemple concret pour comprendre la suite de l'exposé.

  • Risque absolu (RA) : nombre d’évènements survenus sur l'effectif global du groupe 
  • Risque relatif (RR) :  rapport entre le risque du groupe traité (intervention)/groupe de référence (ou témoin) 
  • La réduction du risque relatif : se calcule par 1-RR
  • La réduction du risque relatif exprime le bénéfice, l’efficacité de l'intervention.

Appliquons cela dans un exemple concret :

On réalise un essai clinique sur un nouvel anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), le groupe 1 est le groupe testé (ou groupe intervention) avec nouveau médicament.
Le groupe 2 est le groupe de référence (ou témoin) avec l'ancien AINS.

Le risque absolu d'avoir un ulcère d'estomac avec le nouvel AINS est de 20 ulcères/300 personnes ; le risque absolu d’ulcère pour le groupe intervention (groupe 1) est donc de 6,6%.

Le risque absolu de connaître un ulcère avec l'ancien AINS est de 35 ulcères/300 personnes ; le risque absolu d'ulcère pour le groupe témoin (groupe 2) est donc de 11,6%

Le risque relatif est le rapport entre les deux groupes, le groupe testé/groupe référence : 6,6%/11,6% = 0,57

La réduction du risque relatif est, comme nous l'avons vu dans les définitions, 1-RR ; elle est ici donc de 1-0,57 = 0,43

Ce qui signifie que le traitement testé réduit de 43% l’évènement ulcère.
Ce chiffre est une expression en termes de réduction de risque relatif, c'est à dire en comparant deux groupes.
MAIS en valeurs absolues, il y a 7 évènements pour 100 personnes dans le groupe testé ; et environ 12 évènements dans le groupe de référence pour 100 pers.
Le médicament réduit le risque ulcéreux pour 5 personnes/100

Vous voyez donc que les nombres absolus sont plus clairement représentatifs que les pourcentages, mais beaucoup moins spectaculaires et moins "média-géniques"...

Revenons à l'article :

Confiance et prise de décision partagée

La confiance dans les médecins et les professionnels de la santé est fondamentale pour des échanges informatifs avec les patients et l'adhésion ultérieure des patients au traitement et aux soins.1 La confiance des patients et du public dans les médecins est élevée, bien que des rapports aient indiqué un déclin ces dernières années, avec des variations entre les pays et les environnements de soins.2 Pourtant, dans le cas de nombreux échanges avec les patients en médecine, nous, médecins, ne fournissons pas les bénéfices et les dommages absolus des interventions que nous recommandons. Souvent, nous ne fournissons des informations que sur le gain (la réduction du risque relatif) pour la maladie, et nous attendons des patients qu'ils prennent des décisions en connaissance de cause, alors qu'en fait ils ne disposent pas de toutes les informations pertinentes pour le faire.1

En tant que médecins, nous visons une prise de décision partagée lors des consultations, alors pourquoi rendons-nous les choses si difficiles pour les patients3 ? En 2012, un stagiaire en première année de médecine a estimé dans The BMJ que "de nombreux médecins ne connaissent pas les bénéfices réels des médicaments qu'ils prescrivent ou ne comprennent pas les implications statistiques de base de la réduction du risque absolu par rapport au risque relatif "4 Nous pensons que la situation est similaire aujourd'hui.

Les idées fausses et le manque de connaissances des médecins et des décideurs politiques sur les risques absolus et relatifs entravent la prise de décision partagée et empêchent un consentement véritablement éclairé. D'après notre expérience, l'utilisation des risques et bénéfices relatifs domine encore les échanges des médecins avec les patients, ainsi que les discussions entre médecins dans les services et les cliniques sur les thérapies et les interventions. Le plus souvent, ce n'est pas intentionnel, mais plutôt inconscient, en raison des normes culturelles qui entourent le conseil aux patients et du manque de formation à l'interprétation et à la transmission des chiffres relatifs aux risques.

Alors....

Comment communiquer les risques, les bénéfices et les dommages

Une prise de décision appropriée nécessite une discussion sur les résultats pertinents pour le patient et une communication réfléchie de quatre éléments, que nous décrivons ci-dessous à l'aide du cas de Mme Olsen :

1. Quel est le risque absolu de la maladie en l'absence de traitement ?
Dans le cas de Mme Olsen, qui souffre d'hypertension et d'hypercholestérolémie et pour laquelle un traitement par statines est envisagé, quel est son risque (par exemple, dans les 10 ou 15 prochaines années) de subir un événement cardiovasculaire majeur (infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral) en l'absence de statines ?

2. Quel est le bénéfice du traitement en question pour réduire ce risque ?
Il peut s'agir d'une différence de risque absolue ou d'une réduction du risque relatif.

Quelle est la réduction du risque pour Mme Olsen de développer un événement cardiovasculaire majeur dans les 10 ou 15 prochaines années avec des statines, par rapport à l'absence de statines ?

3. Quel est le risque absolu de la maladie avec le traitement ?
Quel est le risque pour Mme Olsen de développer un événement cardiovasculaire majeur dans les 10 ou 15 prochaines années avec les statines ?

4. Quels sont les risques absolus de dommages et quelle est la charge du traitement ?
Quel est le risque absolu de dommages et d'effets secondaires (par exemple, diarrhée ou douleurs musculaires) liés à la prise d'une statine pour Mme Olsen au cours des 10 ou 15 prochaines années, et quelle est la contrainte que représente pour elle la prise du traitement (par exemple, les coûts, les rendez-vous de contrôle, les tests en aval, et la manière dont le traitement par statine peut affecter sa qualité de vie en raison de la crainte potentielle d'être exposée à un risque de maladie8) ?

Si on doit être brefs, il convient d'utiliser les chiffres absolus parce que les effets relatifs peuvent être calculés à partir de ces chiffres, mais pas l'inverse.

Rencontre avec la patiente, Mme Olsen

En appliquant les principes ci-dessus et en ajoutant des exemples numériques, une rencontre informative avec Mme Olsen comprendrait les éléments suivants :

- Premièrement, estimer son risque absolu d'événement cardiovasculaire, par exemple en utilisant un calculateur de risque sur 10 ans.11 Sur une période de 10 ans, son risque d'avoir une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral est d'environ 6 %

- Deuxièmement, appliquer la réduction attendue au risque absolu estimé (6 %). Supposons que la réduction de 50 % suggérée par son médecin soit exacte (bien qu'elle soit plutôt de l'ordre de 20 à 25 %12), la réduction de son risque de moitié lui donnerait une différence de risque de 3 %.

- Troisièmement, lui dire que son risque d'avoir un événement cardiovasculaire majeur est de 3 % si elle choisit d'utiliser une statine.

- Quatrièmement, l'informer de la fréquence absolue des effets secondaires du traitement par statine, par exemple un risque de 5 % de douleurs musculaires et de 10 % de troubles digestifs, tels que constipation, diarrhée ou ballonnements.

Nous rouvrons ici une parenthèse pour parler de la présentation du risque de décéder dans le cadre du cancer du sein, et la présentation qui en est faite sur les sites officiels français et lors des campagnes de dépistage.

le dépistage du cancer du sein

Très fréquemment, notamment sur les sites officiels vous lirez que le dépistage réduit de 20% le risque de décéder du cancer du sein. Qu'en est-il ?

Reprenons la méta-analyse d'un collectif de chercheurs nordiques (Cochrane)-
2000 femmes ont effectué une mammographie de dépistage à partir de 50 ans et cela pendant 10 ans. Au terme de ces 10 ans, 4 femmes étaient mortes d’un cancer du sein.
Pour pouvoir comparer, une projection est faite pour 2000 femmes à partir de 50 ans ne se soumettant pas au dépistage. Les deux groupes sont comparables car ont les mêmes caractéristiques (âge, profil physiologique etc..).
Dans ce groupe non dépisté, 5 femmes sont mortes d’un cancer du sein.
Appliquons nos calculs :
Groupe testé/groupe témoin : 4 décès sur 2000/ 5décès sur 2000 = 0,8 ;
La réduction du risque relatif est ici de 1-0,8 = 0,2 = 20%
Voilà d'où vient cette valeur toujours mise en avant.

Mais quel est réellement le bénéfice pour une femme de se faire dépister?
C’est le bénéfice absolu qui nous le donne. Sur les 2000 femmes qui se feront dépister, 1 seule verra son cancer dépisté plus tôt et donc sa vie sauvée ( 5 décès – 4 décès).

20% de bénéfice relatif, 0.05% de bénéfice absolu.
Si on avait opté pour une présentation honnête nous aurions dû lire dans les documents d'information :

 » Les programmes de dépistage permettent de réduire le nombre de décès par cancer du sein. Selon les chiffres issus d’études internationales, cette réduction est estimée aux alentours de 0,05 %. »

Quand bien même il y a 20% de réduction du risque relatif, il faut considérer cette donnée selon le risque absolu de décéder en fonction de l'âge des personnes.
En France en 2010 par exemple, le risque absolu de mourir par cancer du sein était d'environ 4% dont 1,9% chez les femmes entre 50 et 79 ans. Réduire de 20% un risque de mourir déjà très faible n'est pas extraordinaire, et doit être mis en balance avec le risque de connaître un effet adverse du dépistage.

La présentation en fréquences absolues, de plus, permet la conception de pictogrammes visuels, et ce sont eux qui permettent une meilleure communication au public, et une bonne compréhension de la part des patients.
Comme cet outil d'aide à la décision, ici, élaboré sur la base de la méta-analyse Cochrane.

Fermons cette parenthèse, les auteurs de l'article s'interrogent à présent sur la pertinence d'agir sur le risque et surtout sur le moment à partir du quel il serait pertinent d'agir sur le risque.

Quand agir sur le risque ?

Transmettre des risques absolus et des réductions de risque au lieu de chiffres relatifs moins informatifs nécessite une formation et une communication éclairée. La question la plus difficile reste cependant la suivante : à quel niveau doit se situer le risque d'une maladie ou d'une affection pour que l'on puisse agir, compte tenu d'une certaine réduction de ce risque grâce à une thérapie ou à un traitement ? Il est plus difficile d'établir des seuils pour savoir quand agir, car cela dépend des valeurs et des préférences individuelles et sociétales.

Au niveau du patient, il est important de comprendre les perceptions et les préférences personnelles concernant les bénéfices et les dommages des interventions visant à réduire un certain risque de maladie. Mme Olsen peut être intéressée par un risque de 6 % d'événement cardiovasculaire, mais elle ne se soucierait peut-être pas d'entreprendre un traitement si son risque était de 3 %. D'autres patients peuvent voir les choses différemment et seraient prêts à commencer à prendre des statines avec un risque plus faible que celui de Mme Olsen.

Bien que les calculateurs de risques de maladies futures s'améliorent et puissent prédire le risque individuel de manière assez précise pour certaines maladies, ils sont encore insuffisants pour beaucoup d'autres. Des collections de calculateurs de risques et d'aides à la décision sont disponibles en ligne pour les médecins et les patients, comme l'initiative "Care that fits" de la Mayo Clinic (http://carethatfits.org).

Toutefois, certains patients peuvent accepter ou refuser de suivre un traitement ou une action sans tenir compte du cadre et des faits relatifs aux risques et aux effets, et fonder leur décision sur d'autres facteurs, tels que l'expérience de membres de leur famille atteints de la maladie en question, ou les contraintes financières liées aux frais de prescription.13 14

La stratégie pour les patients individuels (comme Mme Olsen) utilisant les quatre caractéristiques décrites peut également être appliquée à la prise de décision au niveau de la société. De nombreux systèmes de santé proposent des interventions, des tests et des traitements remboursés. La plupart des systèmes de santé publique disposent également de lignes directrices prioritaires et de répertoires établis d'options thérapeutiques, qui sont proposés à la population. Ces priorités doivent tenir compte du risque absolu et de la réduction du risque.

Communiquer les risques et les effets des traitements

Nous pensons que les publications scientifiques ont leur part de responsabilité dans l'insuffisance de l'information fournie aux patients sur les risques liés aux maladies et les effets des traitements. Les estimations des effets relatifs, telles que les rapports de risque, les risques relatifs ou les ratios de probabilité, apparaissent couramment dans les rapports d'études d'observation et d'essais cliniques depuis des dizaines d'années. De nombreux rapports scientifiques mettent en évidence les effets relatifs,5 6 alors que les chiffres absolus sous-jacents sont difficiles à déterminer, car ils nécessitent souvent des compétences et du temps qui ne sont pas à la disposition de la plupart des cliniciens.

Dans un essai pivot sur le dépistage du cancer colorectal par sigmoïdoscopie au Royaume-Uni en 2017, le principal résultat a été rapporté comme "l'incidence du cancer colorectal a été réduite de 26 % (rapport de risque 0,74 ; intervalle de confiance à 95 % 0,70 à 0,80 ; P<0,0001)".7 L'essai a influencé la décision d'introduire le dépistage du cancer colorectal dans la population au Royaume-Uni.
Bien que le rapport de l'essai ne soit pas incorrect, le rapport de risque ne suffit pas à lui seul à fonder une décision éclairée sur l'opportunité d'introduire le dépistage. Dans ce cas, la décision doit prendre en considération les risques absolus de cancer colorectal auxquels s'applique la réduction du risque relatif rapportée.
(NDLR : en effet, il faut considérer le risque de base de la personne ; 25% de réduction du risque relatif par le dépistage reste une réduction faible chez les personnes présentant un risque de base déjà faible de faire un cancer colorectal. Les préjudices de ce dépistage sont susceptibles de l'emporter largement sur un maigre bénéfice)

La couverture médiatique des nouvelles interventions médicales suit rapidement la publication des résultats des essais et transmet généralement au public les effets relatifs présentés dans l'article scientifique. Cela peut être intéressant, car les effets relatifs semblent souvent plus impressionnants que les effets absolus et attirent davantage l'attention. Mais cela ne fournit pas d'informations impartiales et ne permet pas de prendre les bonnes décisions. Si les revues scientifiques occultent la réduction du risque absolu au profit d'effets relatifs apparemment plus importants et plus attrayants, il est compréhensible que les médias s'en emparent et présentent ce côté de l'histoire.

Conclusion des auteurs

De notre point de vue, aucune situation en médecine clinique ne tire bénéfice de l'utilisation de différences relatives au lieu de différences absolues pour la compréhension dans les conversations entre les médecins et les patients, ou entre les médecins lorsqu'ils discutent des options de traitement pour un patient.
Dans les discussions sur ce qu'un système de soins de santé devrait offrir, l'utilisation de chiffres absolus est cruciale pour garantir des soins équitables. Les risques absolus et les réductions absolues de risques doivent être utilisés dans la communication avec les patients, les collègues, les décideurs et les médias. Les réductions relatives peuvent être utilisées en plus des réductions absolues pour illustrer ou exemplifier, mais seulement en plus et non à la place des effets et des risques absolus.

L'éducation dans la pratique

- Entraînez-vous à trouver et à transmettre les risques absolus de maladie pour votre patient, ainsi que les effets absolus de tout traitement que vous envisagez de recommander.

- Discutez avec vos patients de l'importance du risque pour qu'un certain traitement soit intéressant. Quels sont les facteurs susceptibles d'influencer leur décision ?

Bref, il s'agit bien de décision partagée avec le patient dont parlent ces auteurs.

Commentaire Cancer Rose

Le nouveau livret de l'Institut National du Cancer persiste dans ce travers que la concertation citoyenne lui avait déjà reproché, à savoir une présentation en valeurs relatives, mettant en avant les 20% de réduction de mortalité. Nous en parlons ici : https://cancer-rose.fr/2022/10/15/le-nouveau-livret-de-linca/

Or les femmes doivent maintenant être informées complètement et dûment, selon les exigences de la concertation citoyenne, et ce jusqu'au bout de leur vie de dépistée.

Pour les journalistes

Un site utile :

site Winton Risk communication Center , avec outil de conversion du risque relatif en risque absolu, à destination des journalistes.

https://realrisk.wintoncentre.uk

RealRisk est un outil en ligne destiné aux attachés de presse et aux journalistes qui travaillent à la communication de la recherche sur les risques dans le domaine de la santé et des sciences sociales.

Les titres des journaux regorgent des dernières recherches sur les risques : les aliments liés au cancer, les modes de vie qui favorisent les maladies cardiaques, les médicaments qui augmentent le risque de caillots sanguins, les habitudes associées à une mauvaise santé mentale. Les articles écrits sur ces questions sont souvent effrayants et les chiffres utilisés sont souvent trompeurs.

RealRisk convertit les statistiques spécialisées souvent utilisées pour rendre compte des conclusions de recherches - notamment les risques relatifs, les rapports de cotes et les rapports de dangerosité - en risques absolus, plus facilement compréhensibles par tous. Les risques absolus qui en résultent sont présentés sous forme de texte, de tableaux d'icônes et de diagrammes à barres dont l'utilisation est gratuite.

 Nous voulons encourager les attachés de presse et les journalistes à rendre compte des "risques sanitaires" à l'aide de chiffres largement compréhensibles et qui ne provoquent pas d'anxiété inutile.

https://wintoncentre.maths.cam.ac.uk/resources/resources-journalists/

https://wintoncentre.maths.cam.ac.uk/resources/medicine/

Références utilisées par les auteurs

1 Rasiah S, Jaafar S, Yusof S, Ponnudurai G, Chung KPY, Amirthalingam SD. A study of the nature and level of trust between patients and healthcare providers, its dimensions and determinants: a scoping review protocol. BMJ Open 2020;10:e028061.
doi: 10.1136/bmjopen-2018-028061 pmid: 31980505

2 Blendon RJ, Benson JM, Hero JO. Public trust in physicians-U.S. medicine in international perspective. N Engl J Med 2014;371:-2. doi: 10.1056/NEJMp1407373 pmid: 25337746

3 Prasad V. An unmeasured harm of screening. Arch Intern Med 2012;172:-3. doi: 10.1001/2013.jamainternmed.682 pmid: 22987011

4 Freudenthal B. Doctors need to understand absolute versus relative risk reduction with statins. BMJ 2012;345:e8357. doi: 10.1136/bmj.e8357 pmid: 23229286

5 Gigerenzer G, Wegwarth O, Feufel M. Misleading communication of risk. BMJ 2010;341:. doi: 10.1136/bmj.c4830 pmid: 20940219

6 Diamond DM, Leaverton PE. Historical review of the use of relative risk statistics in the portrayal of the purported hazards of high LDL cholesterol and the benefits of lipid-lowering therapy. Cureus 2023;15:e38391.pmid: 37143855

7 Atkin W, Wooldrage K, Parkin DM, etal. Long term effects of once-only flexible sigmoidoscopy screening after 17 years of follow-up: the UK Flexible Sigmoidoscopy Screening randomised controlled trial. Lancet 2017;389:-311. doi: 10.1016/S0140-6736(17)30396-3 pmid: 28236467

8 Heath I. Role of fear in overdiagnosis and overtreatment-an essay by Iona Heath. BMJ 2014;349:. doi: 10.1136/bmj.g6123 pmid: 25954986

9  Helsingen LM, Vandvik PO, Jodal HC, etal. Colorectal cancer screening with faecal immunochemical testing, sigmoidoscopy or colonoscopy: a clinical practice guideline. BMJ 2019;367:.
doi: 10.1136/bmj.l5515 pmid: 31578196

10  Bielawska B, Dubé C. Colorectal cancer screening: it is not time for a radical shift. CMAJ 2020;192:-2. doi: 10.1503/cmaj.191566 pmid: 31971514

11  BMJ Best Practice. Evidence-based medical calculators. https://bestpractice.bmj.com/calculators

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13  Usher-Smith JA, Mills KM, Riedinger C, etal. The impact of information about different absolute benefits and harms on intention to participate in colorectal cancer screening: a think-aloud study and online randomised experiment. PLoS One 2021;16:e0246991.
doi: 10.1371/journal.pone.0246991 pmid: 33592037

14  Rosenbaum L. Invisible risks, emotional choices-mammography and medical decision making. N Engl J Med 2014;371:-52. doi: 10.1056/NEJMms1409003 pmid: 25317876

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Risque de décès par cancer du sein, en baisse, dépistage ou pas

Mortalité par cancer du sein pour 500 000 femmes atteintes d'un cancer du sein invasif précoce en Angleterre, 1993-2015 : étude de cohorte observationnelle basée sur la population.

BMJ 2023; 381 doi: https://doi.org/10.1136/bmj-2022-074684 (Published 13 June 2023)Cite this as: BMJ 2023;381:e074684

Carolyn Taylor, professor of oncology and honorary clinical oncologist2,  
Paul McGale, statistician1,  
Jake Probert, statistician1,  
John Broggio, cancer analytical lead3,  
Jackie Charman, senior cancer analyst3,  
Sarah C Darby, professor of medical statistics1,  
Amanda J Kerr, systematic reviewer1,  
Timothy Whelan, radiation oncologist4,  
David J Cutter, senior clinical research fellow and clinical oncologist2,  
Gurdeep Mannu, lecturer in general surgery1,  
David Dodwell, senior clinical research fellow and clinical oncologist2

1Nuffield Department of Population Health, University of Oxford, Oxford, UK
2Oxford University Hospitals, Oxford, UK
3National Disease Registration Service (NDRS), NHS England, Birmingham, UK
4Department of Oncology, McMaster University and Juravinski Cancer Centre, Hamilton, ON Canada

Article

Synthèse Cancer Rose

Analyse par Dr Vincent Robert, statisticien

Réponse aux auteurs, par H.Zahl, épidémiologiste et statisticien

On a écrit à l'auteure principale

Opinions

Objectif de l'étude

Il s'agit d'une étude de cohorte (un groupe de sujets suivis pendant la durée de l'étude), observationnelle, portant sur 512 447 femmes.

Il y a deux objectifs :

1°- Analyse des taux annuels de mortalité par cancer du sein et les risques de mortalité cumulés en fonction du temps écoulé depuis le diagnostic, pour les femmes dont le diagnostic a été posé au cours de chacune de ces périodes calendaires : 1993-99, 2000-04, 2005-09 et 2010-15

2°- Examen des variations de ces taux de mortalité en fonction de plusieurs critères : selon la période calendaire du diagnostic, selon le temps écoulé depuis le diagnostic, selon la détection ou non du cancer par dépistage, et selon les caractéristiques des patientes et des tumeurs qu'elles présentaient.

Dans l'ensemble, près de la moitié des cancers chez les femmes des groupes d'âge éligibles au dépistage ont été détectés par le dépistage.

Résultats principaux :

Les risques bruts de mortalité par cancer du sein diminuent avec l'augmentation de la période calendaire.
En d'autres termes, les femmes des périodes calendaires plus proches de notre période contemporaine ont plus de chance de survivre longtemps après le diagnostic de cancer par rapport aux femmes diagnostiquées lors de périodes calendaires plus anciennes dans le temps, avec une ampleur significative.

Le risque de mortalité cumulé par cancer du sein sur cinq ans était :

  • de 14,4 % pour les femmes dont le diagnostic a été posé entre 1993 et 1999, et
  • de 4,9 % pour les femmes dont le diagnostic a été posé entre 2010 et 2015.

Ces résultats correspondent à la totalité d’une cohorte de 512 447 femmes entre 18-89 ans dont :
-femmes éligibles au dépistage, avec cancer détecté dans le cadre du dépistage organisé : 128 240 femmes (soit environ un quart de la cohorte)
-femmes éligibles au dépistage, mais non dépistées, avec cancer détecté en dehors du dépistage : 133 427 femmes (soit environ un quart de la cohorte)
-femmes non éligibles au dépistage organisé : 250 780 femmes (soit environ la moitié de la cohorte)

Composition des groupes indiquée dans le tableau 1, extraction ci-après :

Les taux annuels de mortalité par cancer du sein, ajustés, ont également diminué de façon similaire avec l'avancée de la période calendaire dans presque tous les groupes de patientes, d'un facteur d'environ trois pour les cancers à récepteurs d'œstrogènes positifs, qui correspondent aux formes de cancers de meilleur pronostic, et d'environ deux pour les cancers à récepteurs d'œstrogènes négatifs, qui correspondent à des formes de cancers plus péjoratives. Le risque de mortalité s'améliore avec l'avancée des périodes calendaires étudiées vers les années proches de nous, par rapport aux années plus anciennes.

Le but de l'étude était principalement d'utiliser les risques de mortalité par cancer du sein à cinq ans pour les patientes ayant reçu un diagnostic récent. En effet, disent les auteurs, ces taux de mortalité qu'on connaît à présent peuvent être utilisés pour estimer les risques de mortalité par cancer du sein pour les patientes d'aujourd'hui.
La finalité de l'étude étant d'informer les patients et les cliniciens des risques de mortalité absolus probables pour les patientes traitées aujourd'hui pour un cancer du sein, en tenant compte, entre autres, des caractéristiques de leur tumeur.
L'étude montre que, pour les femmes chez qui un cancer du sein précoce a été diagnostiqué, le risque d'en mourir dans les cinq ans a considérablement diminué entre les années 1990 et 2010-2015. Pour la plupart des femmes diagnostiquées récemment, le risque de décès par cancer du sein dans les cinq ans était de 3 % ou moins. Cette information est d'utilité pour les femmes contemporaines.

Les auteurs concluent: "Il faut toutefois noter que les améliorations en termes de mortalité par cancer du sein observées chez les femmes dont le cancer a été détecté par dépistage ont été parallèlement constatées chez les femmes dont le cancer n'a pas été détecté par dépistage".

Conclusions détaillées :

Le pronostic des femmes atteintes d'un cancer du sein invasif précoce s'est considérablement amélioré depuis les années 1990. La plupart d'entre elles peuvent s'attendre à survivre à long terme au cancer, même si le risque reste appréciable pour quelques-unes d'entre elles.

Depuis les années 1990, le risque de décès cumulé à cinq ans dû au cancer du sein est passé de 14,4 % à 4,9 % dans l'ensemble, avec des réductions observées dans presque tous les groupes de patientes.
En effet, le risque de mortalité cumulé sur cinq ans était de 14,4 % (intervalle de confiance à 95 % de 14,2 % à 14,6 %) pour les femmes dont le diagnostic a été posé entre 1993 et 1999 et a diminué progressivement avec l'augmentation de la période calendaire pour atteindre 4,9 % (de 4,8 % à 5,0 %) pour les femmes dont le diagnostic a été posé plus tard, entre 2010 et 2015.

Il est donc démontré que le taux de mortalité par cancer du sein a diminué avec la période calendaire du diagnostic au cours de la période couverte par l'étude.
Mais bien que des diminutions se soient produites dans presque tous les groupes de patientes, l'ampleur de la diminution du taux de mortalité et le risque de décès par cancer à 5 ans variait considérablement entre les femmes selon qu'elles présentaient des caractéristiques différentes :
- le risque de mortalité est inférieur à 3 % pour 62,8 % des femmes,
- mais il est de 20 % ou plus pour 4,6 % d'entre elles, correspondant aux formes de cancers particulièrement agressives et difficilement curables.

Dans nos données, expliquent les auteurs, l'absence de diminution de la mortalité chez les femmes âgées de 80 à 89 ans atteintes d'un cancer du sein à récepteurs d'œstrogènes négatifs peut s'expliquer par le fait que ces femmes ne reçoivent généralement pas de traitement systématique adjuvant (traitement qui complète le traitement principal afin de prévenir un risque de récidive locale ou de métastases, comme une hormonothérapie ou une immunothérapie p.ex.), ou qui ne reçoivent pas de radiothérapie, de sorte que toute amélioration en soi de ces traitements n'aurait pas eu d'effet sur la mortalité dans ce groupe de patientes.
Les patientes âgées de moins de 40 ans au moment du diagnostic présentaient un risque de mortalité par cancer du sein plus élevé que les patientes âgées de 40 diagnostiquées, cela s'expliquant par le fait que les cancers du sein chez les femmes plus jeunes sont intrinsèquement plus agressifs que ceux des femmes plus âgées.

Les auteurs ont constaté que la mortalité par cancer du sein diminuait toujours en fonction de la période calendaire du diagnostic, quels que soient les différences de caractéristiques des tumeurs et même, les améliorations de la mortalité par cancer du sein observées chez les femmes dont le cancer a été détecté par dépistage se sont accompagnées d'améliorations aussi chez celles dont le cancer n'a pas été détecté par dépistage.
Ceci est résumé dans l'illustration ci-dessous, qui présente les résultats sur la totalité des femmes (dont un quart de femmes éligibles et dépistées, un quart sont des cas de cancers chez des femmes éligibles mais non dépistées,  et la moitié de l'effectif sont des femmes non éligibles au dépistage) :

On peut arguer que le dépistage permet la détection de tumeurs de plus en plus petites au fil des années avec des améliorations technologiques de appareils de mammographie importantes, avec des tumeurs trouvées de grades toujours plus bas, mais, disent les auteurs, cette baisse de la mortalité ne peut être attribuée aux seuls changements de taille de la tumeur, au nombre de ganglions positifs ou au grade de la tumeur, car la mortalité par cancer du sein a continué de diminuer selon la période calendaire du diagnostic, même après ajustement tenant compte de ces facteurs.

Sans compter que le dépistage et les techniques d'imagerie mammaire plus sensibles sont également susceptibles de n'avoir conduit qu'à un diagnostic plus précoce et à une survie apparemment plus longue, sans pour autant modifier l'évolution clinique de la maladie. La survie, rappelons-le, correspond à la durée de vie avec le diagnostic de cancer, et augmente avec l'amélioration des traitements et avec le surdiagnostic. En effet, plus on détecte tôt dans la vie de l'individu des cancers qui de toute façon n'étaient pas destinés à tuer leur hôte, qui sont de très bas grade et le resteront, et plus les données de survie sont artificiellement améliorées, sans pour autant influer sur l'espérance de vie.

Relations avec le dépistage


Pour les patientes ayant reçu un diagnostic de cancer dépisté ou non dépisté, les taux annuels de mortalité par cancer du sein et les risques cumulés de mortalité par cancer du sein ont montré des tendances similaires de baisse à celles de l'ensemble des femmes en fonction de la période calendaire du diagnostic.

L'étude montre que les améliorations de la mortalité par cancer du sein observées chez les femmes dont le cancer a été détecté par dépistage se sont accompagnées d'améliorations aussi chez celles dont le cancer n'a pas été détecté par dépistage.
L'augmentation du dépistage n'explique donc pas les améliorations de la mortalité,

L'apport de l'étude

D'autres études ont déjà montré le rôle très marginal du dépistage dans la décroissance de mortalité par cancer du sein depuis les années 90.
On sait déjà que le risque de mortalité par cancer du sein après un diagnostic de cancer du sein invasif précoce a diminué au cours des dernières décennies.

L'étude d'impact de Bleyer et Miller concluait que le lien entre mammographie de dépistage et le degré de réduction de mortalité par cancer du sein observée ces dernières années était de plus en plus sujet à controverse. Leur comparaison de huit pays d' Europe et en Amérique du Nord ne démontrait pas de corrélation entre l'intensité du dépistage national et la chronologie ou même l'ampleur de réduction de mortalité par cancer du sein.

Les preuves issues des trois approches différentes (approche temporelle, approche d'ampleur et approche comparative avec d'autres pathologies ne faisant pas l'objet d'un dépistage), et d'autres observations supplémentaires ne soutenaient pas l'hypothèse que le dépistage par mammographie serait la raison principale de la réduction de mortalité par cancer du sein observée en Europe et en Amérique du Nord.

De même façon l'étude des trois paires de pays comparées de P.Autier suggérait que le dépistage n’avait pas joué de rôle direct dans la réduction de la mortalité par cancer du sein, au vu du contraste entre les différences temporelles dans la mise en œuvre du dépistage mammographique et la similitude dans les réductions de mortalité entre les paires de pays.
C'est à dire que les pays ayant introduit le dépistage plus tôt que d'autres pays l'ayant fait plus tardivement connaissaient une réduction de mortalité par cancer du sein similaire, alors qu'on aurait dû constater un phénomène amplificateur dans la réduction de mortalité par le fait d'un instauration plus précoce des campagnes.
Il n'y a donc pas de lien entre l'activité du dépistage et la baisse de la mortalité.

Et le cancer invasif métastatique reste toujours aux mêmes taux, le dépistage ne permettant pas d'appréhender cette forme agressive du fait de ses caractéristiques intrinsèques biologiques agressives et souvent du fait de sa grande vélocité. 

Citons pour finir cette étude : Søren R Christiansen, Philippe Autier, Henrik Støvring, Change in effectiveness of mammography screening with decreasing breast cancer mortality: a population-based study
Résumée ici : https://cancer-rose.fr/2022/07/01/leffet-du-depistage-du-cancer-du-sein-en-declin/

Selon les auteurs, les améliorations apportées aux thérapies contre le cancer au cours des 30 dernières années ont réduit la mortalité, ce qui pourrait éroder la balance bénéfices-inconvénients du dépistage par mammographie. 
De plus les améliorations futures de la prise en charge des patientes atteintes d'un cancer du sein réduiront de plus en plus le rapport bénéfice-risque du dépistage.
Le bénéfice de la mammographie en termes de réduction de la mortalité diminue alors que les inconvénients tels que le surdiagnostic ne sont , eux, constants. 
Le dépistage conduit à la fois au surdiagnostic et au surtraitement, ce qui a un coût à la fois humain et économique,

Ce que l'étude ici apporte, c'est une estimation de l'ampleur de la décroissance du taux de mortalité par cancer du sein constatée depuis les années 90, et que celle-ci n'est pas liée au dépistage ni à aucun autre facteur lié à la tumeur ou à la femme porteuse du cancer, puisqu'on ne constate pas de différence dans les variations des taux de mortalité quels que soient ces facteurs, que le cancer soit trouvé par dépistage ou non.
La raison est très vraisemblablement à chercher parmi les améliorations thérapeutiques des dernières décennies.

Illustrations : taux de mortalité annuels et risques cumulés de mortalité

Le risque cumulatif est la somme des différents risques annuels, présents sur 5 ans. La fonction de risque de mortalité décrit l'évolution en fonction du temps et des facteurs cumulés du risque instantané de décès. 

Synthèse par Cancer Rose

Il s'agit d'une étude d'épidémiologie descriptive. Son objectif est de quantifier la diminution de mortalité observée depuis les années 90. Cette diminution n'est pas un scoop loin de là, mais il était intéressant de la chiffrer globalement et par sous-groupes.
Elle est de l'ordre de 14,4% à 4,9% à 5 ans entre les deux laps de périodes examinés. pour toutes les femmes, avec une réduction similaire selon les groupes (dépistées ou pas).
Des études d'impact (voir notre article) ont déjà objectivé cette diminution de mortalité par cancer du sein depuis les années 90, l'impact du dépistage est très marginal voire inexistant, car cette diminution n'est pas en phase avec l'introduction des campagnes de dépistage.

Les auteurs concluent essentiellement que les données récentes montrent une amélioration des risques de mortalité par cancer du sein par rapport aux données plus anciennes, est ceci est confirmé par leurs résultats. Ils précisent plusieurs choses : "...l’augmentation du dépistage ne peut expliquer à elle seule la diminution de la mortalité par cancer du sein que nous avons observée." et un peu plus loin : "cette étude observationnelle ne peut déterminer les causes spécifiques de ces réductions de mortalité."
Et encore, vraisemblablement le plus important : "...les améliorations en termes de mortalité par cancer du sein observées chez les femmes dont le cancer a été détecté par dépistage ont été parallèlement constatées chez les femmes dont le cancer n'a pas été détecté par dépistage".

Cette étude confirme (et surtout chiffre) l'évolution à la baisse de la mortalité par cancers du sein mais elle ne conclut pas (et ne permet pas de conclure) sur la ou les causes de cette baisse.

Ce qu'il faut bien comprendre est que dans cette étude, il ne s'agit pas du taux de mortalité mais du RISQUE cumulé de mortalité sur 5, 10 ou 15 ans. Ces risques de mortalité cumulés dépendent du temps T0 choisi. Ici ce temps T0 est la date du diagnostic du cancer. Les risques de mortalité présentés dans l'étude sont donc influencés par l'avance au diagnostic, (puisque le T0 sera plus précoce pour les cancers dépistés que pour les cancers non dépistés) et donnera un apparent meilleur succès dans les groupes dépstés.
L'avance au diagnostic est un biais très bien connu inhérent au dépistage donnant une illusion de meilleure survie au cancer alors qu'on a juste anticipé sa 'date de naissance'.

Le pronostic des cancers du sein s'améliore, sans qu'il soit possible de dire quelle est la part du dépistage, des progrès thérapeutiques et des facteurs de confusion que sont le biais d'avance au diagnostic, les surdiagnostics surtout, et aussi les facteurs sociaux et économiques.

Selon les études déjà disponibles (voir article) le rôle du dépistage est vraisemblablement marginal, et l'apparent succès dans les groupes dépistés est influencé par l'avance au diagnostic.

Analyse de Dr V.Robert

Vous trouverez des réflexions ici, plus techniques sur l'étude, de notre statisticien Dr Vincent Robert : https://mypebs-en-question.fr/actus/taylor-bmj.php

Dr Vincent Robert a également publié une 'réponse rapide' à l'article dans le BMJ, à lire ici :

https://www.bmj.com/content/381/bmj-2022-074684/rapid-responses

"Taylor et ses collègues (1) ont publié une étude intéressante sur la mortalité par cancer du sein entre 1993 et 2015. L’étude a confirmé une diminution de la mortalité au fil du temps. Cette étude compare également la mortalité associée aux cancers dépistés avec la mortalité associée aux cancers non dépistés.
Bien que cette étude ne permette pas de tirer de conclusions sur les avantages de l’examen préalable, et malgré les avertissements explicites dans la publication, les promoteurs du dépistage l’utilisent pour promouvoir ce dépistage.

1. Cancers d'intervalles

Les deux groupes de cancers diagnostiqués et non diagnostiqués par dépistage ne correspondent pas à la répartition entre femmes dépistées et femmes non dépistées. Les cancers non détectés par le dépistage comprennent les cancers d’intervalle découverts entre deux séries de dépistage chez les femmes qui participent au dépistage. Ces cancers d’intervalle sont des échecs de dépistage, et il n’est pas logique d’évaluer le rendement du dépistage en attribuant ces échecs et les décès qui en résultent aux femmes non traitées. Ce problème est loin d’être mineur : en Angleterre, les cancers d’intervalle représentent environ un tiers de tous les cancers chez les femmes dépistées (2). En outre, ces cancers d’intervalle ont un stade plus élevé avec des caractéristiques moléculaires défavorables (3).

2. Surdiagnostic.

Le surdiagnostic, qui correspond aux cancers découverts par le dépistage mais qui n’auraient jamais affecté la santé s’ils n’avaient pas été découverts, conduit à une augmentation artificielle des cancers sans augmentation des décès.
Le surdiagnostic tend donc mathématiquement à abaisser le taux de mortalité et à créer l’illusion de l’efficacité du dépistage, alors qu’en réalité, le dépistage n’a pas amélioré le pronostic des cancers "réels" ("réels" au sens de cancers susceptibles de nuire à la santé).
Encore une fois, il ne s’agit pas d’un problème mineur puisque le surdiagnostic peut représenter plus de 40 % des cancers diagnostiqués par dépistage (4).

3. Non-comparabilité entre les groupes.

Comme les deux groupes correspondant aux cancers diagnostiqués et non diagnostiqués par le dépistage n’ont pas été mis en place par randomisation, la répartition des facteurs de risque de décès n’est probablement pas équilibrée entre les groupes.

Dans de nombreux cas, le défaut de réponse aux invitations du dépistage reflète des problèmes psychosociaux ou des difficultés d’accès aux établissements de santé, dont les conséquences ne se limitent pas à ne pas accepter les invitations au dépistage, mais sont également susceptibles d’affecter la prise en charge et le pronostic du cancer.

4. Biais d'avance au diagnostic

Le biais d'avance ne devrait pas jouer un rôle important dans la mortalité tardive. En revanche, il est susceptible de réduire la mortalité précoce (mortalité sur 5 ans) des cancers dépistés.

  1. Les préjudices liés au dépistage devraient également être pris en considération

Il ne suffit pas d’évaluer les avantages du dépistage.

Les préjudices liés au dépistage, tels que le stress dû aux fausses alarmes, le surdiagnostic avec répercussions psychologiques et sociales, les conséquences somatiques des traitements inutiles causés par le surdiagnostic et les cancers induits par les rayonnements par des mammographies répétées, doivent tous être pris en considération et soupesés.

L’étude ne fournit aucune information sur ces aspects (ce n’était pas non plus le but de l’étude). Toutefois, ce n’est qu’après avoir examiné tous ces facteurs - la diminution de la mortalité et le coût de cette diminution - qu’on peut porter un jugement sur la valeur du dépistage.

Et c’est à chaque femme de décider elle-même, sans coercition ni persuasion, si oui ou non elle veut être contrôlée.

La valeur du dépistage ne peut être évaluée qu'après avoir pris en compte tous ces aspects. Et chaque femme doit décider elle-même de se faire dépister ou non, sans aucune contrainte ni persuasion."

Références :

  1. Taylor C, McGale P, Probert J, Broggio J, Charman J, et al. Breast cancer mortality in 500 000 women with early invasive breast cancer in England, 1993-2015: population based observational cohort study. BMJ 2023; 381 e074684.
  2. Bennet RL, Sellars SJ, Moss SM. Interval cancers in the NHS breast cancer screening programme in England, Wales and Northern Ireland. Br J Cancer 2011;104(4):571-577  doi:10.1038/bjc.2011.3
  3. Ambinder EB, Lee E, Nguyen DL, Gong AJ, Haken OJ, Visvanathan K. Interval Breast Cancers Versus Screen Detected Breast Cancers: A Retrospective Cohort Study. Acad Radiol. 2023 Feb 3:S1076-6332(23)00020-X. doi: 10.1016/j.acra.2023.01.007
  4. Jørgensen KJ, Gøtzsche PC, Kalager M, Zahl PH. Breast Cancer Screening in Denmark: A Cohort Study of Tumor Size and Overdiagnosis. Ann Intern Med. 2017;166(5):313-323. doi:10.7326/M16-0270

Réponse rapide par Per-Henrik Zahl 

H.Zahl est épidéiologiste et statisticien au Norwegian Institute of Public Health et il répond aux auteurs https://www.bmj.com/content/381/bmj-2022-074684/rr

Taylor et ses collègues [1] ont publié un article intéressant sur le pronostic du cancer du sein au stade précoce diagnostiqué en Angleterre entre 1993 et 2015 et ont conclu que "le pronostic des femmes atteintes d'un cancer du sein invasif au stade précoce s'est considérablement amélioré depuis les années 1990". Il n'est pas si évident que le pronostic se soit amélioré de manière substantielle, car le biais de surdiagnostic (qui comprend à la fois le biais de temps d'avance et le biais de lenteur d’évolution) n'a pas été correctement pris en compte, je pense.

Les auteurs utilisent le terme de mortalité pour décrire la survie après un diagnostic de cancer du sein. Habituellement, le terme de mortalité est utilisé pour désigner le nombre de décès pour 100 000 personnes exposées au risque de décès. Je ne trouve aucune référence aux années d'exposition au risque de la population dans cet article. Il semble donc que les auteurs étudient la mortalité (ou la survie) après un diagnostic plutôt que la mortalité telle qu'elle est normalement définie en épidémiologie. La survie après un diagnostic est une mesure valable pour comparer les thérapies anticancéreuses dans les essais randomisés ; cependant, les changements dans la survie à 5 ans après un diagnostic au fil du temps n'ont que peu de rapport avec les changements dans la mortalité par cancer pour 100 000 personnes à risque. Au contraire, l'évolution de la survie à 5 ans semble principalement liée à l'évolution des schémas de diagnostic [2]. L'évolution des schémas de diagnostic du cancer du sein est appelée surdiagnostic (défini comme la détection de tumeurs qui ne se transformeraient jamais en maladie clinique au cours de la vie de la patiente) [3].

Le niveau de surdiagnostic lors du dépistage du cancer du sein était typiquement d'environ 50 % il y a 20 ans [3]. Le surdiagnostic ne se limite pas au dépistage en tant que tel, mais il est également lié à l'introduction de méthodes de diagnostic plus sensibles, méthodes qui sont également utilisées en dehors des programmes publics de dépistage. La mammographie détecte également de nombreux carcinomes canalaires in situ (CCIS), que beaucoup considèrent comme des lésions précancéreuses. Si vrai, cela devrait permettre de détecter moins de cancers du sein invasifs, ce qui n'a jamais été observé. Le niveau de surdiagnostic augmente avec le temps en raison de l'introduction de nouvelles méthodes de diagnostic plus sensibles [4] et il en va de même pour le CCIS. Le cancer du sein invasif et le CCIS sont positivement corrélés et pas négativement corrélés.

Supposons que le niveau de surdiagnostic soit de 50 % sur une période donnée, qu'il n'y ait pas d'amélioration dans le traitement du cancer et que la survie à 5 ans soit de 80 % pour le cancer du sein à un stade précoce au début de la période. Le nombre de décès parmi les femmes ayant reçu un diagnostic de cancer du sein passerait alors de 20 pour 100 cas de cancer du sein à 20 pour 150 cas de cancer du sein, soit une réduction d'un tiers, même en l'absence d'amélioration du traitement du cancer du sein.

References
1. Taylor C, McGale P, Probert J, Broggio J, Charman J, et al. Breast cancer mortality in 500 000 women with early invasive breast cancer in England, 1993-2015: population based observational cohort study. BMJ 2023; 381 e074684.
2. Welch HG, Schwartz LM, Woloshin S. Are increasing 5-year survival rates evidence of success against cancer? JAMA 2000; 283: 2975-8.
3. Zahl P-H, Strand BH, Mæhlen J. Breast cancer incidence in Norway and Sweden during introduction of nation-wide screening: prospective cohort study. BMJ 2004; 328: 921-4.
4. Bakker MF, de Lange SV, Pijnappel RM, Mann RM, Peeters PHM, et al. Supplemental MRI Screening for Women with Extremely Dense Breast Tissue. NEJM 2019; 381: 2091-102

Réponse à notre courrier de l'auteure principale

Devant la récupération par une certaine presse grand public donnant l'occasion à des défenseurs du dépistage toute latitude à s'exprimer, sans contradiction, les laissant affirmer que l'étude prouverait la suprématie du dépistage pour diminuer la mortalité par cancer du sein ces dernières décennies, nous avons écrit (ainsi que beaucoup d'autres scientifiques, le problème de la distorsion par la presse se posant dans d'autres pays) à l'auteure principale, Mme la Pr. Carolyn Taylor, et avons reçu cette réponse :

"Many thanks for your message to Professor Carolyn Taylor regarding her recent paper published in The BMJ.

Professor Taylor has received a number of inquiries arising from the publication of her paper. She would like to point out that the paper does not provide any information as to the benefits or otherwise of breast screening and that she has nothing to add to what she has already said in the paper.

Thank you again for your interest, ...
Oxford Population Health Communications"

"Un grand merci pour votre message au professeur Carolyn Taylor concernant son récent article publié dans The BMJ .

Le professeur Taylor a reçu un certain nombre de demandes de renseignements découlant de la publication de son article. Elle tient à souligner que le document ne fournit aucune information quant aux avantages ou non du dépistage du sein et qu'elle n'a rien à ajouter à ce qu'elle a déjà dit dans le document.

Merci encore pour votre intérêt ....
Oxford Population Health Communications"

Opinions

BMJ 2023; 381 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.p1355 (Published 13 June 2023)Cite this as: BMJ 2023;381:p1355

Mairead MacKenzie, patient advocate1,  
Hilary Stobart, patient advocate1,  
David Dodwell, senior clinical research fellow and clinical oncologist23,  
Carolyn Taylor, professor of oncology and honorary clinical oncologist23

  1. 1Independent Cancer Patients’ Voice
  2. 2Nuffield Department of Population Health, University of Oxford
  3. 3Oxford University Hospitals, Oxford, UK

Deux défenseures des droits des patientes racontent comment elles ont contribué à l'étude de recherche sur le cancer du sein.

"Mairead MacKenzie et Hilary Stobart ont reçu un diagnostic de cancer du sein il y a quelques années. Elles ne sont que deux parmi le demi-million de femmes qui ont transmis leurs données à notre étude sur les femmes ayant reçu un diagnostic de cancer du sein au stade précoce en Angleterre. En tant que défenseures des patientes, elles ont également contribué à l'élaboration de l'étude.

Hilary et Mairead estiment toutes les deux qu'il est nécessaire de disposer d'informations actualisées sur les suites d'un diagnostic de cancer du sein au stade précoce. Elles ont utilisé leur expertise en tant que patientes pour souligner comment les données des femmes ayant reçu un diagnostic de cancer du sein dans le passé pouvaient être utiles à la pratique clinique d'aujourd'hui. En outre, l'étude leur a également donné l'occasion de réfléchir à tout ce qui a changé depuis que le cancer a été diagnostiqué.

"On ne comprend pas vraiment ce qu'est un cancer tant qu'on ne l'a pas eu", explique Hilary. "Vous rejoignez soudain un groupe dont vous ne vouliez pas faire partie et vous vous rendez compte que vous avez énormément de choses en commun avec les autres membres de ce groupe. Vous avez une vision différente de ce qui est important".
......

L'étude fournit des estimations du risque pour chaque patient. Hilary et Mairead soulignent toutes les deux que les médecins doivent aider les patientes à comprendre que le cancer du sein "n'est pas une seule et même chose". Le pronostic varie considérablement en fonction de facteurs de risque tels que la taille de la tumeur, l'atteinte des ganglions lymphatiques et si la tumeur ait été détectée dans le cadre d'un dépistage.

"Lorsque j'ai été diagnostiquée il y a 20 ans, on ne m'a pas donné de pronostic, si ce n'est qu'il s'agissait d'une maladie grave et qu'il fallait la traiter rapidement", explique Mairead. "Mais je pense qu'une communication claire et de qualité sur le pronostic peut faire une grande différence sur la qualité de vie d'un patient et sur la façon dont il peut faire face à la situation.

"Lorsque l'on diagnostique un cancer du sein, on peut déjà connaître quelqu'un qui est décédé d'un cancer du sein", ajoute Hilary. "Elles peuvent penser que leur risque est le même, mais beaucoup d'entre elles n'ont que moins de 1 % de risque de mourir d'un cancer du sein après cinq ans.

"Pour la majorité des femmes, le pronostic est bon", reconnaît Mairead. "Cette étude le confirme et rassure, car au départ, tout le monde pense qu'il va mourir."

L'étude montre que, pour les femmes chez qui un cancer du sein précoce a été diagnostiqué, le risque d'en mourir dans les cinq ans a considérablement diminué entre les années 1990 et 2010-2015. Pour la plupart des femmes diagnostiquées récemment, le risque de décès par cancer du sein dans les cinq ans était de 3 % ou moins.

Les patientes atteintes d'un cancer du sein ont contribué à cette amélioration.

"Je n'ai encore jamais rencontré de patiente atteinte d'un cancer qui ne soit pas satisfaite de l'utilisation de ses données pour la recherche", déclare Mairead. "S'il y a une chance de faire quelque chose qui pourrait faciliter la vie de ceux qui suivront, les patients disent presque toujours oui.

"Et si les gens n'avaient pas dit oui, nous n'en serions pas là aujourd'hui, n'est-ce pas ? Nous savons que notre traitement actuel est bon grâce à tout le travail qui a été fait auparavant ... le grand nombre d'essais et les milliers de femmes qui étaient prêtes à y participer.

Nos résultats font partie de cet héritage. Ils quantifient des décennies d'améliorations et posent les bases de celles à venir. En attendant, ils peuvent éclairer la façon dont les médecins parlent aujourd'hui de leur pronostic aux patients.

"C'est une bonne nouvelle", conclut Hilary. "Elle montre ce que nous avons fait et que nous devons continuer à le faire. D'autres études comme celle-ci seront nécessaires à l'avenir. Le cancer du sein n'a pas disparu. Il reste encore beaucoup à faire."

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Conséquences psychologiques des fausses alertes

C.Bour, 28 mai 2023

Conséquences psychosociales à long terme de la mammographie de dépistage faussement positive

John Brodersen et Volkert Dirk Siersma
Annals of Family Medicine Mars 2013, 11 (2) 106-115; DOI : https://doi.org/10.1370/afm.1466
https://www.annfammed.org/content/11/2/106.full

Dans le cas de la mammographie de dépistage, le préjudice le plus fréquent est un résultat faussement positif.

C'est une suspicion de cancer sur une image mammographique mais qui ne se confirmera pas, cela après bien des examens complémentaires, avec une attente pour la patiente dans un contexte de stress avant de pouvoir être rassurée que l'image vue à sa mammographie n'est pas un cancer. C'est une situation extrêmement stressante que certaines femmes vivent plusieurs fois dans leur parcours de dépistée.

On connait globalement les effets de stress à court terme, mais cette étude de cohorte de 2013 se promettait de faire une étude à plus long terme, sur trois années exactement, en examinant 454 femmes ayant présenté des résultats anormaux à la mammographie de dépistage. Elles ont été invitées à remplir un questionnaire validé englobant 12 résultats psychosociaux, avec des résultats colligés au départ, puis à 1, puis à 6, 18 et enfin à 36 mois.
Nous en reparlons ici en 2023 parce que les conséquences psychologiques et du surdiagnostic et de la fausse alerte sont souvent négligées et sous-évaluées, et comme les fausses alertes sont un évènement en recrudescence en raison de la double lecture et des progrès croissants de la détection précoce, il est important de bien connaître cet effet adverse.
Les femmes ne l'expérimentent pas moins souvent mais au contraire bien davantage, en raison des progrès technologiques détectant de plus en plus petites anomalies et les exposant à la découverte d'images diverses parmi les trois grands signes majeurs que le radiologue recherche : masse, distorsion architecturale, microcalcifications..

C'est une réalité comptable que mentionnent tous les outils d'aide à la décision, avec des résultats variables selon le groupe d'âge qui est étudié et la durée d'observation.
https://cancer-rose.fr/2021/06/27/outils-daide-a-la-decision-internationaux/
https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/07/affiche_depistage-mammographiqueA4-2.pdf
https://drive.google.com/file/d/1jh53ZZkVRTCsoK0J1DynH-gR1ugEYz8p/view

Des études déjà existantes

Des études sur l'effet psychologique des faux positifs à court terme existaient déjà.[1]
La conclusion est que les faux positifs ont des conséquences psychosociales, pour celles qui les subissent, négatives à court terme, mais les conséquences psychosociales à long terme sont plus ambiguës. Certaines études montrent des conséquences psychosociales négatives importantes, même 35 mois après un faux positif.
Mais d'autres, disent les auteurs, semblent suggérer que l'impact psychosocial négatif, au contraire, disparaît avec le temps. Ces enquêtes, cependant, ajoutent-ils, ont été réalisées en utilisant des mesures inadéquates.

Cette enquête-là sur les conséquences psychosociales à long terme des faux positifs se fait par une mesure en 2 parties : une première partie évalue les conséquences psychosociales associées à une menace directe de cancer (l'annonce d'une image considérée comme suspecte); et une deuxième partie étudie les changements psychosociaux à long terme vécus après le résultat final du diagnostic. 

Le questionnaire

Il y a 29 items dans la partie I et 13 items dans la partie II, mesurant les conséquences psychosociales d'une mammographie de dépistage anormale et faussement positive.

La partie I comprend 2 items uniques ("se sentir moins attirante" et "occupée à me changer les idées") et 6 échelles mesurant l'anxiété (6 items), le sentiment d'abattement (6 items), l'impact négatif sur le comportement (7 items), le sommeil (4 items), la sexualité (2 items) et le degré d'auto-examen des seins (2 items).  
On a 4 catégories de réponse : « pas du tout », « un peu », « assez » et « beaucoup ». 
Plus le score est élevé, plus les conséquences psychosociales négatives subies par la personne sont importantes. 

La partie II du formulaire comprend 4 échelles destinées à mesurer les changements perçus à la suite d'un dépistage mammographique :
-valeurs existentielles (6 items ; par exemple, « mes réflexions sur l'avenir sont plutôt pessimistes/optimistes » ; « mon sentiment de bien-être est moindre/mieux »); 
-impact sur les relations au sein du réseau social (3 items ; par exemple, « ma relation avec mes amis/ ma famille est moins/plus proche » ; « ma relation avec les autres est moins bonne/meilleure ») ;
-se sentir moins ou plus détendu/calme (2 items) ;
-être moins ou plus anxieux face au cancer du sein/« croire que je n'ai pas de cancer du sein » (2 items).  
A tous les éléments de ces échelles sont attribuées 5 catégories de réponse possible : « beaucoup moins », « moins », « comme avant », « plus » et « beaucoup plus ».

Résultats

Six mois après le diagnostic final, les femmes ayant des résultats faussement positifs ont signalé des changements dans les valeurs existentielles et le calme intérieur aussi importants que ceux rapportés par les femmes ayant reçu un diagnostic de cancer du sein. 
Trois ans après avoir été déclarées exemptes de cancer, les femmes avec des résultats initialement faussement positifs lors d'une mammographie ont systématiquement signalé des conséquences psychosociales négatives plus importantes que les femmes qui avaient eu des résultats normaux, et ce dans tous les 12 résultats psychosociaux. 

CONCLUSION 

Les résultats faussement positifs à la mammographie de dépistage causent des dommages psychosociaux à long terme.

Dans une période de 3 ans après avoir été déclarées indemnes de suspicion de cancer, les femmes présentant des expériences de faux positifs ont systématiquement signalé des conséquences psychosociales négatives plus importantes que les femmes présentant des résultats normaux.

Le premier semestre après le diagnostic final, les femmes avec des faux positifs ont signalé des changements tout aussi importants dans leurs valeurs existentielles et leur ressenti de calme intérieur que les femmes atteintes d'un cancer du sein.

 Trois ans après un résultat faussement positif, les femmes subissent des conséquences psychosociales qui varient entre celles subies par les femmes ayant une mammographie normale et celles ayant reçu un diagnostic de cancer du sein.


[1] Salz T , Méta-analyses de l'effet des mammographies faussement positives sur les résultats psychosociaux génériques et spécifiques . Psycho-oncologie . 2010 ; 19 (10) : 1026 – 1034 

PubMed

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Abaisser l’âge du début du dépistage, mais à quel prix ?

Synthèse Cancer Rose, 15 mai 2023

En fin d'article : réaction de la NBCC

Comme l'annonçait, en ce début mai 2023, le journal Globe and Mail ainsi que beaucoup d'autres médias nord-américains, il serait dorénavant recommandé pour les femmes à risque moyen de cancer du sein de passer des mammographies de dépistage tous les deux ans à partir de 40 ans, et cela en vertu d'une proposition de mise à jour des lignes directrices de l'USPSTF, le groupe de travail américain sur les services préventifs.
La nouvelle a fait grand bruit car il s'agit d'un abaissement des recommandations au dépistage de 10 années par rapport aux modalités de dépistage antérieures, qui préconisaient le dépistage du cancer du sein à 50 ans seulement, en raison de risques majorés pour les populations plus jeunes et pour un bénéfice trop restreint.
C'est donc un changement conséquent.

Selon la présidente sortante de l'USPSTF, le Dr Carol Mangione, "les choses ont changé" : les taux de cancer du sein chez les jeunes femmes ont augmenté, les progrès de la mammographie numérique ont amélioré leur précision de détection et de meilleurs traitements se traduisent par une amélioration de la survie.

Déjà à ce stade nous relevons deux affirmations qui devraient faire poser la question de la pertinence d'un dépistage :

Comme on pouvait s'y attendre " L'American Cancer Society (ACS) applaudit le retour des recommandations de l'USPSTF de commencer le dépistage à 40 ans" dans un communiqué.
Les fournisseurs du secteur de l'imagerie de la femme, tels que Hologic et iCAD, ont vu le cours de leurs actions grimper en flèche à la suite de cette annonce, car les volumes de mammographies de dépistage vont significativement augmenter. 

Et puis allez, pourquoi ne pas recommander que les femmes effectuent un dépistage par mammographie à partir de l'âge de 40 ans ET annuel, et même toute leur vie durant sans l'arrêt préconisé à 74 ans, donc sans limite supérieure ?
Voilà un pas allègrement franchi par l'Américan Cancer Society "car l'âge ne devrait pas être un facteur déterminant pour l'arrêt du dépistage, mais plutôt l'état de santé général ...", comme l'a déclaré Stamatia V. Destounis, MD, présidente de la Commission du sein de l'ACR (American College of Radiology)et membre du Réseau des conseillers en information publique de la société nord-américaine de radiologie.
(Pour les conflits d'intérêts de Mme Destounis avec iCAD, industriel de l'imagerie, voir ici : https://www.rsna.org/-/media/Files/RSNA/Annual%20meeting/2022-AMPPC-Planners-Disclosure)

JUSTIFICATION ET CONSEQUENCES DE CE CHANGEMENT

Judith Garber, journaliste scientifique et analyste politique du Lown Institute dans un article ainsi que John Horgan, également rédacteur scientifique dans un autre article essaient tous deux d'analyser les raisons invoquées par l'agence américaine, qui sont essentiellement de l'ordre de deux :
-augmentation des cancers du sein chez des femmes plus jeunes, et
-augmentation des cancers les plus agressifs chez les femmes noires.

Judith Garber relève avec justesse que "la modification des lignes directrices de l'USPSTF a surpris de nombreux experts de la santé, car il n'y a pas eu de nouveaux essais cliniques sur le dépistage du cancer du sein qui justifieraient un ajustement des lignes directrices."

A-le dépistage pourrait raccourcir plus de vies qu'il n'en "sauve"

"Le groupe de travail", explique Horgan,"justifie sa décision en citant l'augmentation récente du nombre de cancers du sein chez les femmes de 40 ans et les taux de mortalité plus élevés que la moyenne chez les femmes noires. Cette justification n'a aucun sens, car les mammographies n'aident pas les femmes à vivre plus longtemps - selon le groupe de travail lui-même ! En fait, il est prouvé que la mammographie raccourcit plus de vies qu'elle n'en sauve.*" selon ce travail de synthèse citée par Horgan, paru en 2021.
De toute façon, expliquent aussi bien Garber que Horgan, même en ajustant les modèles prédictifs pour tenir compte des taux plus élevés de cancers chez les jeunes femmes, la balance bénéfice/risque n'est toujours pas très différente des résultats précédents de l'USPSTF de 2016, avec toujours une prépondérance des inconvénients par rapport au bénéfice escompté.
* "L'examen de la tendance de la mortalité toutes causes confondues révèle que le compromis entre les inconvénients et les avantages de la mammographie s'est déplacé vers les inconvénients au fil du temps." 

"Le changement se produit toujours au fil du temps, évidemment, au fur et à mesure que les preuves évoluent" déclare Ruth Etzioni, biostatisticienne travaillant au Fred Hutchinson Cancer Center, dans le media STAT.
"En même temps, il doit y avoir une raison convaincante et dans les documents ici, je ne vois pas encore de raison convaincante. Lorsque je me suis penchée sur les études de modélisation de 2016, l'analyse des bénéfices et des risques était très similaire."

B-L'excès de cancers agressifs chez les femmes noires

"L'USPSTF a également voulu souligner que les femmes noires sont diagnostiquées avec un cancer du sein à un stade plus avancé et qu'elles sont confrontées à un taux de mortalité par cancer du sein plus élevé que les autres groupes raciaux", reprend J.Garber ; "par conséquent, une date de début de dépistage plus précoce pour ces patientes pourrait sauver des vies et réduire les disparités raciales dans les résultats du cancer du sein. Cependant, bien que l'USPSTF ait utilisé de nouveaux modèles explorant les bénéfices et les risques du dépistage chez les femmes noires, elle s'est abstenue de recommander un dépistage plus précoce pour les femmes noires en particulier."
Pour Mme Garber :
-l'abaissement de l'âge ne résoudra pas le problème de l'accès aux soins pour certaines populations.
- pour réduire les disparités raciales, il ne suffit pas d'abaisser l'âge du dépistage. Les disparités dans la mortalité par cancer du sein sont la résultante, aux Etats Unis, souvent de disparité de nature structurelles, sociales et économiques, avec de moindres chances pour l'accès aux soins pour les populations noires.

C-bénéfice sur la mortalité, mais quelle contrepartie ?


L'agence étatsunienne de son côté affirme que les avantages de la mammographie, qui permet idéalement de détecter le cancer à un stade précoce où il est plus facile à traiter, l'emportent sur les inconvénients ( que sont les faux positifs et les surdiagnostics). Mais ces prétendus avantages du dépistage, très hypothétiques et de plus en plus remis en question, n'apparaissent que dans les études qui mesurent la mortalité due au cancer du sein, et ils ne tiennent pas compte des préjudices liés au surdiagnostic. Ils ne tiennent pas compte des cancers secondaires radio-induits, suite à la radiothérapie (cancers bronchiques secondaires, leucémies), des cardiopathies ayant significativement augmenté chez les survivantes du cancer, des suicides, des syndromes anxio-dépressifs, etc..

"Pour ces raisons," écrit Horgan," les chercheurs privilégient de plus en plus la "mortalité toutes causes confondues", c'est-à-dire le décès quelle qu'en soit la cause, comme mesure de l'efficacité du dépistage. La mort, point final, est un critère strict, qui ne laisse aucune marge de manœuvre subjective. Diverses études ont montré que la mammographie ne prolonge pas la vie lorsque la mortalité toutes causes confondues est mesurée. C'est pourquoi certains experts préconisent l'abandon du dépistage par mammographie."

J.Horgan cite Amanda Kowalski, économiste spécialisée dans les soins de santé, qui présente ces données dans "Mammograms and Mortality : How Has the Evidence Evolved ?", publié dans le Journal of Economic Perspectives en 2021.
"Sur une période de vingt ans, les femmes ayant bénéficié d'un dépistage sont décédées à un rythme nettement plus rapide que les femmes du groupe témoin. Kowalski note que les femmes dépistées avaient un risque élevé de mourir d'un cancer du poumon ou de l'œsophage ; elle cite des preuves que la radiothérapie pour le cancer du sein augmente les risques de cancer mortel du poumon et de l'œsophage pour les patientes."
Voici la mise en garde de J.Horgan : "les mammographies pourraient être bénéfiques aux femmes présentant un risque de cancer du sein supérieur à la moyenne, telles que celles dont des membres de la famille ont succombé à la maladie. Mais les conclusions du professeur Kowalski ont une conséquence dévastatrice : le dépistage des femmes en bonne santé et asymptomatiques finit par tuer plus de femmes qu'il n'en sauve." Ceci corrobore les conclusions de M.Baum, selon lesquelles, dans une publication du BMJ en 2013, les effets néfastes du dépistage du cancer du sein l'emportent sur ses bénéfices si les décès dus au traitement sont pris en compte.

DES SCENARIOS

Le rapport de modélisation de l'USPSTF pour ses nouvelles recommandations présente une multitude de scénarios qui estiment les taux auxquels le dépistage du cancer du sein entraînerait certains avantages et inconvénients, selon différents âges de début, de durée et selon différents rythmes de dépistage.

Mais à chaque fois, une personne sans sur-risque particulier, qui se fait dépister, a plus de chances d'être traitée pour un cancer qui ne lui aurait jamais fait de mal que d'éviter de mourir d'un cancer du sein. Elle a plus de deux fois plus de chances de mourir de toute façon d'un cancer du sein, dit J.Garber, que de se voir détecter et traiter avec succès un cancer agressif. Et les femmes dépistées sont bien plus susceptibles de subir une biopsie inutilement ou de recevoir un résultat faussement positif que d'éviter de mourir d'un cancer du sein.

Tout est une question de compromis, en intensifiant le dépistage, en le débutant plus tôt, en le poursuivant plus tard, on évite peut-être des décès, mais au prix de combien de faux positifs en contrepartie, de surdiagnostics et de surtraitements qui eux-même compromettent la santé et la survie ?
Quels sont les compromis que nous acceptons ? Est-ce que tout individu est prêt à accepter le même compromis que son voisin ?
Une décision prise dans l'intérêt de la santé de la population peut ne pas être acceptable pour tout individu.
Quel est le prix que chaque femme est prête à payer pour qu'un décès par cancer du sein soit évité, sachant que dans le même temps d'autres femmes (dont elle-même) peuvent expérimenter la détection d'un cancer qui ne leur aurait pas été fatal, qui les expose à un surtraitement, à un possible cancer secondaire dû à la radiothérapie pour un cancer qu'on pouvait ignorer ?

Avec l'abaissement de l'âge de début du dépistage de 50 à 40 ans, l'USPSTF affirme concrètement que pour éviter un décès supplémentaire par cancer du sein sur 1 000 femmes dépistées, les femmes doivent accepter 519 faux positifs supplémentaires, 62 biopsies inutiles de plus et deux cas supplémentaires de surdiagnostic" par rapport aux faux positifs, biopsies inutiles et surdiagnostics déjà existants pour un dépistage débutant à 50 ans.
Voilà exactement ce que signifie l'abaissement d'une décennie de l'âge de début du dépistage.

CONCLUSION, un retour en arrière

Selon Horgan, ces changements des recommandations de l'USPSTF ne sont pas justifiés, pour lui "l'appât du gain ne peut être écarté. La prise en charge du cancer du sein est une vaste entreprise rentable, alimentée par la peur que les femmes éprouvent à l'égard de cette maladie." Ce business du cancer est ce qu'il explique longuement dans cet article.

La modélisation utilisée pour apprécier concrètement ce qu'un dépistage va produire "ne tient toujours pas compte des implications négatives à long terme du dépistage du cancer (par exemple, le surdiagnostic) ou du fait que les tumeurs se développent parfois de façon inattendue, ou du fait que les tumeurs se développent et régressent parfois à des rythmes différents." comme l'explique V.Prasad, professeur d' oncologie et hématologie américain dans sa video de 2021".

D'autres réactions notent le caractère très rémunérateur de cette nouvelle recommandation :
https://radiologybusiness.com/topics/medical-imaging/womens-imaging/uspstf-recommends-women-begin-breast-cancer-screening-40-boosting-stocks-mammo-related-firms
Dans Radiology business on peut ainsi lire : " Le groupe de travail américain sur les services préventifs a publié mardi de nouvelles recommandations sur le dépistage du cancer du sein, invitant désormais toutes les femmes à se soumettre à un dépistage tous les deux ans à partir de l'âge de 40 ans.
Ce projet de lignes directrices marque un changement par rapport aux normes précédentes de l'USPSTF, qui préconisait le dépistage à partir de 50 ans. Les fournisseurs du secteur de l'imagerie pour femmes, tels que Hologic et iCAD, ont vu le cours de leurs actions grimper en flèche mardi matin à la suite de cette nouvelle, car les volumes de dépistage devraient augmenter. 
L'influente USPSTF avait précédemment encouragé les femmes à "prendre une décision individuelle" quant au moment de commencer le dépistage avant 50 ans, mais elle fait maintenant marche arrière et s'aligne sur les lignes directrices énoncées par les sociétés médicales."

Onco'Zine titre : "La mise à jour des lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein devrait stimuler la vente d'équipements de mammographie".
Selon ce média, la projection de croissance à escompter est faramineuse : "Évalué à 1,9 milliard de dollars américains en 2021, le marché mondial des équipements de mammographie devrait atteindre un montant stupéfiant de 4,3 milliards de dollars américains en 2030. Cette projection est basée sur une prévision de GlobalData, une importante société de données et d'analyse."

On peut considérer cette mesure, qui, nous pouvons parier, sera sûrement adoptée dans d'autres pays occidentaux, comme une réelle régression, à une époque où la médecine moderne préconise plutôt une réflexion mesurée et pondérée, conjointe avec le patient, où on commençait à se poser plutôt la question de la désescalade des procédures de routine préjudiciables.

L'information des femmes est une fois de plus fortement mise en danger, le message donné étant que davantage de dépistages équivaut à sauver des vies, cela sans preuve aucune, alors qu'à la fois le Conseil de l'Europe appelle à la prudence et que même l'Institut du Cancer Américain encourage les concepteurs de lignes directrices à approfondir leurs recherches avant de mettre à jour leurs lignes directrices, afin de s'assurer que les meilleures données possibles sur les effets néfastes du dépistage sont utilisées pour formuler leurs recommandations.

On en est bien loin....

REACTION DE LA NBCC (National breast cancer coalition, USA)

Il n'y a pas de nouvelles preuves à l'appui des changements proposés par l'USPSTF pour les lignes directrices relatives au dépistage par mammographie

14 juin 2023

National Breast Cancer Coalition demande des stratégies fondées sur des données probantes pour répondre aux questions difficiles et sauver des vies.

"Fondée en 1991, la National Breast Cancer Coalition (NBCC) est une collaboration d'activistes, de survivantes, de chercheurs, de décideurs politiques, de groupes locaux et d'organisations nationales qui se sont rassemblés pour innover de manière radicale en vue d'un changement social. Nous mettons en relation des centaines d'organisations et des dizaines de milliers d'individus de tout le pays au sein d'une coalition dynamique et diversifiée qui donne au cancer du sein une voix significative à Washington, D.C., et dans les capitales des États, dans les laboratoires et les institutions de soins de santé, et dans les communautés locales partout présentes".

"Notre activisme a généré plus de 4 milliards de dollars supplémentaires pour la recherche sur le cancer du sein. Nos initiatives de recherche et notre plaidoyer ont contribué à l'émergence de nouveaux modèles de recherche".

Missions :
- Poser les questions difficiles.
- Interpeller les scientifiques.
- Dire la vérité.
- Faire campagne pour le financement de la recherche et l'accès aux soins.
- Faire avancer la cause pour sauver des vies.

Le dépistage par mammographie est, par définition, destiné aux femmes qui ne présentent aucun symptôme ou signe de cancer du sein. Lors du dépistage du cancer du sein chez les femmes asymptomatiques, les bénéfices doivent être clairs et les préjudices inexistants. Malheureusement, le projet de recommandations de l'United States Preventive Services Task Force (USPSTF) concernant le dépistage du cancer du sein chez les femmes présentant un risque moyen ne répond pas à ces critères.

Les dépistages devraient en fin de compte permettre de réduire le nombre de décès. Mais la question de savoir si le dépistage par mammographie réduit le nombre de décès, en particulier chez les jeunes femmes, est débattue depuis des décennies. Les chercheurs ont mené au moins sept essais cliniques prospectifs randomisés - l'étalon-or des preuves - et aucun n'a résolu la question. 

Aujourd'hui, des méthodes de preuve moins robustes et moins claires, connues sous le nom de modélisation statistique, sont utilisées pour trouver un avantage au dépistage précoce. Ces méthodes sont complexes et nécessitent de nombreuses hypothèses. Pourtant, l'USPSTF utilise les résultats de ces modèles pour recommander des dépistages bisannuels pour toutes les femmes de 40 ans et plus, plutôt que de laisser les femmes décider elles-mêmes. 

Lire notre déclaration officielle sur le projet de lignes directrices.

Position du NBCC sur le dépistage par mammographie
Le dépistage du cancer du sein par mammographie chez les femmes présentant un risque moyen et ne présentant aucun symptôme est un sujet extrêmement complexe et controversé. Parce qu'il a lieu dans une population en bonne santé, la National Breast Cancer Coalition (NBCC) estime depuis longtemps que les bénéfices du dépistage doivent être nettement supérieurs aux risques. 

Dans ses recommandations antérieures, que la NBCC a soutenues avec réticence, l'USPSTF préconisait un dépistage mammographique bisannuel pour les femmes âgées de 50 à 74 ans, avec l'option d'un dépistage bisannuel pour les femmes âgées de 40 à 49 ans à la suite d'une conversation avec leur médecin sur les risques et les bénéfices. Les femmes pouvaient choisir. Ces lignes directrices reconnaissaient les préjudices connus du dépistage et le fait que les données des essais contrôlés randomisés ont montré des bénéfices limités pour toutes les femmes, en particulier dans ce groupe d'âge.

Les preuves n'ont pas changé-
Aucune nouvelle donnée expérimentale n'est apparue concernant les bénéfices et les risques du dépistage par mammographie. Qu'est-ce qui a motivé ces nouvelles recommandations ?

La situation est complexe et les données scientifiques sont denses. L'USPSTF a fondé ses recommandations sur une analyse de modélisation collaborative utilisant les six modèles de cancer du sein du réseau CISNET (Cancer Intervention and Surveillance Modeling Network). 
Ces six modèles statistiques ont été utilisés pour estimer indépendamment les résultats du cancer du sein dans un groupe hypothétique de 1 000 femmes de 40 ans à risque moyen, avec ou sans dépistage du cancer du sein (soit par mammographie numérique, soit par tomosynthèse mammaire numérique). L'USPSTF a examiné les résultats pour les femmes de toutes races et les femmes noires, respectivement.
Les modèles ne concordent pas. Chaque approche de modélisation a donné lieu à des estimations différentes pour chaque résultat et préjudice. La valeur médiane de tous les modèles a été utilisée pour fournir les meilleures estimations des bénéfices et des dommages dans chaque scénario.

Un examen plus approfondi des chiffres

En 2016, en utilisant la même approche de modélisation statistique et les six mêmes modèles CISNET, l'USPSTF a donné au dépistage des personnes âgées de 40 à 49 ans une recommandation de niveau "C", laissant la décision aux femmes.  
En 2023, l'analyse du modèle collaboratif a fait passer la force de la recommandation de "C" (nécessitant une décision éclairée) à "B" (une pratique que le prestataire devrait fortement encourager et sur laquelle il sera noté). Quelle était la différence ? Ils ont constaté que 0,3 décès supplémentaire par cancer du sein était évité pour 1 000 femmes dépistées au cours de leur vie.

Quels sont les risques du dépistage ?

Les estimations du modèle de l'USPSTF comprennent
- Une augmentation d'environ 60 % des résultats faux positifs (de 873 à 1 376).
- Une augmentation d'environ 6 % des biopsies bénignes (environ 148 à 210).  
- Deux cas supplémentaires de surdiagnostic (de 12 à 14), bien qu'il y ait eu une grande variation entre les modèles, de seulement 4 à 37 cas.

Le surdiagnostic - et par conséquent le surtraitement - est l'un des principaux préjudices du dépistage. La détection, l'ablation et le traitement de cancers du sein qui, autrement, n'auraient jamais porté préjudice aux femmes ne sauvent pas des vies. En revanche, il soumet les femmes à des traitements toxiques qui pourraient entraîner des problèmes de santé importants tout au long de la vie, y compris d'autres cancers. 

Tant que les chercheurs ne pourront pas déterminer quels cancers du sein finiront par se propager, par réduire la qualité de vie ou par entraîner la mort, le surdiagnostic restera une conséquence des technologies de dépistage actuelles.

L'approche par modélisation ne reflète pas la réalité 

L'une des principales limites de l'approche par modélisation est que tous les modèles supposent une adhésion totale au dépistage, une évaluation rapide des résultats de dépistage anormaux et un accès approprié et rapide au traitement. Malheureusement, ce n'est pas ainsi que les choses se passent dans le monde réel, si bien que les bénéfices potentiels représentent une hypothèse optimiste et peu probable.

L'USPSTF a cité des données épidémiologiques qui montrent que le taux d'incidence (le nombre de nouveaux cas) du cancer du sein invasif chez les femmes âgées de 40 à 49 ans a augmenté de 2,0 % par an entre 2015 et 2019. Mais cette augmentation est probablement due, en grande partie, au dépistage intensif qui est déjà pratiqué chez les femmes de ce groupe d'âge. 

Selon les Centers for Disease Control and Prevention, entre 2008 et 2018, plus de 60 % de toutes les femmes âgées de 40 à 49 ans aux États-Unis ont subi une mammographie au cours des deux dernières années. Cela augmenterait bien sûr le nombre de cas diagnostiqués.

L'abaissement de l'âge du dépistage ne résoudra pas les disparités raciales

Il apparaît que l'USPSTF a modifié sa recommandation principalement pour combler l'écart de mortalité entre les femmes blanches et les femmes noires. Bien que l'objectif ne soit évidemment pas que les femmes noires décèdent au même rythme que les femmes blanches, mais que la mortalité par cancer du sein soit éliminée pour tous, nous devons nous pencher sur cet écart.  

Bien que l'incidence du cancer du sein soit comparable, le taux de mortalité par cancer du sein est 40 % plus élevé chez les femmes noires. Cependant, il n'est pas clair comment le fait de commencer le dépistage du cancer du sein à 40 ans aura un effet sur l'écart de mortalité, d'autant plus que, comme indiqué ci-dessus, environ 60 % des femmes de toutes les races dans cette tranche d'âge sont déjà soumises à un dépistage. L'écart persiste même si les femmes noires et blanches de cette tranche d'âge sont dépistées au même rythme. 

Le dépistage par mammographie n'éliminera pas les disparités de longue date en matière de cancer du sein, quel que soit l'âge de début et de fin du dépistage. Ces disparités sont le résultat d'un racisme structurel et des politiques de santé qui créent un accès inéquitable à des soins appropriés, opportuns et de qualité.

Que faudra-t-il vraiment pour mettre fin au cancer du sein et sauver des vies ?

Dépenser des milliards de dollars supplémentaires chaque année pour des interventions inefficaces - ou, au mieux, faiblement efficaces - détourne les ressources des questions difficiles, concernant par exemple sur la façon de prévenir le cancer du sein ou de l'empêcher de se métastaser et sur la façon de créer un système de soins de santé équitable. 

Le dépistage par mammographie n'est pas la solution pour mettre fin au cancer du sein et sauver des vies, et il est malvenu de continuer à le considérer comme une stratégie primordiale.

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Dépister la…cytoliose !

L'impact des influences dans les invitations envoyées dans le cadre d’un programme de dépistage médical : un essai contrôlé randomisé

Christian Patrick Jauernik 1,2,  Or Joseph Rahbek 1,2,  Thomas Ploug 3,  Volkert Siersma 1, John Brandt Brodersen 1,2
1  Department of Public Health, The Research Unit for General Practice and Section of General Practice, University of Copenhagen, Copenhagen, Denmark
2  The Primary Health Care Research Unit, Zealand Region, Sorø, Denmark
3  Centre for Applied Ethics and Philosophy of Science, Department of Communication and Psychology, Aalborg University Copenhagen, Copenhagen, Denmark
European Journal of Public Health, ckad067, https://doi.org/10.1093/eurpub/ckad067

Les auteurs de cette publication ont eu l'idée d'un dépistage de maladie fictive, la "cytoliose", non transmissible et potentiellement mortelle, et ont envoyé pour ce faire des invitations à un dépistage avec dépliants, dépistage tout aussi fictif.

Cet essai est randomisé avec sept bras, c'est à dire sept groupes de personnes dans un total de 600 personnes étudiées.
Chaque groupe recevait un dépliant, avec des messages qui différaient plus ou moins dans leur caractère incitatif à participer au dépistage.
Les objectifs de l'étude étaient :
1) évaluer si les différentes méthodes d'influences ont un effet significatif sur l'intention de participer à un programme de dépistage, et
2) si les participants étaient conscients de ces influences, et si il y avait une relation entre l'intention de participer et cette prise de conscience.

Introduction et contexte

Selon les auteurs :
"...Les programmes de dépistage du cancer s'accompagnent de nombreux préjudices involontaires tels que les faux positifs, le surdiagnostic et le surtraitement, qui peuvent entraîner des préjudices physiques, psychologiques ou sociaux. La qualité des programmes de dépistage est parfois évaluée en fonction d'un taux de participation important."

Du point de vue des autorités sanitaires il est pré-supposé qu'un programme de dépistage de maladies cancéreuses est plus bénéfique que nocif, et qu'un taux de participation élevé maximiserait les avantages escomptés de ce programme de dépistage.
En outre, on constate que les citoyens ayant un statut socio-économique plus bas ont une incidence plus élevée de maladies cancéreuses (à l'exception du cancer du sein), mais qu'ils sont moins enclins à participer aux programmes de dépistage.

"Cela incite encore plus les autorités sanitaires à rendre la participation au dépistage simple et sans obstacle afin de promouvoir l'égalité en matière de santé. Les autorités sanitaires peuvent influencer systématiquement les citoyens de manière subtile..." disent les auteurs.

"Tous les citoyens ne partagent pas la même appréciation des bénéfices et des risques que les autorités sanitaires. Et même s'ils sont d'accord avec les autorités sanitaires pour affirmer que les bénéfices l'emportent sur les risques au niveau de la population, il se peut qu'ils ne souhaitent pas participer parce qu'ils risquent, au niveau individuel, de subir plus de préjudices que de bénéfices - les données actuelles suggèrent que les citoyens les mieux informés sont moins susceptibles de participer au dépistage du cancer."

Les auteurs se réfèrent à une étude publiée en 2019 sur les méthodes d'influence qui sont utilisées par les autorités sanitaires pour pousser les populations à participer à divers programmes de dépistage : ces méthodes vont des messages anxiogènes à la minimisation des risques et des inconvénients du dépistage.
Notre Institut National du Cancer (INCa) était cité dans cette étude, dans la catégorie 1) Présentation trompeuse des statistiques et 2) Représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux bénéfices.
Il est d'ailleurs amusant de constater que ledit INCa est très prompt à classer la controverse du dépistage dans les fake-news dans une page intitulée "éclairages" tout en étant lui-même pris en faute de manipulation du public par sa documentation orientée et fallacieuse.

L'auteur de cette étude de 2019 sur la manipulation du public est un des co-auteurs de cette étude actuelle ; en 2019 il distinguait dans sa publication 5 catégories d'influences des personnes :
1.      Présentation tendancieuse des statistiques,
2.     Omission des effets nocifs et accent mis sur les bénéfices,
3.     Recommandations à participation,
4.     Systèmes de non-participation (opt-out) -Cela consiste à attribuer aux citoyens un rendez-vous fixé à l'avance au moment de l'invitation. Si la personne ne souhaite pas participer elle doit se désengager activement. On considère de facto le non-refus du patient comme acceptation de participer.
5.     Appels à la peur.

Ces différents types d'influences affectent de manière significative la participation individuelle en contournant ou en contrecarrant la réflexion, et elles peuvent être incompatibles avec une prise de décision éclairée.

La cytoliose

Cette maladie totalement crée pour l'étude, soi-disant mortelle, a été inventée pour éviter un biais dû aux idées préconçues et aux craintes liées au cancer.

Les auteurs expliquent :
" La brochure (neutre, de base, NDLR) sur le dépistage de la cytoliose s'inspirait en partie de la brochure danoise sur le dépistage du cancer colorectal, et la cytoliose avait la même incidence et la même mortalité que le cancer colorectal.
Le programme de dépistage de la cytoliose présentait les mêmes bénéfices (par exemple, réduction de la mortalité) et les mêmes risques (par exemple, faux positifs, dommages physiques et surtraitement) que le dépistage du cancer colorectal chez un homme de 50 à 60 ans.
Les préjudices du programme de dépistage fictif ont été amplifiés par rapport au dépistage du cancer colorectal afin de mieux équilibrer les bénéfices et les préjudices liés à la participation."

Il y a eu donc sept brochures différentes qui ont été distribuées, une pour chacun des sept groupes de cette étude randomisée :
A- La brochure "neutre"
B- Une brochure avec des diminutions relatives de risque pour accentuer la réduction de la mortalité.
(A l'instar du procédé de l'INCa pour le cancer du sein, donnant des pourcentages de réduction de mortalité qui correspondent à des taux de comparaison entre des populations, mais pas du tout aux données réelles, absolues ; voir l'article : https://cancer-rose.fr/2017/01/03/mensonges-et-tromperies/
Cette technique de tromperie dans la présentation de la réduction de mortalité est constamment utilisée par l'INCa, alors même que les citoyennes l'ont reproché lors de la concertation sur le dépistage du cancer du sein en 2016 ; rien n'a changé dans la communication de l'INCa et on peut toujours lire dans les documents une "réduction de mortalité de 20%", ce qui correspond en vraie vie à une seule femme dont la vie est prolongée par le dépistage sur femmes 2000 dépistées et sur 10ans de dépistage, ce qui n'est plus la même chose....
C- La troisième brochure donnait une présentation erronée des inconvénients par rapport aux avantages, omettait les effets nocifs et mettait l'accent sur les bénéfices, là aussi très similaire aux méthodes de l'INCa avec omission volontaire des risques les plus importants, (lire https://cancer-rose.fr/2021/10/19/linca-toujours-scandaleusement-malhonnete-et-non-ethique/)
D- La quatrième brochure était basée sur les rendez-vous pris à l'avance (système opt-out, voir plus haut)
E- La cinquième brochure contenait une recommandation explicite de participation
F- La sixième brochure faisait appel à la peur
G- Et enfin, une dernière brochure contenait tous les systèmes d'influence à la fois.

Tous les types d'influence étudiés ont été inspirés par des exemples réels de programmes de dépistage du cancer.(De type brochures 2 et 4 pour notre institut français)

Toutes les brochures sont à retrouver dans l'annexe PDF

 Les résultats

A- Résultat principal : mesure de l’intention de participer

"La proportion la plus faible de personnes ayant l'intention de participer (31,8 %) a été observée dans le groupe ayant reçu la brochure neutre (A), tandis que la proportion des personnes avec intention de participait se situait entre 39,2 % et 80,0 % lorsque les autres brochures, non neutres, avaient été distribuées.."
Voir tableau 2 (cliquez pour agrandir)

L'intention de participer (sans ajustement en fonction du statut socio-démographique) a augmenté de manière statistiquement significative dans les groupes ayant reçu des brochures contenant des réductions du risque relatif (B), une présentation erronée des inconvénients par rapport aux avantages (C), une recommandation explicite de participation (E), des appels à la peur (F) et toutes les influences combinées(G)

B- Résultat secondaire : connaissance des influences et effet de la connaissance des influences sur l'intention de participer

 Les participants étaient-ils conscients de ces influences auxquelles ils étaient soumises pour participer davantage, et y avait-il une relation entre l'intention de participer et cette prise de conscience des influences subies ?

"Une majorité variant entre 60,0 % et 78,3 % des participants", disent les auteurs "n'a pas indiqué avoir conscience que leur choix tentait d'être influencé (brochures B à G).
Il n'y avait pas de différence claire entre les réponses à la brochure neutre (A) et les brochures contenant une tentative délibérée d'influencer le choix des participants."

" Les participants qui ont reçu une brochure avec une influence (B-G) et qui n'ont pas indiqué être conscients que leur choix était influencé ont eu davantage l'intention de participer que ceux qui ont eu l'impression que la brochure essayait d'orienter leur choix et qui ont ensuite correctement localisé une influence."

Les auteurs disent aussi que les participants avec une brochure influente et non conscients de cela ont eu davantage d'intention de participer que ceux qui ont eu l'impression que la brochure essayait d'orienter leur choix mais qui, en revanche, ne parvenaient pas à localiser correctement cette influence.

Néanmoins, avertissent les auteurs " Les résultats secondaires doivent être interprétés avec prudence. Étant donné que les résultats secondaires sont mesurés après que les participants ont indiqué leur intention de participer, cela peut affecter leur réponse sur le fait que la brochure essayait ou non d'orienter leur choix. Nous émettons l'hypothèse que les participants qui avaient l'intention de participer pourraient être plus réticents à admettre qu'ils ont été potentiellement influencés."

En tout cas il est certain et démontré que les cinq catégories d'influences augmentent l'intention de participer lorsqu'elles sont utilisées dans les documents envoyés aux cibles des dépistages.
Moins de la moitié des participants reconnaissaient ces influences, et le fait de ne pas les connaître s'associait de facto à une augmentation de l'intention de participer.

Conclusion des auteurs

" Ces résultats appellent une réflexion et une discussion sur l'utilisation de différents types d'influence pour augmenter le taux de participation aux programmes de dépistage du cancer. Les risques potentiels de la participation à des programmes de dépistage du cancer peuvent être graves et substantiels, et l'effet escompté de l'augmentation du taux de participation par l'utilisation d'influences doit être soigneusement évalué par rapport à l'effet involontaire de contourner potentiellement le choix éclairé des participants. Il est donc nécessaire de trouver d'autres moyens d'évaluer les programmes de dépistage du cancer que le taux de participation.
L'une de ces alternatives pourrait être le taux de décisions éclairées prises par les participants potentiels au dépistage."
Et cela même si, comme le supposent les auteurs, les citoyens pourraient se sentir désemparés en prenant connaissance des multiples risques des dépistages.

D'autres aspects dans la prise de décision d'une personne de participer ou pas sont aussi à considérer :
" Le matériel d'information n'est pas le seul aspect de la prise de décision, et cette étude n'examine pas les raisons externes des choix des participants, par exemple la culture (de la santé) de la société, les attitudes propres et générales de la société à l'égard des interventions de santé, le sens du devoir, le comportement et les opinions des proches, les obstacles à l'intention et au comportement réel, les incitations financières des professionnels de la santé pour augmenter le recours au dépistage, etc. ...Les recherches portant sur les raisons externes peuvent quantifier l'importance de la prise de décision sur le matériel d'information."

"L'effet considérable des influences qui sont encore renforcées par la non-conscience (de ces influences) suggère que l'application de ces influences devrait être soigneusement examinée pour les interventions où la participation informée est prévue."

Les rédacteurs de cette publication suggèrent que des recherches supplémentaires sur les effets négatifs potentiels de ces influences soient envisagées, car les effets négatifs de ces techniques d'influence sur la population débouchent un affaiblissement de la confiance dans les autorités sanitaires.

ANNEXE-LES BROCHURES

Commentaire Cancer Rose

Cette publication, avec celle de Rahbek de 2019, rappellent une fois de plus les effets désastreux sur la santé des gens des influences néfastes que des documents d'information fallacieux et déséquilibrés peuvent entraîner.

Il faut toujours avoir à l'esprit que les documents pour des dépistages sont envoyés à des populations qui se portent bien et n'ont, a priori, aucune plainte clinique. L'influence utilisée pour les faire entrer dans des processus de dépistage potentiellement nocifs s'apparente à imposer un dispositif de santé potentiellement nuisible sans en informer les personnes et en les trompant. Ce qui est éthiquement indéfendable, et pourtant fait par les autorités sanitaires.

L'INCa français, est pointé du doigt dans l'étude de 2019, comme on peut le voir dans un tableau synthétique de létude (https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2021/04/nouveau-tableau.pdf ; voir les parties surlignées) ; plutôt que de consacrer des ressources à pointer du doigt une controverse de plus en plus présente sur la pertinence du dépistage du cancer du sein, l'institut ferait bien de consacrer temps et moyens pour corriger ses graves défauts de communication qui trompent les citoyennes françaises sur le dépistage du cancer du sein.

Concernant le dépistage du cancer du sein, nous pouvons mettre cette étude en relation avec une autre, française celle-ci, parue en 2016, démontrant que lorsqu’on donne aux femmes une information un peu plus objective sur le dépistage du cancer du sein par mammographie, elles s’y soumettent moins.( https://cancer-rose.fr/2020/09/08/information-objective-et-moindre-soumission-des-femmes-au-depistage/)
Cette étude est passée relativement inaperçue, et pour cause, puisque pour les autorités sanitaires un seul critère compte, c'est le rendement de la participation, et que la tromperie des femmes est une thématique scientifique tout à fait assumée : https://cancer-rose.fr/2020/09/02/manipulation-de-linformation-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein-comme-thematique-scientifique/

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4          The Danish Health Agency. Screening for cervical cancer – recommendations. [Danish] 2012. Available at: http://www.sst.dk/~/media/B1211EAFEDFB47C5822E883205F99B79.ashx (15 January 2020, date last accessed).

5          The Danish Health Agency. Screening for colorectal cancer – recommendations. [Danish] 2012. Available at: https://www.sst.dk/~/media/1327A2433DDD454C86D031D50FE6D9D6.ashx (1 February 2020, date last accessed).

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