L’avenir des dépistages

Traduction et restitution par Cancer Rose, 31 août 2023

La distinction entre vraie prévention et détection précoce doit être faite pour que le public comprenne que la détection précoce ne diminue pas le risque de cancer mais au contraire l'augmente.
Les grands espoirs que le diagnostic précoce du cancer au moyen du dépistage prolonge l'espérance de vie sont de plus en plus controversés.
Les auteurs proposent que les conflits d'intérêts de toutes les parties prenantes soient divulgués de manière aussi rigoureuse au sein des groupes soutenant le dépistage du cancer que dans d'autres domaines de la recherche médicale et de la publication scientifique.

Des auteurs suédois et norvégiens publient un article concernant l'avenir du dépistage des cancers en recommandant que ce futur soit guidé par l'absence de conflits d'intérêts des parties prenantes.

The Future of Cancer Screening—Guided Without Conflicts of Interest

Hans-Olov Adami, MD, PhD1,2; Mette Kalager, MD, PhD1; Michael Bretthauer, MD, PhD1

  • 1Clinical Effectiveness Research Group, Institute of Health and Society, University of Oslo, Oslo, Norway
  • 2Department of Medical Epidemiology and Biostatistics, Karolinska Institutet, Stockholm, Sweden

"Les grands espoirs que le diagnostic précoce du cancer au moyen du dépistage prolonge l'espérance de vie sont de plus en plus controversés.1 Presque tous les essais n'incluent pas la mortalité toutes causes confondues comme critère d'évaluation, et encore moins comme critère d'évaluation principal, ce qui empêche de tirer des conclusions sur l'allongement de l'espérance de vie.2,3 Après l'enthousiasme suscité par le dépistage du cancer entre les années 1970 et le début des années 2000, la prise de conscience de l'incertitude des bénéfices, l'inquiétude croissante concernant le surdiagnostic et la reconnaissance des préjudices causés par les tests de dépistage faussement positifs et le poids des procédures diagnostiques et thérapeutiques en aval ont fait du dépistage du cancer un domaine polarisé de la médecine contemporaine.4 Il est difficile, voire impossible, de supprimer progressivement les programmes de dépistage, même lorsque la recherche n'a pas permis de mettre en évidence des bénéfices significatifs. Nous pensons que les discussions transparentes et fondées sur des données probantes concernant les tests de dépistage du cancer, avec un équilibre délicat entre les avantages et les inconvénients, sont devenues une menace pour les parties prenantes les plus puissantes."

Dépistage du cancer : Concepts et effets

.....
"Le dépistage par détection précoce ne peut pas réduire le risque d'être atteint d'un cancer, ce qui est une idée fausse très répandue. Ces dernières années, nous avons appris que le dépistage précoce augmentait en fait le risque de cancer. C'est ce qu'on appelle le surdiagnostic. Les personnes surdiagnostiquées sont traitées sans bénéfice, mais sont affectées par tous les préjudices potentiels."

Prévention et détection précoce, pas la même chose

Il faut différencier deux concepts distincts : la détection précoce et la prévention du cancer. Les tests de détection précoce (comme la mammographie pour le cancer du sein ou le dosage de l'antigène prostatique spécifique [PSA] pour le cancer de la prostate) détectent le cancer à un stade précoce avec l'objectif de réduire le nombre de décès dus au cancer. Ils augmentent donc le nombre de nouveau cas de cancers (l'incidence), mais pas le risque d'être atteint d'un cancer, et notamment pas le risque d'un cancer grave.
Parmi ces nouveaux cas diagnostiqués grâce à une détection régulièrement renouvelée, on sur-détecte aussi des lésions inutiles à détecter, qui n'auraient jamais tué.
Dans l'augmentation des nouveaux cas détectés (dans les taux d'incidence donc) se cache une importante partie de cas de surdiagnostics. C'est pour cela qu'avec ces dépistage fonctionnant sur la détection précoce on assiste non pas à moins de cas mais au contraire à une inflation de lésions découvertes, dont une grande partie de lésions surdiagnostiquées, sans obtenir toutefois de drastique diminution de la mortalité qu'on espérait, en grande partie parce que les formes graves des cancers échappent au dépistage et ne sont pas trouvées suffisamment tôt du fait de leur vélocité et agressivité.

A l'inverse la prévention, c'est à dire le fait d'empêcher, en amont, la survenue de cancers, diminuera l'incidence ainsi que la mortalité. Par exemple ne pas fumer correspond à une véritable prévention du cancer du poumon, à un moindre risque de cancer broncho-pulmonaire, ce qui conduira à produire moins de cancers dans la population et à voir un taux de mortalité moindre.
Pour le dépistage du cancer du col de l'utérus, on est en face d'un vrai dépistage préventif qui réduit lui aussi à la fois l'incidence du cancer (les nouveaux cas) et la mortalité spécifique par cancer du col, en détectant et éliminant des lésions qui sont précurseurs de ce cancer.

Les auteurs écrivent :

"À l'instar de la prévention primaire par des changements de mode de vie, tels que l'arrêt du tabac et une alimentation saine, les tests de 'dépistage préventif' présentent un attrait évident par rapport aux tests de détection précoce ; la plupart des gens choisiraient probablement un test de dépistage qui prévient le cancer dès le départ plutôt qu'un test où ils auront quand même le cancer sans toutefois mourir de ce cancer.
De nombreuses parties prenantes font la promotion des deux concepts sans expliquer les différences et leurs implications. Cela a pu conduire à des malentendus et à des attentes irréalistes chez les patients et les décideurs."

Les parties prenantes

Le corps médical

"Les personnes qui sont invitées à participer à des programmes de dépistage ou qui en voient la publicité supposent probablement que ces programmes bénéficient du soutien de la profession médicale, sur la base d'une évaluation approfondie qui a démontré que les bénéfices l'emportent indubitablement sur les préjudices et les inconvénients, et qu'ils "sauvent des vies". Cependant, cette hypothèse est malheureusement erronée. Étonnamment, sur les deux principaux programmes de dépistage précoce disponibles, seule la mise en œuvre du dépistage par mammographie a été précédée d'essais randomisés de soutien portant sur la mortalité par cancer du sein.5 En revanche, à la fin des années 1980, les professionnels de la santé ont commencé à promouvoir le test du PSA, avant que les conditions préalables fondamentales à l'évaluation du dépistage du cancer (déjà établies en 19686) n'aient été remplies pour le dépistage du PSA ; la performance du test de dépistage, l'histoire naturelle des lésions détectées et les avantages d'un traitement radical étaient largement inconnus.

Quelques décennies plus tard, des essais randomisés ont montré que le test du PSA n'avait qu'un faible effet bénéfique sur la réduction du nombre de décès dus au cancer de la prostate et que le surdiagnostic et le surtraitement du cancer de la prostate étaient importants.7 Pourtant, dans de nombreux pays, les médecins continuent de prescrire le dépistage du PSA.

Nous avons récemment publié les résultats du premier essai clinique randomisé (à notre connaissance) sur le dépistage du cancer colorectal par coloscopie.8 L'essai a indiqué une réduction de l'incidence du cancer colorectal d'environ 20 %, mais le dépistage n'a pas réduit la mortalité par cancer colorectal dans les analyses en intention de traiter. Ces résultats ont été moins remarquables que ce qu'attendaient certains leaders d'opinion. Leurs commentaires étaient émotionnels, reflétant peut-être le fait que les gastro-entérologues font partie des spécialités médicales les mieux payées aux États-Unis, principalement en raison de la mise en œuvre du dépistage par coloscopie."

Représentants des patients

"Les représentants des patients sont des lobbyistes convaincants qui apportent leur contribution aux décideurs, aux organismes de réglementation, aux cliniciens, aux journalistes et aux chercheurs. Ils s'opposent avec passion à l'abandon du dépistage du cancer et promeuvent des plans visant à étendre le dépistage à des groupes d'âge plus jeunes ou plus âgés, ou à augmenter la fréquence des dépistages. Bien que ces activités partent d'une bonne intention, elles peuvent s'avérer malavisées. La théorie selon laquelle la détection précoce du cancer est bénéfique est compliquée et n'est pas facile à comprendre pour les profanes. Bien que tout le monde connaisse les avantages d'un diagnostic précoce du cancer, cette expérience ne nous apprend pas grand-chose sur les bénéfices - et encore moins sur les préjudices - des tests de dépistage, tels qu'ils sont décrits ci-dessus.

Les défenseurs des patients se composent généralement d'un groupe sélectionné de survivants du cancer relativement sains - avec probablement une surreprésentation de patients surdiagnostiqués avec une maladie non mortelle qui se considèrent comme sauvés alors qu'ils ont en fait été lésés par le dépistage, un concept appelé le paradoxe de la popularité."

NDLR : le paradoxe du dépistage issu du livre "mammo ou pas mammo?" aux ed.T.Souccar, page 78

"Aux États-Unis, des estimations récentes indiquent que 1,5 à 1,9 million d'hommes ont été surdiagnostiqués avec un cancer de la prostate précoce - des patients qui ne peuvent tirer aucun bénéfice du dépistage mais qui pensent avoir évité la mort à cause du cancer de la prostate."

Organisations de lutte contre le cancer

"Les organismes de lutte contre le cancer et les organisations caritatives dépendent des campagnes pour obtenir des dons. Pour réussir, elles doivent rester visibles et apparaître pertinentes, positives et engagées. Dans cette optique, les sociétés de lutte contre le cancer promeuvent souvent le dépistage du cancer. Les préjudices dus à la stigmatisation psychologique du diagnostic, au surdiagnostic ou aux effets indésirables du traitement sont moins susceptibles d'être évoqués. Nous n'avons pas connaissance d'initiatives de la part des organisations de lutte contre le cancer visant à promouvoir la réduction ou l'abandon des programmes de dépistage du cancer qui se sont avérés peu ou pas bénéfiques. Les organisations de lutte contre le cancer contribuent donc à la poursuite du dépistage du cancer."

Les hommes politiques

"Les hommes politiques, les décideurs et les experts qui les conseillent doivent agir au milieu d'une tempête de lobbyistes. Ils doivent établir des priorités entre les innombrables possibilités d'améliorer la santé publique et un système de soins de santé surchargé. Ils doivent comparer les bénéfices à court terme et à long terme : le dépistage du cancer sauverait-il plus de vies à court terme que, par exemple, l'application de mesures antitabac ou la promotion d'un mode de vie sain ? Il est difficile d'imaginer qu'un homme politique s'attirerait davantage de voix lors des prochaines élections en proposant d'abandonner les programmes de dépistage du cancer en cours, perçus comme des services bénéfiques pour leurs électeurs ; il est plus intéressant de proposer de nouveaux programmes de dépistage. C'est pourquoi nous n'avons jamais entendu parler d'une campagne politique contre un test de dépistage du cancer."

Le personnel

"Les programmes de dépistage en cours consomment d'énormes ressources, financières et humaines. Aux États-Unis, les dépenses liées au dépistage du cancer s'élèvent à 40 à 80 milliards de dollars par an, employant des dizaines de milliers de professionnels de la santé et d'associés. Nous supposons qu'ils ne choisiraient guère cet emploi sans être optimistes quant aux avantages qu'ils en tireront. La menace de les mettre au chômage en abandonnant le programme susciterait probablement des protestations, notamment de la part de ceux qui participent au diagnostic, au traitement, à la réadaptation et à la surveillance à long terme après le dépistage."

Les solutions

"Un paradoxe fondamental prévaut dans la médecine du 21e siècle. Les traitements pharmaceutiques, les vaccins ou les dispositifs médicaux invasifs doivent généralement faire l'objet d'une évaluation des bénéfices et des risques dans le cadre d'essais cliniques randomisés avant de faire l'objet de recommandations et d'une mise en œuvre systématique. Même des preuves provisoires de nocivité peuvent entraîner le retrait du marché.
En revanche, le dépistage du cancer - qui inclut désormais de nouveaux tests de détection précoce des cancers multiples - peut être mis en œuvre sous la forme d'expériences humaines à grande échelle avant que l'on dispose d'informations de base sur les performances des tests, leurs avantages, leurs inconvénients et leur rapport coût-efficacité.9 Tous les acteurs mentionnés ci-dessus ont des conflits d'intérêts financiers et autres qui plaident en faveur de la poursuite du dépistage du cancer, malgré le peu d'éléments permettant de déterminer si les bénéfices l'emportent sur les risques. Nous proposons que les conflits d'intérêts soient divulgués de manière aussi rigoureuse au sein des groupes soutenant le dépistage du cancer que dans d'autres domaines de la recherche médicale et de la publication scientifique.

Pour éviter les dommages et augmenter les bénéfices, nous pensons que les représentants des soins de santé et les experts doivent être honnêtes, transparents et impartiaux sur les bénéfices et les risques du dépistage, exprimés d'une manière qui permette une réelle prise de décision partagée. Pour les décideurs et les payeurs qui décident si un test de dépistage doit être remboursé ou si un programme de dépistage doit être mis en place, les coûts marginaux comparés aux bénéfices et aux risques marginaux, en chiffres absolus, sont une condition préalable à une prise de décision éclairée.

Les lignes directrices relatives au dépistage du cancer sont souvent élaborées par des professionnels du dépistage, des organisations de dépistage et des représentants des patients, qui ont des intérêts particuliers. Nous proposons que les lignes directrices en matière de dépistage n'autorisent pas les personnes ou les organisations ayant des intérêts cliniques, financiers ou intellectuels à jouer un rôle de premier plan dans l'élaboration des lignes directrices. Cela permettrait d'améliorer la qualité et la fiabilité des recommandations. Une récente ligne directrice sur le dépistage du cancer colorectal respectant ces normes a donné lieu à des recommandations moins enthousiastes en matière de dépistage, mais a été ignorée par de nombreux professionnels de la santé impliqués dans les programmes de dépistage et par les sociétés de dépistage.10

Les taux de participation au dépistage* ne doivent plus être utilisés comme un indicateur de qualité ou pour contrôler les performances des médecins ou des programmes. Les professionnels de la santé, les représentants des patients et les sociétés de lutte contre le cancer devraient suivre cette voie en plaidant pour une information transparente sur les bénéfices et les risques plutôt que pour une promotion non critique du dépistage. Les décisions de reconsidérer les programmes en cours ou d'en lancer de nouveaux doivent être prises sans l'influence de parties prenantes ayant des intérêts particuliers."

NDLR : en France les taux de participation sont un indicateur largement utilisé pour évaluer les programmes, et les incitations financières par l'intermédiaire de la ROSP sont toujours en vigueur.
Lire : https://cancer-rose.fr/2020/04/20/la-nouvelle-rosp-quel-changement-pour-le-medecin-concernant-le-depistage-du-cancer-du-sein/

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Références

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Lutter contre le surdiagnostic

Lutter contre le surdiagnostic créera des soins de santé plus durables pour les populations et la planète

Il nous faut prendre conscience que l'usage de tests de diagnostics et de dépistages excessifs conduit à la surmédicalisation et au surtraitement dans de nombreuses maladies, ce qui peut nuire aux patients, épuiser les ressources de soins de santé et nuire également à la planète.

Les auteurs* de ce billet publié dans le BMJ alertent pour une prise de conscience par le public et les législateurs pour la lutte contre le surdiagnostic.

De nombreux systèmes de soins de santé dans plusieurs pays font face à des crises de demandes abusives, à une augmentation constante des maladies chroniques, à des coûts croissants et sont confrontés à un déficit de main-d’œuvre médicale qui menacent leur fonctionnement.

Une partie de l’augmentation de la prévalence (c'est à dire une augmentation du nombre de nouveaux cas et de cas existants) de « maladie » est due au surdiagnostic.
Lire ici : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/
Et : https://cancer-rose.fr/2023/01/09/le-surdiagnostic-des-cancers-un-defi-a-lere-du-depistage/
On estime que 30 % des soins médicaux sont de faible valeur ou gaspillent des ressources de santé. On estime que le secteur de la santé est responsable de plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés, ce qui est une autre façon dont les soins de faible valeur menacent la santé.

La flambée des coûts des soins de santé et le fardeau des traitements déraisonnables pour les patients, liés à l ’épuisement professionnel du personnel de santé et les dommages pour la planète doivent nous conduire à plus de réflexion et de discussion sur les ressources financières, humaines, sociétales et planétaires limitées disponibles et sur une meilleure répartition des ressources existantes.

Les auteurs écrivent : "Les crises actuelles dans la prestation des soins de santé sont exacerbées par le vieillissement de la population et la multimorbidité associée. Les décideurs politiques, les politiciens et le public doivent comprendre comment même les efforts bien intentionnés pour fournir des soins de santé plus nombreux et de meilleure qualité amplifient et renforcent inévitablement ces crises par le surdiagnostic, la surmédicalisation et le surtraitement,"

L'enjeu d'une meilleure médecine se porte surtout sur la perinence des soins prodigués à la population.

Contrôle des soins de santé en excès

La réduction du surdiagnostic est une première étape essentielle pour contrôler l’excès de soins de santé.
Pour ce faire, disent les auteurs, la santé publique est la mieux placée pour revoir les programmes de dépistages dont plusieurs ne fonctionnent pas, ne sont plus recommandés ou deviennent obsolète de par le fait que les traitements contre la maladie sont plus efficaces que de dépister tout une population saine au risque de l'exposer à de la surmédicalisation.

De plus, ajoutent-ils, le concept de surdiagnostic devrait être enseigné dans le cadre de soins de santé fondés sur des données probantes dès les premiers stades de la formation médicale.
Des ressources éducatives sur le surdiagnostic, sur l'utilisation de données probantes et la pensée critique devraient également être offertes aux législateurs, aux décideurs politiques ainsi qu’aux patients et au public. Il faut communiquer plus largement sur l’ampleur du surdiagnostic, en illustrer le coût humain, par exemple, proposent les rédacteurs de cet article, en mettant des visages et des histoires individuels sur des concepts et des données abstraits.

Les programmes de dépistage établis devraient être réévalués à la suite du développement d'une prévention primaire efficace, et en raison, comme nous le disions plus haut, de la disponibilité de meilleurs traitements pour les maladies symptomatiques.

Par exemple, à mesure que la prévalence du tabagisme diminue, l’incidence du cancer du poumon diminue. Ceci a des répercussions sur la balance entre bénéfices et risques liés au programme de dépistage du cancer du poumon, dont la pertinence est à revoir, ou les populations ciblées.

En conclusion

"Notre culture médicale mondiale a conduit à des tests de diagnostic excessifs, à la surmédicalisation et au surtraitement dans de nombreuses maladies qui peuvent nuire aux patients, épuiser les ressources de soins de santé et nuire à la planète.
Nous en appelons aux autorités locales, aux décideurs nationaux et internationaux pour prendre conscience de ces problèmes et prendre des mesures urgentes pour les résoudre. Ce n’est qu’alors que nous pourrons espérer créer des soins de santé plus durables à l’avenir."

*Les auteurs

  1. Thomas Kühlein1,  
  2. Helen Macdonald2,  
  3. Barnett Kramer3,  
  4. Minna Johansson4,  
  5. Steven Woloshin45,  
  6. Kirsten McCaffery6,  
  7. John B. Brodersen7,  
  8. Tessa Copp8,  
  9. Karsten Juhl Jørgensen9,  
  10. Anne Møller10,  
  11. Martin Scherer11
  12. for the Scientific Committee of the Preventing Overdiagnosis Conference

  1.      1Institute of General Practice, Universitätsklinikum Erlangen, Germany
  2. 2The BMJ, London, United Kingdom
  3.     3The Lisa Schwartz Foundation for Truth in Medicine Norwich, VT/USA
  4.   4Global Center for Sustainable Healthcare, Gothenburg, Sweden
  5. .     5Dartmouth Institute for Health Policy and Clinical Practice, Lebanon, NH/USA
  6. .     6Sydney Health Literacy Lab, Wiser Healthcare, Faculty of Medicine and Health, School of Public Health, The University of Sydney, Sydney, NSW, Australia
  7.     7Centre of Research & Education in General Practice, Department of Public Health, Faculty of Health Sciences, University of Copenhagen; Primary Health Care Research Unit, Region Zealand and Research Unit for General Practice, Department of Community Medicine, Faculty of Health Sciences, UiT The Arctic University of Norway, Tromsø Odense University Hospital Odense, Denmark and Cochrane Collaboration, Oxford, United Kingdom
  8. .     8Wiser Healthcare, Faculty of Medicine and Health, School of Public Health, The University of Sydney, Sydney, NSW, Australia
  9.     9Herrestads Healthcare Centre, Närhälsan, Denmark; Global Center for Sustainable Healthcare, Gothenburg Denmark; University, FoUUI Fyrbodal, Cochrane Sweden
  10.    10Centre of Research & Education in General Practice, Department of Public Health, Faculty of Health Sciences, University of Copenhagen; Primary Health Care Research Unit, Region Zealand, Denmark
  11.   11Institut and Polyclinic of General Practice, Universitätsklinikum Hamburg Eppendorf, Hamburg, Germany
  12.    12Preventing Overdiagnosis Conference.

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Preventing Overdiagnosis Conference Copenhague 2023

Cancer Rose participe, grâce à l'intervention de Dr Jean Doubovetzky, au Congrès Preventing Overdiagnosis du 14 au 16 août 2023 qui a lieu à Copenhague.

Il présente notre MOOC, formation interactive en ligne ouverte aux professionnels(-les) de santé, infirmières et infirmiers, patient(e)s expert(e)s_

Présentation de Dr J.Doubovetzky du mardi 15 août

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Abstract dans le BMJ

Traduction de l'abstract BMJ

Doubovetzky J, Robert V, Bour C

12 Développement du MOOC " Dépistage du cancer du sein - informer les femmes " par l'association indépendante cancer rose pour la formation des professionnels de santé français.
BMJ Evidence-Based Medicine 2023;28:A5-A6.
https://ebm.bmj.com/content/28/Suppl_1/A5.2

Résumé

Les médecins, les sages-femmes, les infirmières et les spécialistes médicaux devraient fournir aux citoyens des informations complètes sur les préjudices possibles et les bénéfices du dépistage du cancer du sein. Les femmes doivent être correctement informées pour pouvoir décider de participer ou non au dépistage, en fonction de leurs préférences, de leurs valeurs et de leurs facteurs de risque, sans aucune coercition, persuasion ou incitation.

En 2016, à la demande de la Ministre de la Santé, un examen indépendant du programme de dépistage du cancer du sein en France a été réalisé, et le comité de pilotage a conclu que le programme devait être soit supprimé, soit réformé en profondeur. Ses principales recommandations sont les suivantes :
1) la mise à disposition d'une information neutre et complète pour les femmes, le public et les médecins ;
2) la reconnaissance de la controverse scientifique dans l'information destinée aux femmes et aux médecins ; et
3) la formation des médecins pour aider les femmes à prendre des décisions éclairées sur le dépistage du cancer du sein.

En réponse à ces recommandations, l'association indépendante Cancer Rose a conçu un cours en ligne ouvert à tous (MOOC) intitulé "Dépistage du cancer de Brest - Informer les femmes". Ce MOOC vise à fournir aux professionnels de la santé les outils et les techniques nécessaires pour communiquer des informations complexes de manière simple et efficace afin de mieux aider leurs patientes à prendre des décisions éclairées. Cette formation peut également aider les journalistes intéressés par la communication de données de santé publique à éviter les pièges des données incorrectes et des préjugés trompeurs.

La formation a été accréditée par le Conseil supérieur de la formation médicale (DPC) et est accessible aux professionnels de santé français via la plateforme d'e-learning 360Learning. Il est construit de manière ludique, avec des films, des quiz, des visuels didactiques " à points ", ainsi que des animations courtes et variées.

Ce cours en ligne de 3 heures, complet, varié et divertissant, aide les professionnels de la santé à comprendre et à expliquer ce que l'on sait et ce qui reste sans réponse concernant les bénéfices et les risques potentiels du dépistage du cancer du sein, ainsi qu'à maîtriser les techniques de communication pour aider les femmes à prendre une décision en connaissance de cause. Il se compose de quatre sections : une introduction, une analyse des avantages du dépistage, une section sur ses inconvénients et une dernière section sur la manière de communiquer.

Dans l'introduction, certains concepts fondamentaux, tels que la théorie du dépistage du cancer du sein et l'histoire naturelle de ce cancer, sont abordés. Un bref aperçu de l'histoire du dépistage mammographique est décrit. Ensuite, plusieurs concepts théoriques tirés de l'EBM (Evidence-Based Medicine) sont introduits, notamment la pertinence comparative des différents types d'essais cliniques, leurs biais potentiels et les critères de jugement. Le cours aborde les résultats des études contrôlées randomisées qui ont servi de base à l'évaluation du dépistage par mammographie. Enfin, le cours propose un outil d'aide à la décision basé sur des données probantes applicables en France en deux versions, adaptées à différents niveaux de lecture : une version complète et détaillée et une version courte et ludique avec des visuels de bande dessinée pour faciliter la compréhension et la mémorisation de l'information.

Nous proposons de rendre le MOOC accessible aux étudiants et aux professionnels de santé au niveau international, et nous appelons à la collaboration pour créer un cours multilingue en français, en anglais, en espagnol et en allemand. Nous invitons les médecins, les chercheurs et les universitaires intéressés et capables de soutenir cette initiative à se joindre à nous.

Quizz pour les participants

Un quizz amusant a été distribué aux participants : "le Roi Charles III est-il responsable de l'augmentation des cancers du sein?"

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Dépistage et femme âgée

8 août 2023, par Cancer Rose

Selon cette étude de cohorte réalisée sur 54 635 femmes âgées de 70 à 85 ans et plus, aucune réduction significative de mortalité par cancer du sein n'a pu être mise en évidence.
En revanche le pourcentage estimé de surdiagnostic variait entre 31% et 54%, avec une augmentation de cette proportion l'âge avançant.
D'autres études antérieures mettaient déjà fortement en doute l'intérêt du dépistage chez les femmes âgées, et l'effet délétère des traitements lourds sur ces organismes fragilisés et à prendre d'autant plus en compte.

https://www.acpjournals.org/doi/abs/10.7326/M23-0133?af=R&journalCode=aim

 Selon cette étude de cohorte réalisée sur 54 635 femmes de 70 ans à 74 ans, de 75 à 84 ans et de plus de 85 ans, aucune réduction significative de mortalité par cancer du sein n'a pu être mise en évidence.
En revanche le pourcentage estimé de surdiagnostic varierait entre 31% et 54%, avec une augmentation de cette proportion plus l'âge avance.

Ces résultats rejoignent ceux d'une étude antérieure, de 2014, d'universitaires de Leyden, Pays Bas.
Selon les auteurs, après 70 ans, le dépistage organisé du cancer du sein serait inutile. En effet, à cet âge, la pratique du dépistage n'améliore pas de façon significative la détection des cancers aux stades avancés mais fait en revanche bondir le nombre de surdiagnostics et donc de surtraitements.

Aux Pays-Bas, le dépistage du cancer du sein est proposé aux femmes jusqu'à 75 ans depuis la fin des années 1990. «Pourtant, rien ne prouve que le dépistage chez les femmes plus âgées est efficace », expliquent les auteurs de l'étude, mentionnant aussi le fait que peu d'essais aient été réalisés spécifiquement sur ces groupes d'âge.
Pour les chercheurs néerlandais, le dépistage systématique après 70 ans entraînerait surtout la détection et donc les traitements de lésions qui n'auraient pas évolué en maladie durant la vie des patientes.

Ces traitements inutiles entraînent un impact sur la santé trop important, et une co-morbidité trop lourde chez ces personnes âgées, qui supportent moins bien les effets secondaires des traitements, chirurgicaux, des radiothérapies et des chimiothérapies.

Les auteurs de l'étude américaine ici posent également la question de savoir si les bénéfices sont vraiment suffisamment importants, et qui ils concernent réellement pour contrebalancer les effets néfastes des surdiagnostics. Cette question reste en suspens.

Lien connexe : https://cancer-rose.fr/2019/04/07/la-campagne-pour-le-depistage-de-la-femme-agee-par-le-college-national-des-gynecologues-et-obstetriciens-de-france-cngof/

Faut-il freiner chez la femme âgée ?

C'est une question que pose le JAMA, en 2019, et dont nous parlions ici : https://cancer-rose.fr/2019/02/06/depistage-chez-la-femme-agee/

Les auteurs relatent les résultats d'une étude portant sur l'efficacité de techniques numériques assistées par ordinateur pour aider le radiologue à détecter des zones suspectes.
Cette vaste étude de 2013, donnait, chez les femmes âgées de 65 à 84 ans, des résultats mitigés : la technologie a détecté certains cancers au stade précoce mais n’a pas augmenté la détection en général et a conduit à davantage de faux-positifs. Il n'est pas certain que la santé des femmes âgées se soit améliorée grâce à cette technologie.
FentonJJ,XingG,ElmoreJG,etal.Short-term outcomes of screening mammography using computer-aided detection: a population-based study of Medicare enrollees. Ann Intern Med. 2013; 158(8):580-587. doi:10.7326/0003-4819-158-8- 201304160-00002

Des doutes d'efficacité existent aussi pour l'utilisation de la tomosynthèse chez les femmes âgées, et l'article suggère que bien que les nouvelles technologies de dépistage du cancer du sein aient largement supplanté la mammographie analogique sur film, il est difficile de savoir si ces avancées ont réellement amélioré la santé des femmes en particulier chez celles de 75 ans et plus.

En conclusion

Il est, une fois de plus, démontré que le dépistage du cancer du sein dans les tranches d'âge au-delà de 74 ans est associé à une plus grande incidence du cancer du sein, ce qui suggère un surdiagnostic augmentant en fréquence avec l'âge.
Les méfaits du surdiagnostic ne semblent pas équilibrés par des bénéfices en termes de diminution des formes avancées de cancer.

Il convient de ce fait de rester très prudent et le moins intrusif possible chez ces patientes dont le système immunitaire est affaibli.
Tous les organes s'épuisent et fonctionnent moins bien avec l'âge, les facultés de cicatrisation, de régénération tissulaire sont moindres, tout cela est en prendre en compte dans l'administration des traitements lourds, comportant eux-mêmes des risques et des complications, pouvant être fatals au grand âge..

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Cancer du sein, le risque du travail de nuit

7 août 2023

Lorsqu'on parle des facteurs de risque des cancers, pour certains, ces facteurs de risque sont facilement identifiables : l'amiante pour le mésothéliome (un cancer de la plèvre), le tabac pour le cancer broncho-pulmonaire.

Dans le cadre du cancer du sein les choses sont plus complexes. Il y a les facteurs de risque connus, et ceux dits 'probables'.

Les facteurs de risque reconnus comme tels :

✹  l’âge (cancer statistiquement plus fréquent au-delà de 50 ans) ;
✹  le sexe (cancer très nettement plus fréquent chez la femme) ;
✹  les personnes ayant une prédisposition génétique (altération du gène BRCA1 ou BRCA2, dont la fonction est de réparer des lésions de l’ADN que la cellule du sein a pu subir) ;
✹  des examens irradiants répétés de la zone thoracique (radios, scanners).

Les facteurs de risque possibles :

✹ l’obésité ;
✹ l’activité physique insu sante ;
✹ la prise de contraceptifs œstroprogestatifs (la pilule)
✹ un environnement industriel ou agricole nocif ;
✹ le travail en horaires décalés et le travail de nuit ;
✹ le tabagisme, actif ou passif
✹ la consommation d’alcool ;
✹ une puberté précoce ;
✹ une première grossesse tardive ;
✹ le choix de l’allaitement artificiel
✹ une ménopause tardive ;
✹ la prise d’un traitement hormonal de la ménopause

Extrait du livre "Mammo ou pas mammo?", Ed. T.Souccar, pages 20/21

En 2012, des chercheurs de l’Inserm (Unité Inserm 1018 « centre de recherche en épidémiologie et santé des populations ») publient dans l’International Journal of Cancer une étude montrant que le risque de cancer du sein est augmenté chez les femmes travaillant de nuit.
L’étude réalisée en France et baptisée CECILE a comparé le parcours professionnel de 1200 femmes ayant développé un cancer du sein entre 2005 et 2008 à celui de 1300 autres femmes.

Déjà en 2010, le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC) avait classé le travail entraînant des perturbations du rythme circadien comme « probablement cancérigène ».
Stevens RG, Hansen J, Costa G et al. Considerations of circadian impact for defining ‘shift work’ in cancer studies: IARC Working Group Report. Occup Environ Med. 2010; 68: 154-162. Rapport du groupe de travail du CIRC pour proposition sur la façon d’évaluer le travail posté dans le cadre des futures études épidémiologiques.

Les chercheurs de l'INSERM mettent en évidence un risque de cancer du sein augmenté d’environ 30% chez les femmes ayant travaillé de nuit par rapport aux autres femmes.
Cette augmentation du risque, disent encore les scientifiques, était particulièrement marquée chez les femmes ayant travaillé de nuit pendant plus de 4 ans, ou chez celles dont le rythme de travail était de moins de 3 nuits par semaine, entraînant ainsi des décalages de phase plus fréquents entre le rythme de jour et le rythme de la nuit.

Une autre conclusion était que cette association entre travail de nuit et cancer du sein semblait plus marquée lorsqu'il s'agissait de travail de nuit effectué avant la première grossesse, probablement en raison d'une plus grande vulnérabilité des cellules mammaires chez la femme avant le premier accouchement.

Les mécanismes de cet impact du travail de nuit sur le sein seraient les suivants :

  • l’exposition à la lumière durant la nuit qui supprime le pic nocturne de mélatonine, hormone ayant une action anti-cancérigène ;
  • la perturbation du fonctionnement des gènes de l’horloge biologique qui contrôlent la prolifération cellulaire ;
  • les troubles du sommeil pouvant affaiblir le système immunitaire luttant contre les cellules cancéreuses que l'organisme peut produire.

Un cas faisant jurisprudence

Un article dans Libération au mois de mars dernier nous apprend le cas d'une ancienne infirmière de 62 ans, ayant travaillé au Centre hospitalier de Sarreguemines (Moselle) au service de radiologie puis de gynécologie entre 1981 et 2009. Pendant 28 ans, elle a ainsi cumulé 873 nuits de travail - soit environ une par semaine, et elle a contracté un cancer du sein.
La pathologie de cette femme vient de lui être reconnue comme maladie professionnelle.

Un médecin-expert dans le dossier relate : «On peut affirmer qu’il existe un lien direct et essentiel entre le cancer du sein dont elle est victime et le travail effectué auparavant» 

Ce cas pourrait faire jurisprudence et si le cancer du sein est inscrit dans le tableau de reconnaissance de maladies professionnelles, ceci amènerait à d'autres reconnaissances de maladies professionnelles chez les travailleurs de nuit.
Et c'est important car ainsi les victimes n’auraient plus besoin de prouver le lien entre leur maladie et leur travail.

Mauvaise documentation de l'impact du travail de nuit et mauvaise reconnaissance chez la femme.

En 2016 nous avions déjà publié un article sur le sujet.

En Europe et aux États-Unis, le travail de nuit a augmenté ces dernières décennies et concerne 19 à 25 % de l’ensemble des travailleurs.
Pourtant les études sur le risque de cancer du sein en milieu professionnel fait l’objet de peu d’attention, et le manque d’intérêt est d’autant plus paradoxal que le dépistage précoce du cancer du sein chez la femme, lui, fait l’objet de campagnes et d'effort de stimulations extrêmes de la part des autorités sanitaires pour augmenter la participation des femmes, et ce en dépit de résultats bien décevants du dépistage.

Alors que la pathologie cancéreuse est identifiée comme première cause de décès par le travail en Europe et alors que cette maladie est en progression constante depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique ignorent la contribution de l’activité 'travail' à ce phénomène, comme le détaille très bien cet article dans The Conversation.

Il faut attendre 2023 pour voir menés des travaux sur l'impact du travail sur la santé des femmes, l'étude des risques au travail s'étant jusqu'à présent concentrée sur la population masculine.
"Le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes est à l’origine d’impensés féminins dans la conception et la mise en œuvre des politiques de santé au travail." dit le rapport.
Un des grands axes de ce travail est de "chausser les lunettes du genre" pour comprendre, mais aussi pour développer une vraie prévention du cancer à l'attention des femmes, le dépistage, rappelons-le, n'en étant pas une.

L'article dans The Conversation rapporte :
"La récente médiatisation autour de la reconnaissance d’un cancer du sein en maladie professionnelle chez une infirmière ayant travaillé de nuit permet par exemple de rappeler que loin d’être une fatalité pour les femmes, ce cancer peut aussi être le résultat de conditions de travail pathogènes, comme le travail de nuit, l’exposition aux rayonnements ionisants et, selon l’Anses, plusieurs dizaines de molécules chimiques présentes dans l’espace productif. Et qu’il est, à ce titre, lui aussi évitable, à condition de prévenir ces risques cancérogènes à leur source, au travail."

Vraie volonté politique ou affichage ?

C'est aussi la question que pose The conversation.

"Inscrite dans la feuille de route du gouvernement et des partenaires sociaux au sein du Plan santé travail 2021-2025, et dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers, la prévention des cancérogènes en milieu de travail pourrait ne demeurer qu’un simple affichage.
La pénurie actuelle de médecins du travail et d’inspecteurs du travail en fait craindre l’hypothèse. Pour mettre un terme à cette épidémie silencieuse de cancers du travail, il y a urgence à remettre en cause les conditions de travail pathogènes et à revendiquer une intervention plus contraignante de l’État dans le monde du travail pour garantir le droit à ne pas y perdre sa vie."

Conclusion

Dans le dossier de l'infirmière mosellane, d’autres facteurs de risque probables ont été notés : rayonnements ionisants, perturbateurs endocriniens et produits chimiques pour stériliser du matériel médical.

En effet, très fréquemment, les causes de cancer sont multiples et intriquées, et des milliers de personnes sont exposées à des cancérogènes, en toute légalité dans l’exercice de leur profession. 

Mais, alors que le cancer est identifié comme la première cause de décès par le travail en Europe et en constante progression depuis le début du XXe siècle, les campagnes de prévention en santé publique occultent soigneusement l'impact du travail, et notamment celui du travail de nuit féminin sur un organe particulièrement sensible, le sein, préférant largement focaliser sur un dépistage du cancer du sein qui a failli à sa mission de diminution des formes graves et d'allègements thérapeutiques.
Les campagnes de prévention primaire, quand elles existent, mettent l'accent également très lourdement sur les facteurs comportementaux individuels, qui ne sont certainement pas à ignorer, mais qui ne sont pas exclusifs.

Seule bonne nouvelle, la mortalité par ce cancer diminue depuis les années 90, dépistage ou pas, concernant même les cancers avancés, en premier lieu imputable aux avancées thérapeutiques ce que suggère une étude parue récemment, malheureusement régulièrement citée comme victoire du dépistage dans la presse.

Mais ce serait quand-même tellement plus logique et plus intelligent de lutter en amont contre les facteurs de risques de la maladie plutôt qu'en aval, et notamment contre les facteurs de risque au travail, plutôt que de gaspiller tant de moyens logistiques, humains et financiers pour un dépistage décevant, dont la faillite est aggravée d'une désinformation des femmes inexcusable, non éthique, et de campagnes marketing outrancières à chaque mois d'octobre.

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La guerre de la mammo n’aura de fin

Traduction et restitution du texte par Cancer Rose, 31/07/2023

Pourquoi les nouvelles lignes directrices recommandant le dépistage à 40 ans ne peuvent pas mettre fin à la guerre des mammographies

Par Asia Friedman, 27 juillet 2023

Asia Friedman est professeur agrégé de sociologie à l’Université du Delaware et auteur du livre « Mammography Wars : Analyzing Attention in Cultural and Medical Disputes » (Rutgers).

Les nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein émises par le groupe de travail américain sur les services préventifs (United States Preventive Services Task Force) paraissent mettre fin à un débat qui dure depuis des décennies sur la date à laquelle les femmes doivent commencer à passer des mammographies. L'agence recommande désormais de commencer à 40 ans*, annulant ainsi la recommandation de 50 ans qui était en vigueur depuis 2009. Ce changement l'aligne sur d'autres organisations d'experts telles que l'American College of Radiology (bien que les deux diffèrent encore sur la question de savoir si les femmes devraient subir une mammographie tous les ans ou tous les deux ans).

*Voir à ce sujet notre article : https://cancer-rose.fr/2023/05/15/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/

Malgré ce nouveau consensus apparent, la "guerre des mammographies" n'est pas terminée.

La mammographie a beau être pratiquée 40 millions de fois par an aux États-Unis, elle reste l'un des sujets les plus controversés de la médecine. Hormis la récente convergence sur les lignes directrices relatives à l'âge, les experts restent divisés sur la meilleure façon de définir et de mesurer les bénéfices et les risques de la mammographie, et en plus sur la validité de l'idée même de détection précoce.

Ce n'est pas parce que nous ne disposons pas de suffisamment de données. Aucun dépistage médical - en fait, peut-être aucune autre condition médicale - n'a été plus examiné que la mammographie.

Deux schémas de pensée différents

Au contraire, comme le suggère ma recherche, deux partis interprètent les données existantes selon des critères de signification différents.
Sur la base de dizaines d'entretiens avec des scientifiques, des médecins et des patientes, j'identifie deux schémas de pensée dominants au cœur des conflits sur la mammographie : l'interventionnisme et le scepticisme.

En bref, les interventionnistes croient fermement aux bénéfices de la détection précoce et minimisent tout préjudice possible du dépistage. Ils critiquent donc tout effort visant à retarder l'âge recommandé pour les mammographies ou à réduire la fréquence du dépistage.

Les sceptiques sont moins confiants dans l'efficacité du dépistage par mammographie et accordent plus d'importance aux préjudices du dépistage, qu'ils définissent d'ailleurs de manière plus large que les interventionnistes. Ils préconisent donc généralement de retarder l'initiation et de ralentir la fréquence des mammographies pour limiter ces risques.

Fondamentalement, les perspectives différentes des sceptiques et des interventionnistes dépendent de leur conviction que la détection précoce présente des bénéfices incontestables. La détection précoce est devenue une logique culturelle par défaut, en grande partie en raison des messages de santé publique de longue date qui insistent sur les bénéfices d'un diagnostic précoce pour de nombreuses maladies.

Les médecins sceptiques et les chercheurs en cancérologie remettent en question ce discours dominant sur les bénéfices de la détection précoce. Comme l'a déclaré un oncologue, "pendant des décennies, le message a été : 'L'outil le plus important est la mammographie', 'La mammographie sauve des vies', et il a donc été ... condensé en quelques mots ... qui ne laissent aucune place à l'incertitude quant aux bénéfices et ne mentionnent même pas les préjudices". Les sceptiques mettent en avant toute une série de préjudices potentiels liés au dépistage. Certains experts disent même que le dépistage déclenche une "cascade de préjudices".

Quels préjudices ?

Les préjudices les plus courants de la mammographie sont le stress et l'anxiété associés à des dépistages répétés en raison de résultats ambigus ou faussement positifs. "Nous essayons de trouver autant de cancers que possible", a déclaré un médecin de premier recours et chercheur en médecine, "et c'est la porte ouverte à un grand nombre de fausses alertes". On m'a également dit : "Je pense que nous avons pratiquement fait de la peur du cancer du sein un rite de passage pour les femmes américaines d'âge moyen".

Les estimations du taux de mammographies faussement positives varient, mais un article paru en 2020 dans Ethnicity & Health faisait état d'un risque de 20 à 65 % de recevoir un résultat faux-positif au cours de la vie, et un article paru en 2004 dans le Journal of the American Medical Association indiquait que 35 % des participantes avaient eu au moins une mammographie faussement positive. Parmi les patientes que j'ai interrogées, près des trois quarts avaient été rappelées au moins une fois pour un dépistage ou un test supplémentaire. Pour certaines, un nouveau dépistage a lieu à chaque fois qu'elles passent une mammographie, un processus qui peut prendre des mois.

Malgré cela, les interventionnistes ont tendance à rejeter l'idée que le dépistage peut être nuisible. Comme l'a expliqué le directeur d'un centre de lutte contre le cancer, "si vous aviez une balançoire à bascule et que d'un côté il y avait un bloc de béton de 100 livres, c'est le bénéfice. J'estime que les préjudices sont équivalents à une plume et c'est ce que j'empile de l'autre côté". Un radiologue m'a également dit que les critiques avaient "exagéré les aspects négatifs du dépistage".
Il a qualifié les inconvénients du dépistage de minimes : "l'anxiété et le désagrément d'être rappelée" et : "ne sont certainement pas l'équivalent de mourir d'un cancer du sein".

Un inconvénient moins connu du dépistage qui préoccupe particulièrement les sceptiques de la mammographie est le surdiagnostic, c'est-à-dire les cancers révélés par le dépistage qui se développent lentement ou qui ne sont pas dangereux de manière imminente. Pourtant, lorsque de tels cancers sont détectés, ils sont presque toujours traités, ce qui, selon les sceptiques, est plus néfaste que bénéfique, compte tenu de leurs caractéristiques biologiques relativement bénignes.

Voir notre article : https://cancer-rose.fr/2021/10/23/quest-ce-quun-surdiagnostic/

Il est difficile de mesurer le surdiagnostic car les cancers surdiagnostiqués sont généralement traités et sont donc très rarement identifiables en tant qu'exemples de surdiagnostic au niveau du patient individuel. Néanmoins, de nombreux experts s'accordent à dire que le surdiagnostic est réel et démontrable au niveau de la population. "Il y a un consensus, au moins dans la communauté scientifique, sur le fait qu'il s'agit d'un problème et qu'il faut s'y intéresser", a déclaré un chercheur en médecine.

Du point de vue des sceptiques, le surdiagnostic représente un changement de paradigme actuellement en cours dans la façon de penser le cancer. Comme l'a décrit un chirurgien et spécialiste du cancer du sein, "il existe un mantra selon lequel l'un des meilleurs moyens d'améliorer la guérison du cancer est de le détecter à un stade précoce". La détection précoce est basée sur un "modèle conceptuel de la maladie qui est linéaire", a-t-il expliqué, et ne prend donc pas en compte le surdiagnostic.

Voir l'article : https://cancer-rose.fr/2023/06/26/quest-ce-que-lhistoire-naturelle-du-cancer/

Pourtant, s'inquiéter du surdiagnostic n'aide pas à traiter les patients individuellement, affirment les interventionnistes. Comme l'a dit un radiologue, "le problème avec le concept de surdiagnostic est que nous n'avons aucun moyen de savoir quel cancer diagnostiqué tuera ou non le patient". Par conséquent, ce concept est "juste théorique" et ne devrait pas être pris en compte dans la détection et le traitement du cancer. Les interventionnistes affirment également qu'il est plus urgent de se concentrer sur le risque de sous-diagnostic, ou de non-détection de la maladie d'un patient. Les faux positifs ne sont peut-être pas une expérience agréable, mais comme l'a dit un médecin de famille, "je pense que c'est une conséquence plus acceptable que la mort d'un plus grand nombre de femmes".

Désaccord inconciliable

Malgré des décennies de recherche, les interventionnistes et les sceptiques ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la mammographie. La multiplication des données ne suffira pas à modifier les lignes de fracture fondamentales de ce désaccord, et les éternels débats sur l'opportunité de dépister les femmes d'une quarantaine d'années ne s'attaquent pas au cœur du conflit.

À moins d'une découverte scientifique révolutionnaire qui obligerait les deux partis à faire face aux limites de leurs opinions antérieures, notre meilleur espoir de sortir de cette impasse et de développer une nouvelle approche du dépistage réside dans un examen sociologique plus approfondi, sur la manière dont les croyances enracinées concernant la détection précoce et les bénéfices et préjudices du dépistage limitent la façon dont les experts, ainsi que nous-mêmes, sont capables de penser à propos de la mammographie.

Asia Friedman est professeur agrégé de sociologie à l'université du Delaware et auteur du livre "Mammography Wars : Analyzing Attention in Cultural and Medical Disputes" (Rutgers). (Les guerres de la mammographie/Analyser l'attention dans les conflits culturels et médicaux.)

A propos de ce livre

La mammographie est un examen médical de routine pratiqué quarante millions de fois chaque année aux États-Unis. Pourtant, elle reste l'un des sujets les plus controversés de la médecine, les organisations nationales de soins de santé soutenant des lignes directrices contradictoires. Dans Mammography Wars, la sociologue Asia Friedman examine les désaccords culturels et médicaux sur la mammographie. L'enjeu est de savoir s'il faut dépister les femmes de moins de cinquante ans, ce qui est enraciné dans des questions plus profondes sur la détection précoce et le développement supposé linéaire et progressif du cancer du sein. Sur la base d'entretiens avec des médecins et des scientifiques, d'entretiens avec des femmes âgées de 40 à 50 ans et de la couverture médiatique de la mammographie, Friedman utilise la sociologie de l'attention pour cartographier la structure cognitive des "guerres de la mammographie", offrant ainsi un aperçu de la nature enracinée des débats sur la mammographie, qui passe souvent inaperçue lorsque l'on applique un point de vue médical. L'analyse de Friedman suggère également le potentiel unique de la sociologie de l'attention pour analyser les conflits culturels au-delà de la mammographie, et même au-delà de la médecine.

Lire aussi : La Conspiration de l'espoir, livre de Renée Pellerin - https://cancer-rose.fr/2021/06/12/conspiration-de-lespoir-un-livre-de-renee-pellerin/

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Leçons à tirer de la guerre des mammos

15 juillet 2023

Synthèse Cancer Rose

Lessons from the Mammography Wars

https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmsb1002538

https://joelvelasco.net/teaching/2330/Lessons_from_the_Mammography_W.pdf

Les auteurs :

  • Kerianne H. Quanstrum, M.D., Rodney A. Hayward, M.D. chirurgienne à l'University of Michigan;
  • Rodney A. Hayward, M.D., professeur de santé publique et de médecine interne à L'Université de Michigan.

Selon ces auteurs, la controverse sur le dépistage du cancer du sein était prévisible.

En 2002, L'USPSTF[1]recommandait des mammographies annuelles pour les femmes de 40 ans ou plus.
Tout à coup, voilà qu'un groupe indépendant financé par le gouvernement laisse entendre que ce barème était peut-être trop élevé, et que 'moins', en fait, c’était peut-être mieux.[2]

Les partisans du dépistage du cancer du sein, en particulier les radiologistes du sein, ont immédiatement pris des mesures, dénonçant les déclarations des membres du groupe comme velléités de rationnement des soins par le gouvernement, suggérant que les membres du panel avaient ignoré les preuves médicales, et même sous-entendant qu'ils étaient coupables d’un mépris total pour la vie et le bien-être des femmes.

Les sociétés savantes de spécialistes n'ont pas tardé à réagir et ont rapidement émis des lignes directrices contraires.[3]

En réalité,

Ce groupe de travail sur les services préventifs, groupe indépendant, avait simplement recommandé que la mammographie de dépistage systématique commence à l’âge de 50 ans, alors que les femmes âgées de 40 à 49 ans devraient décider individuellement avec leur médecin si leurs préférences et leurs facteurs de risque imposaient une indication de dépistage à un âge plus précoce.
Le comité avait également recommandé que les mammographies de dépistage soient effectuées tous les deux ans, ce qui, selon lui, réduirait les méfaits de la mammographie de près de la moitié tout en maintenant la plupart des avantages de l’imagerie annuelle. . .

En résumé, le groupe de travail avait conclu implicitement que nous avions déjà surestimé la valeur de la mammographie : la mammographie est bonne, mais pas si bonne; peut-être utiles à des femmes, mais pas à toutes; et qu’elle devrait être effectuée à une certaine fréquence, mais pas chaque année, ou pour chaque femme.

Derrière les conclusions du groupe d’experts au sujet de la mammographie se cache une réalité malvenue que notre profession a souvent omis de reconnaître.

Chaque intervention médicale, aussi bénéfique soit-elle pour certains patients, entraînera une diminution continue des rendements à mesure que le seuil d’intervention baissera, c'est à dire plus on élargit l'indication de cette intervention (ici le dépistage) à tout une population.
La mammographie n’est qu’un exemple, expliquent les auteurs.

Chez les femmes âgées de 40 à 49 ans, le taux de faux positifs est assez élevé et les avantages attendus sont faibles : plus de 1900 femmes devraient être invitées à subir une mammographie de dépistage afin de prévenir un seul décès dû au cancer du sein pendant 11 ans. . .Avec un coût direct de plus de 20 000 visites en imagerie mammaire et d’environ 2 000 mammographies faussement positives.
À l’inverse, pour les femmes âgées de 60 à 69 ans, moins de 400 femmes devraient être invitées à se soumettre à un dépistage afin de prévenir un décès par cancer du sein au cours des 13 années de suivi, tout en accumulant environ 5000 visites et 400 fausses mammographies positives.[4]
Cela signifie qu'à mesure que le risque de cancer du sein augmente (avec l'âge), les avantages de la mammographie augmentent, tandis que les préjudices relatifs, qui existent toujours, deviennent néanmoins progressivement moins importants.
Et l'inverse est vrai, à mesure que le risque de cancer du sein diminue (tranches d'âge jeunes et au-delà de 74 ans), les risques existants et connus deviennent prééminents.

Pour de nombreuses interventions, si le risque de ne pas traiter est suffisamment faible, alors ce sont les effets secondaires et les risques du traitement lui-même qui domineront, et le traitement induira des dommages bruts

Comme le risque de ne pas traiter varie considérablement chez les patients pour presque toutes les maladies ou affections, même une intervention dite très efficace montrera une variation des bénéfices dans une population donnée par rapport aux risques, lesquels sont inhérents à cette intervention.

Dans la situation d'une prise de décision médicale et pour le cas d’un patient donné, nous devons choisir de traiter ou non, de dépister ou non.
Pour nous aider à faire ces choix, notre profession s’efforce constamment d’élucider des seuils d’intervention clairs, comme des taux biologiques lors d'examens sanguins, ou l’âge, ou des intervalles de temps standard, comme pour le dépistage.

Ce dont nous ne nous souvenons pas assez souvent, nous disent les auteurs, c’est que ces seuils — par exemple, l’âge de 40 ans ou 50 ans, ou la mammographie annuelle par rapport à la mammographie de routine biennale — sont dans une certaine mesure subjectifs et arbitraires.
Après tout, les preuves scientifiques ne peuvent que nous aider à décrire le continuum entre bénéfices et risques.
L’évaluation de la question de savoir si le bénéfice est suffisant pour justifier le préjudice — c’est-à-dire la décision quand "faire" — cette évaluation se base nécessairement sur un jugement de valeur.

Dans la guerre de la mammographie de dépistage, chaque camp affirme que les données probantes suggèrent que les femmes devraient ou ne devraient pas subir une mammographie de routine à partir de l’âge de 40 ans.  
Mais ainsi on prive le public, selon les auteurs, de ce que les données probantes peuvent nous dire.
Les camps adverses ne font que porter des jugements de valeur différents sur l’endroit où fixer le seuil.
Mais qui a raison? Qui devrait porter ces jugements?
La réponse évidente pourrait être « la patiente et son médecin ». Mais il serait insensé de suggérer que chaque décision médicale devrait être prise à nouveau pour chaque patient sans des lignes directrices, et sans normes professionnelles.
On tourne en rond, puisque les lignes directrices dépendent aussi du panel du groupe d'étude....

Notre profession doit commencer à faire la distinction entre les choix qui sont clairs et ceux qui nécessitent une prise de décision personnalisée.


Extrait :

"A cette fin, pour la plupart des interventions, plutôt que de rechercher un seuil unique et universel d’intervention (ici le dépistage NDLR) (Fig. 1A), nous devrions argumenter sur un minimum de deux seuils distincts; nous devrions argumenter sur minimum deux âges distincts : un âge au-dessus duquel les avantages l’emportent clairement sur le risque de préjudice, auquel cas les cliniciens devraient recommander l'intervention; et un âge au-dessous duquel des préoccupations dominent clairement quant aux préjudices. Dans ce cas, les cliniciens devraient déconseiller cette intervention.
Entre ces deux seuils se trouve une zone grise de bénéfice net indéterminé, dans laquelle les cliniciens devraient s’en remettre aux préférences de la patiente, comprenant par exemple la réaction émotionnelle d’une femme au risque de cancer du sein, afin de décider d’intervenir ou non (Fig. 1B).

C'est justement une zone grise dans laquelle les femmes de la quarantaine se retrouvent avec les nouvelles directives mammographiques.
Lire à ce sujet : https://cancer-rose.fr/2023/05/15/abaisser-lage-du-debut-du-depistage-mais-a-quel-prix/

Les auteurs avancent que nous, praticiens, préférons généralement ignorer ces zones grises. Il est plus facile, après tout, de simplement abaisser le seuil d’intervention, de recommander la mammographie à toutes les femmes de 40 ans ou plus, plutôt que de se fier à des jugements individuels quant à savoir laquelle de ces femmes mérite réellement un dépistage.

Rentabilité

Mais, disent aussi les auteurs, l'approche actuelle est plus qu’une simple quête d’uniformité. Lorsqu’un service donné est étendu avec succès à un plus grand nombre de personnes avec plus d’intensité, la profession qui fournit ce service tend à croître en importance et en rentabilité.
Et de citer l'exemple américain : Aux États-Unis, où les médecins spécialistes jouissent souvent d’un statut élevé dans l’esprit de la population, si les experts crient haut et fort que chaque femme de 40 ans ou plus DOIT être dépistée annuellement pour le cancer du sein, alors le cancer du sein doit être important, le dépistage doit être un droit humain fondamental, et les médecins qui fournissent ce service doivent avoir une grande valeur et grande autorité (dans l'esprit du public).

On peut dire qu'en France nous connaissons les mêmes tendances, avec des "experts" ou des leaders d'opinions aux conflits d'intérêts bien celés qui ont néanmoins pignon sur rue à peu près librement dans n'importe quel média (radio, écrit, télévisé), surtout au moment d'octobre rose.(NDLR)

Dans toute industrie, nous acceptons l’idée comme naturelle que ceux qui fournissent un service ou un produit détiennent leurs propres intérêts et ceux de leurs actionnaires comme objectif principal.

Les auteurs avancent qu'il se passe le même mécanisme dans les soins de santé. Selon eux et bien qu’il soit vrai que les professionnels de la santé se soucient profondément de leurs patients, la tentation est grande des sociétés savantes professionnelles (par exemple pour le dépistage mammographique il s'agit des sociétés savantes de radiologie) de privilégier les intérêts de ses membres, et de gonfler la valeur réelle d'un dispositif, surtout lorsque cela est facile à faire (promotion sociétale et médiatique).

Des protections nécessaires


C’est pour cette raison qu’un certain degré de réglementation du marché est nécessaire, comme les lois sur la vérité dans la publicité.
Ce n’est que dans le domaine de la santé que nous n’avons pas reconnu la nécessité de protections analogues, critiquent les auteurs.
Ce n’est que dans le domaine des soins de santé, après tout, que le même groupe qui fournit un service nous dit aussi à quel point ce service est utile et combien nous en avons besoin, comme lorsque la Society of Breast Imaging établit les recommandations pour la mammographie.[5]

En cas de sur-utilisation dans les soins de santé, nous pouvons être sûrs que le système continuera tant que ceux qui ont un intérêt direct seront autorisés à gagner les guerres de la communication publique en criant au « rationnement » alors qu'on souhaite tout simplement rationaliser les soins de santé. Ou ils accuseront les membres des groupes de travail de « jury de la mort » dès lors que le panel émettra des conseils de prudence, ou à chaque fois que quelqu’un laissera entendre que plus de soins de santé, en fait, eh bien non, ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de meilleur.

NDLR : nous assistons en ce moment sur les réseaux sociaux à une guerre de communication sans merci entre le groupe canadien des soins préventifs, le CanTaskForce, en train de travailler sur des nouvelles recommandations, et des leaders d'opinion très bien relayés par la presse.[6]


Il est temps de changer les choses.

Les auteurs avancent :

"Nous devons reconnaître que, comme dans toute autre profession ou industrie, l’intérêt personnel est inévitablement à l’oeuvre dans le domaine des soins de santé. Plutôt que de reconnaître les lignes directrices de pratique offertes par les experts, nous devrions nous inspirer de la sagesse d’une saine gouvernance et mettre en place un système de freins et de contrepoids en ce qui concerne l’interprétation et l’application des données probantes médicales.
En même temps, nous devons reconnaître que ces deux tâches (interprétation et application) sont distinctes.

Bien que l’interprétation de la preuve médicale soit (ou devrait être) un exercice scientifique, l’application de cette preuve, comme dans l'élaboration de lignes directrices, est en définitive un exercice social."

Les décisions concernant les lignes directrices sur la pratique peuvent et doivent certainement être fondées sur des données probantes. Mais elles exigeront toujours des jugements de valeur émanant de patients pour dicter les soins, et se réfèreront à des réflexions sur : dans quelle mesure les coûts pour leur application pourront être engagés ?

En séparant l'examen des données probantes et la formation de lignes directrices, les désaccords fondés sur la qualité ou la substance des données probantes peuvent s'exprimer séparément des désaccords concernant les répercussions de ces lignes directrices sur les soins cliniques et sur les patients.


"Idéalement, nous devrions avoir un système dans lequel des groupes de généralistes indépendants, possédant une expertise dans les méthodes d’examen et de synthèse des données probantes, seraient chargés de synthétiser objectivement les données médicales sur une question ou un processus de soins donné.
Ces groupes indépendants pourraient ensuite solliciter les commentaires des groupes de cliniciens concernés afin de savoir ce qu’ils pensent des données probantes et où ils situeraient les seuils pour recommander les soins par rapport au processus décisionnel individualisé.
Pour faciliter l’impartialité et la visibilité politique, il serait peut-être préférable de créer une alliance entre les secteurs public et privé, avec un financement et une représentation des groupes indépendants provenant du gouvernement, de fondations privées et de groupes de fournisseurs et de payeurs.
En outre, contrairement aux groupes spéciaux ponctuels ou occasionnels, ce processus d’examen des preuves et de formation de lignes directrices devrait être financé adéquatement pour permettre des mises à jour régulières à mesure que de nouvelles preuves seront disponibles.
Les récentes propositions visant à accroître les dépenses de recherche sur l’efficacité comparative sont certainement louables, mais il est irréaliste de penser qu’un investissement dans la recherche à lui seul aura un effet considérable sur la pratique de la médecine, sans un investissement concomitant dans un processus crédible d’examen des preuves médicales et des lignes directrices en matière de soins cliniques."

Quanstrum et Hayward écrivent :
"Le Groupe de travail sur les services préventifs américain adopte le format que les auteurs proposent ici, car le groupe est composé d’experts généralistes.
Toutefois, ce groupe d’experts a tendance à interpréter les preuves et à rédiger les recommandations comme un processus unique, créant l’apparence, et peut-être la réalité, de permettre trop peu de commentaires de la part des intéressé(e)s, et de confondre souvent les désaccords sur les preuves et les désaccords sur les recommandations."

En conclusion

En tant que profession de santé, concluent les auteurs, nous avons le potentiel de jouer un rôle très réel dans l’amélioration de notre système de santé.
Nous pouvons choisir de reconnaître les zones grises de la médecine et insister pour qu’elles soient reflétées dans les guides de pratique clinique.

Et nous pouvons travailler pour empêcher que les intéressé(e)s ne se fassent entendre au plus fort dans le domaine des soins de santé — même lorsque ces voix émanent de notre propre spécialité — en accordant foi à des groupes comme le Groupe de travail sur les services préventifs qui cherche à formuler des lignes directrices objectives.

Et ce, ajoutent-ils, au lieu de poursuivre une guerre de la mammographie dès lors qu'une recommandation d'application prudente est ressentie comme menaçant la rentabilité et la stature de nos propres spécialités.

Références


[1] U.S. Preventive Services Task Force. Screening for breast cancer: recommendations and rationale. Ann Intern Med 2002; 137:344-6.
Le groupe de travail sur les services préventifs des États-Unis est "un groupe indépendant d'experts en soins primaires et en prévention qui examine systématiquement les preuves d'efficacité et élabore des recommandations pour les services cliniques de prévention". (Traduction Wikipédia anglais)- il est composé de cliniciens de soins primaires volontaires et ayant des compétences en biostatistique et épidémiologie.

[2] https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/0003-4819-137-5_Part_1-200209030-00011 "Chez les femmes de 40 à 49 ans, les données probantes selon lesquelles la mammographie de dépistage réduit la mortalité due au cancer du sein sont plus faibles, et les avantages absolus de la mammographie sont plus faibles que chez les femmes âgées. La plupart des études, mais pas toutes, indiquent un avantage sur le plan de la mortalité chez les femmes qui subissent une mammographie entre 40 et 49 ans, mais le retard observé chez les femmes de moins de 50 ans rend difficile la détermination de l’avantage supplémentaire du dépistage à 40 ans plutôt qu’à 50 ans. L’avantage absolu est moindre parce que l’incidence du cancer du sein est plus faible chez les femmes dans la quarantaine que chez les femmes âgées."
L'article cite les recommandation du bureau d'études canadien qui, en 2001 conclut à des preuves insuffisantes pour recommander la mammographie de dépistage pour les femmes de 40 à 49 ans.

[3] Society of Breast Imaging, American College of Radiology etc...

[4] Nelson HD, Tyne K, Naik A, et al. Screening for breast can- cer: an update for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2009;151:727-37.

[5] Lee CH, Dershaw DD, Kopans D, et al. Breast cancer screen- ing with imaging: recommendations from the Society of Breast Imaging and the ACR on the use of mammography, breast MRI, breast ultrasound, and other technologies for the detection of clinically occult breast cancer. J Am Coll Radiol 2010;7:18-27.

[6] Les recommandations du CanTaskForce, groupe canadien d'étude des données probantes dans les soins préventifs, sont celles-ci :
CantaskForce

«  Le dépistage est une décision personnelle. Chaque femme doit discuter des bénéfices et des préjudices du dépistage en fonction de son groupe d’âge avec un professionnel de la santé. Ainsi, elle sera en mesure de décider de ce qui est le mieux pour elle. Certaines femmes pourraient ne pas vouloir un dépistage si elles estiment les préjudices potentiels sont supérieurs aux bénéfices. » 

Trois articles de la presse canadienne ont donné très largement et majoritairement la parole à une leader d'opinion aux conflits d'intérêts manifestes, Dr P. Gordon.

1- https://theprovince.com/opinion/op-ed/dr-paula-gordon-new-breast-cancer-screening-guidelines-are-going-to-kill-many-women"Dre Paula Gordon : De nouvelles lignes directrices sur le dépistage du cancer du sein vont tuer de nombreuses femmes"

2-https://medicinematters.ca/breast-cancer-screening-mammogram-policies-are-based-on-flawed-research-dr-paula-gordon/
"LES POLITIQUES SUR LES MAMMOGRAPHIES DE DÉPISTAGE DU CANCER DU SEIN SONT FONDÉES SUR DES RECHERCHES ERRONÉES : DRE PAULA GORDON"

3-
https://globalnews.ca/news/8239335/breast-cancer-screening-canada-report/
"Des lignes directrices « dépassées » sur le dépistage du cancer du sein laissent tomber les femmes canadiennes."

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Qu’est-ce que le cancer ?

Un cancer c'est une multiplication anarchique et incontrôlée de cellules, échappant alors aux mécanismes de régulation de l'organisme qui en assurent l'organisation et le développement harmonieux.

  • Cancer et cancer

Dans l’esprit du public, un cancer et des cellules cancéreuses c’est la même chose. Eh bien non. Des cellules cancéreuses nous en fabriquons tous les jours, des centaines, et heureusement notre immunité en vient à bout. Parfois, nos défense sont dépassées, et là il se peut qu’un cancer se développe.

  • De la cellule au nodule

Parfois ces cellules s’amassent en petits nodules ou tumeurs (petites boules) cancéreuses. Ces tumeurs peuvent croître, ou rester latentes du vivant de la personne, et même disparaître. Dans des situations plus rares, ces cellules échappent à tout contrôle, se multiplier, envahir l’organisme et conduire au décès du patient.

  • Des cellules, chez tout le monde !

Dans le cas de la prostate par exemple, chez l'homme, des cellules c’est d’une très grande banalité. La moitié des hommes de plus de 60 ans, et presque tous les hommes de plus de 90 ans ont des cellules cancéreuses dans leur prostate. 80% des hommes de plus de 80 ans ont un cancer muet.

Dans le cas du cancer du sein, une étude sur des autopsies de femmes décédées d’autre chose montre que 37% des femmes sont porteuses de cancers inexprimés entre 40 et 54 ans, 39% entre 40 et 49 ans. Sur 686 femmes autopsiées, décédées d’autre cause que le cancer : le taux de tumeurs trouvées dans les seins est de 4X celui de la population vivante, dans le même temps de l’étude. Ces tumeurs sont restées « silencieuses »

Il faut remettre les choses en perspective :

Sur 100 décès de femmes, il y en a 4 par cancer du sein, 20 par autre cause de cancer, 30 par maladie cardio-vasculaire. (réf. : Hill C. Dépistage du cancer du sein. Presse med. 2014 mai;43(5):501–9.)

Les deux seuls critères pour évaluer l'efficacité d'un dépistage d'un cancer sont :

  • une diminution significative de la mortalité par ce cancer,
  • une chute du taux des cancers avancés.

Voir la présentation :

Les facteurs de risque

Pour certains cancers, les facteurs de risque sont facilement identifiables : l'amiante pour le mésothéliome (un cancer de la plèvre), le tabac, pour le cancer broncho-pulmonaire.

Dans le cadre du cancer du sein les choses sont plus complexes. Il y a les facteurs de risque connus, ceux probables, et les facteurs dits 'protecteurs'.

Les facteurs de risque reconnus comme tels :

✹  l’âge (cancer statistiquement plus fréquent au-delà de 50 ans) ;
✹  le sexe (cancer très nettement plus fréquent chez la femme) ;
✹  les personnes ayant une prédisposition génétique (altération du gène BRCA1 ou BRCA2, dont la fonction est de réparer des lésions de l’ADN que la cellule du sein a pu subir) ;
✹  des examens irradiants répétés de la zone thoracique (radios, scanners).

Les facteurs de risque possibles seraient pour certains sans certitude absolue :

✹ l’obésité ;
✹ l’activité physique insu sante ;
✹ la prise de contraceptifs œstroprogestatifs (la pilule)
✹ un environnement industriel ou agricole nocif ;
✹ le travail en horaires décalés et le travail de nuit ;
✹ le tabagisme, actif ou passif
✹ la consommation d’alcool ;
✹ une puberté précoce ;
✹ une première grossesse tardive ;
✹ le choix de l’allaitement artificiel
✹ une ménopause tardive ;
✹ la prise d’un traitement hormonal de la ménopause

Les facteurs de protection sont :

✹ des premières règles tardives ;
✹ un premier enfant avant l’âge de 20 ans ;
✹ l’allaitement maternel ;
✹ l’activité physique régulière.
✹ La supplémentation en Vit D réduirait également le risque de cancer du sein

Extrait du livre "Mammo ou pas mammo?", Ed. T.Souccar, pages 20/21

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Qu’est-ce que « l’histoire naturelle du cancer » ?

Le terme histoire naturelle du cancer désigne l'évolution de la maladie du début jusqu'au bout si on n'intervient pas et qu'on ne fait rien.

Un premier modèle théorique

Pour le cancer du sein, on a longtemps adhéré à une théorie de progression linéaire et mécaniciste du cancer, comme le schéma ci-dessous le montre.

On appelle cela le schéma halstédien, du nom d'un chirurgien nord-américain, William Halsted (1852-1922) qui théorise cette vision, intuitive et confortable.
Mais les connaissances évoluent.

Ce n'est pas si simple

Et en fait, les cancers présentent un large spectre de comportement clinique ; à une extrémité du spectre se trouvent les tumeurs agressives, à progression rapide, et à l'autre extrémité les tumeurs indolentes, à progression lente ou pas de progression du tout.
Les premières (par exemple, le carcinome thyroïdien anaplasique et l'adénocarcinome pancréatique, les formes de tumeurs du sein agressives) sont souvent non résécables ou métastatiques d'emblée au moment de la détection et s'avèrent souvent de mauvais pronostic.
En revanche, les tumeurs indolentes (par exemple, certaines petites tumeurs papillaires de la thyroïde ou de la prostate, et beaucoup de tumeurs du sein de bas stade et de petite taille détectées lors de la mammographie systématique) peuvent rester asymptomatiques et ne pas évoluer au cours de la vie du patient. Ces tumeurs indolentes, si elles n'étaient jamais diagnostiquées, n'évolueraient pas au point de provoquer des symptômes ou la mort ; elles composent ce qu'on appelle le "surdiagnostic".
Le surdiagnostic a été documenté pour les petites tumeurs de la prostate, de la thyroïde, du sein et de plusieurs autres organes.
Comme les tumeurs surdiagnostiquées ne présentent aucun risque, leur traitement est inutile, exposant les patients aux risques et à la toxicité d'interventions sans bénéfice.

Il n'existe malheureusement pas de techniques fiables pour différencier le sous-ensemble qui reste indolent des tumeurs qui peuvent progresser ; par conséquent, tous les cas de tumeurs détectées sont définitivement traités avec une résection chirurgicale et/ou une radiothérapie.
Les mécanismes qui sous-tendent le comportement indolent des tumeurs et qui sont probablement en grande partie d'ordre immunitaire sont actuellement inconnus. 

Un autre modèle

Le modèle traditionnel est donc dépassé. Il est beaucoup trop simple pour représenter correctement la multitude de maladies actuellement désignées sous le nom de "cancer".

Dans les années 1960 et 1970, le chirurgien américain Bernard Fisher et l’oncologue italien Umberto Veronesi ont remis en question le point de vue de Halsted sur la progression ordonnée du cancer.
Il ont émis l'hypothèse que le cancer du sein pouvait être une maladie systémique dès le départ : les cellules tumorales pouvaient être disséminées dans tout l'organisme au moment de la détection.
Des recherches récentes en génomique du cancer suggèrent que l'hypothèse de Fisher et de Veronesi s'étend au-delà du cancer du sein. Dans une analyse de 118 biopsies provenant de 23 patients atteints de cancer colorectal et présentant des métastases à distance, il a été estimé que la dissémination se produisait bien avant que la tumeur primaire ne soit suffisamment importante pour être cliniquement détectable.
Hu Z, Ding J, Ma Z, Sun R, Seoane JA, Scott Shaffer J, et al. Quantitative evidence for early metastatic seeding in colorectal cancer. Nat Genet. 2019;51:1113–22.

Ces cancers agressifs, "nés pour être mauvais", échapperaient à tout effort de détection précoce réalisable, et pourtant ce sont ceux qui sont les plus susceptibles de causer la mort.

Les cancers situés à l'autre extrémité du spectre de croissance sont devenus de détection massive avec l'avènement du dépistage généralisé du cancer de la prostate aux États-Unis dans les années 1990. Certains cancers localisés de la prostate se développent si lentement qu'ils ne sont pas destinés à provoquer des symptômes avant que le patient ne meure en raison de risques de décès concurrents, en particulier chez les hommes plus âgés.
Welch HG, Albertsen PC, Nease RF, Bubolz TA, Wasson JH. Estimating treatment benefits for the elderly: the effect of competing risks. Ann Intern Med. 1996;124:577–84.

Par ailleurs, certaines lésions, cancéreuses sous le microscope, peuvent ne pas évoluer du tout. Le même phénomène est apparu dans les essais randomisés de dépistage du cancer du poumon par radiographie pulmonaire.
Black WC. Overdiagnosis: an underrecognized cause of confusion and harm in cancer screening. J Natl Cancer Inst. 2000;92:1280–2.
Des observations ultérieures suggérant que certains cancers du sein, de la thyroïde et du rein régressent ont ajouté à la complexité de la situation.

En d'autres termes, certains cancers du sein, du côlon et du poumon sont déjà systémiques lorsqu'ils sont détectables, tandis que d'autres ne sont pas destinés à former des métastases.

Les observations, les recherches, les études, les constatations en pratique clinique et les connaissances de la cancérologie moderne nous proposent un autre schéma, un modèle contemporain de progression du cancer plus complexe et plus hétérogène.

Il s'agit plutôt d'un buisson de possibilités, avec des cancers qui progressent très vite et sont d'emblée métastatiques et mortels, d'autres très lents et qui ne progressent pas, voire régressent, et d'autres qui évoluent tranquillement, donnant lieu un jour à la patiente un symptôme clinique qui l'amènera à consulter.  

Dans la FAQ https://cancer-rose.fr/2021/10/23/comment-se-developpe-un-cancer/, nous vous expliquons comment le dépistage intervient sur chaque différente forme de cancer.

Pour les cancers régressifs : Il est rare que l’on observe des régressions, non pas parce qu’elles sont rares, mais parce que leur observation est difficile, car dès qu’on décèle un cancer, très logiquement on le traite. Il y a donc peu d’occasions de réellement constater le phénomène.
Par exemple, il a pu être observé chez des femmes sur le point d’être opérées de leur cancer, mais dont l’intervention chirurgicale a été différée en raison de la survenue d’une autre maladie plus urgente à traiter. Ces cas de régression existent bel et bien, et pas seulement pour le cancer du sein d’ailleurs.
* Tokunaga E, Okano S, Nakashima Y, Yamashita N, Tanaka K, Akiyoshi S, et al. Spontaneous regression of breast cancer with axillary lymph node metastasis: a case report and review of literature. Int J Clin Exp Pathol. 2014; 7(7): 4371-80.
* Onuigbo WIB. Spontaneous regression of breast carcinoma: review of English publications from 1753 to 1897. Oncol Rev. Oct 2012; 6 (2): e22.
* Ricci SB, Cerchiari U. Spontaneous regression of malignant tumors: Importance of the immune system and other factors (Review). Oncol Lett. Nov 2010; 1(6): 941-5.

L'histoire naturelle du cancer est donc extrêmement complexe et imprévisible, et ne peut être résumée dans des slogans fallacieux des campagnes roses comme "plus petit c'est mieux c'est". Cet adage a fait long feu et est complètement erroné.

Quelques images :

En résumé

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Références :

Pandey A, Linxweiler M, Kuo F, Marti JL, Roman B, Ehdaie B, Vos JL, Morris LGT. Patterns of immune equilibrium and escape in indolent and progressing tumors. Cancer Cell. 2023 Aug 14;41(8):1389-1391. doi: 10.1016/j.ccell.2023.06.003. Epub 2023 Jul 6. PMID: 37419120.

Livre "dépistage du cancer du sein, la grande illusion", de B.Duperray, Ed.T.Souccar

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